L’Union Européenne codifie le droit des micro-organismes génétiquement modifiés (MGM)
Publié le 13/08/2009 par Anthony Bochon
Signe de l’importance croissante du secteur des biotechnologies dans le réseau économique européen, la codification du droit des micro-organismes génétiquement modifiés est intervenue avec la directive 2009/41/CE (J.O.C.E., 21 mai 2009, L 125/75) qui, sans apporter de modification au régime juridique antérieurement établi, vise à restaurer la lisibilité de la législation applicable en la matière.
La notion de micro-organisme génétiquement modifié (MGM)
Un micro-organisme est un organisme guère visible à l’œil nu et qui ne peut être vu qu’au travers d’un microscope scientifique. Par ailleurs, le micro-organisme est vivant et peut être tant animal que végétal. Au rang des micro-organismes figurent les bactéries, lesquelles peuvent nuire à la santé humaine. Bon nombre de maladies infectieuses, dont la mortelle peste, sont provoquées par des micro-organismes. Si ceux-ci peuvent être nocifs, ils jouent également un rôle économique. La fermentation de la bière ou du fromage ou la production d’éthanol sont le résultat de processus provoqués par des micro-organismes.
Les progrès scientifiques ont provoqués l’apparition de micro-organismes génétiquement modifiés (MGM) qui se distingue des micro-organismes ordinaires par la modification de leur patrimoine génétique, laquelle ne pourrait survenir en milieu naturel, en dehors de toute intervention humaine.
En raison de leur utilisation comme moyen de production, les MGM se rattachent à un ensemble plus vaste, celui des biotechnologies. Cet ensemble regroupe toutes les utilisations de matériaux vivants à des fins de production de biens ou services. Il convient de préciser que ces matériaux vivants n’ont pas tous un patrimoine génétique modifié. Si on ne peut raisonnablement dire que toute biotechnologie implique un matériel vivant génétiquement modifié, tout matériel vivant génétiquement modifié est par contre une biotechnologie. La modification du patrimoine génétique de certains micro-organismes s’explique en effet par les potentialités d’application nouvelle qu’offre un matériel vivant dissemblable de ceux rencontrés dans la nature.
L’état antérieur du droit et le cadre juridique européen des biotechnologies
La directive 2009/41 abroge la directive 90/219 du 23 avril 1990 relative à l’utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés qui constituait jusqu’alors le socle du droit des MGM. Celle-ci fut modifiée par les directives 94/51 et 98/87, ainsi que par la décision 2001/204 prise par le Conseil et le règlement 1882/2003 adopté selon la procédure conjointe par le Parlement et le Conseil. Ces adaptations successives du droit européen surviennent alors que les progrès en matière de nouvelles technologies dans les années nonante et au tournant du XXIème siècle ont favorisé l’émergence d’un cadre juridique sans cesse remis en question par l’apparition de nouveaux usages des hautes technologies. Plus particulièrement, les biotechnologies ont suscité des débats éthiques et environnementaux, auxquels le droit européen a répondu progressivement par l’adoption d’instruments d’effet direct ou non. Ainsi, la directive 98/44 a établi les conditions de brevetabilité des biotechnologies – avec l’intention d’éviter l’appropriation progressive des composantes du corps humain au travers de brevets – tandis que la directive 2001/18 et les règlements 1829/2003, 1830/2003, 1946/2003 qui la complètent ou la modifient concernent l’usage et la commercialisation d’organismes génétiquement modifiés (OGM).
Cette directive 2001/18 a elle-même abrogé la directive 90/220 sur la dissémination volontaire d’OGM, adoptée en même temps que la directive 90/219, en introduisant par ailleurs des modifications substantielles, contrairement à la directive 2009/41 qui refond plutôt que refait le droit applicable.
Les grandes lignes de la directive
A. Son champ d’application
L’article premier de la directive énumère le but poursuivi, à savoir l’établissement de « mesures communes pour l’utilisation confinée des micro-organismes génétiquement modifiés en vue de la protection de la santé humaine et de l’environnement ». Si le développement d’un droit commun européen est sous-jacent à l’élaboration de normes juridiques européennes, la fixation de mesures communes paraît d’autant plus nécessaire au regard de la spécificité des MGM.
L’article 2 apporte la définition tant de l’utilisation confinée que de la notion de MGM. L’utilisation confinée concerne toute modification génétique de micro-organismes ou tout usage possible de MGM avec un confinement, à savoir un ensemble de mesures destinées à délimiter le contact entre, d’une part, ces MGM et, d’autre part, la population et l’environnement. Le confinement est posé ici comme une modalité indissociable du recours aux MGM, le principe de précaution issu du droit de l’environnement – voire de prévention dans les cas de nocivité avérée – justifiant l’adoption de mesures évitant la dispersion du matériel biotechnologique. De plus, les MGM peuvent faire l’objet d’une dispersion transfrontalière, ce qui renforce la nécessité de mesures réciproques entre Etats membres. Les MGM reçoivent d’ailleurs une définition large puisqu’ils visent tous les micro-organismes génétiquement modifiés ayant fait l’objet d’une manipulation génétique étrangère aux processus naturels de transformation génétique. Cependant, la modification génétique doit, conformément à l’Annexe I, comprendre une technique de recombinaison d’ADN, d’incorporation de matériel génétique ou de fusion ou d’hybridation cellulaires. Cette même annexe restreint également cette définition en soustrayant au champ d’application de la directive les techniques la fécondation in vitro, qui ne modifie pas le patrimoine génétique des cellules originelles. L’Annexe II énumère quant à elle quatre méthodes de modification génétique ne tombant pas sous le coup de la directive, pour autant que de l’ADN recombinant n’est pas utilisé : la mutagénèse, la fusion cellulaire d’eucaryotes – dont les végétaux – et celle de procaryotes, et l’autoclonage.
Le champ d’application de la directive, s’il paraît large, comporte ainsi plusieurs exceptions qui emportent qu’on ne saurait se contenter d’une approche nominaliste selon laquelle toute manipulation biologique qualifiée de modification génétique tomberait dans le champ d’application ; en outre, il faut avoir égard à l’ensemble des matériaux utilisés dans les cas individuels potentiellement soustraits à la directive.
B. L’évaluation et la gestion des risques: quand droit et sciences se rencontrent
La directive prévoit le cadre dans lequel les risques afférents aux MGM doivent être évalués et gérés. Bien que le texte ne l’indique pas, le recours à l’expertise scientifique de cabinets spécialisés en gestion environnementale est de rigueur pour qu’une entreprise puisse adéquatement avertir les autorités et minimiser les risques de poursuite en cas d’accident pour négligence dans l’évaluation des risques.
Il incombe dans un premier temps à l’utilisateur d’évaluer les risques que peut entraîner l’utilisation de MGM (article 4). La directive prévoit 4 classes de risques lesquelles sont soumises à un régime différent. L’annexe III définit les critères à prendre en compte lors de l’évaluation. Le risque est considéré comme nul – et donc assimilé à la classe I – seulement dans des cas très limités que rencontrent peu de MGM, l’incertitude scientifique sous-jacente au principe de précaution devant amener l’utilisateur de MGM à toujours prendre en compte la pire situation, et donc les risques les plus élevés.
Les mesures appropriées de confinement sont définies, sur pied de l’article 5, dans l’annexe IV qui détaille les protocoles à respecter selon les classes de risques. Il appartient d’informer correctement l’autorité de régulation et de respecter le protocole spécifique à la classe de risque, sous peine de voir l’autorisation d’utilisation confinée être limitée dans le temps voire suspendue (article 10). En Belgique, l’autorité compétente est la section de biosécurité et de biotechnologie (SBB) de l’Institut scientifique de santé publique (voir son site : http://ec.europa.eu/environment/biotechnology/authorised_prod_1.htm). On ne confondra pas la SBB avec un groupe d’activistes anti-MGM se revendiquant du même acronyme.
Le contrôle des autorités publiques chargées de la surveillance, dans les Etats membres, des entreprises utilisant des MGM, est posé aux articles 6 à 13. Ces articles concernent l’obligation de notification préalable à la première utilisation confinée et adressée aux autorités dites compétentes, de même qu’ils posent des exigences de mesures que ces mêmes autorités doivent mettre en œuvre avant l’utilisation – notamment l’adoption d’un plan d’urgence en cas d’accident.
La dimension transnationale des risques et accidents causés par les MGM est prise en compte par les articles 14 à 18. Ceux-ci prévoient des obligations à charger de l’autorité nationale de contrôle d’avertir les autorités similaires dans les Etats membres pouvant être touchés par une dissémination de MGM dans l’atmosphère ou l’eau, par exemple.
L’article 17 prévoit que les Etats membres adressent chaque année un rapport de synthèse à la Commission européenne pour rendre compte des utilisations de MGM rentrant dans les deux classes les plus à risques, à savoir les classes III et IV. Aussi, ce même article prévoit qu’à partir de 2003, un rapport triennal est adressé à la Commission pour évaluer la pratique de la directive. Par ce biais-là, le législateur européen laisse la porte ouverte à l’évaluation de cette directive qui légifère un secteur où des changements technologiques ne sont pas à exclure dans les prochaines années. Le premier rapport couvrant la période 2003-2006 fait état, pour ce qui concerne la Belgique, de problèmes d’autorisations manquantes dans des installations en Flandre, de même que le problème de l’application de la directive au regard de l’utilisation de MGM pour des essais cliniques. L’actuelle directive s’autolimite et n’entre pas en conflit avec la directive 2001/18 qui règle spécifiquement la question. (Voir : http://ec.europa.eu/environment/biotechnology/pdf/sec_2007_1636_en.pdf)
L’article 18 de la directive règle quant à lui l’interaction entre les obligations de confidentialités découlant de la transmission d’information par les utilisateurs de MGM aux autorités de contrôles et le droit à l’information du public en matière d’environnement tel que posé par la directive 2003/4.
Les nouveautés procédurales et la question de la transposition de la directive de 1990
Les articles 19 et 20 de la directive habilitent la Commission à modifier « des éléments non essentiels de la présente directive concernant l’adaptation au progrès technique des annexes II, III, IV et V ». En ce cas, la Commission agit en conformité avec la décision du Conseil du 28 juin 1999 fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission, telle qu’amendée par la décision du Conseil du 17 juillet 2006. Cette habilitation est bienvenue au regard de l’évolution rapide de la matière et de la nécessité de pouvoir fournir une réaction législative rapide, en contournant le processus parlementaire mais sans priver le Parlement de se prononcer sur des modifications d’éléments essentiels. Une discussion pourrait survenir quant à la définition de l’essentialité d’un élément. Celle-ci pourrait être donnée par le juge de Luxembourg, le flou relatif actuel permettant à la Commission de juger elle-même de cette définition, bien que les comités consultatifs qui doivent émettre un avis en cas de modification d’éléments non-essentiels comprennent des représentants d’Etats membres. Il serait malvenu que la Commission se livre à une interprétation extensive de la notion d’essentialité si un comité lui refuserait la compétence de modifier des éléments intangibles sans processus parlementaire.
L’article 21 de la directive abroge la précédente directive, sans pour autant délier les Etats membres des obligations de transposition dans un délai imparti qui reposaient sur eux suite à l’entrée en vigueur de la directive de 1990. Cette précision de la directive de 2009 pourrait paraître caduque si la Cour de Justice n’avait, à plusieurs reprises, condamné des Etats membres pour défaut total ou partiel de transposition de la directive de 1990. La Belgique (CJCE, 9 juillet 1998, Commission c/ Belgique, C-343/97), le Grand-duché de Luxembourg (CJCE, 16 juillet 1998, Commission c/ Grand-duché de Luxembourg, C-339/97), et le Portugal (CJCE, 16 juillet 1998, Commission c/ Portugal, C-285/97) furent condamnés pour non-transposition de la directive 90/219 dans le délai imparti. A nouveau, la Belgique fut condamnée (CJCE, 13 mars 2003, Commission c/ Belgique, C-436/01) mais pour défaut de transposition de la directive 98/81, au même titre que l’Espagne (CJCE, 13 mars 2003, Commission c/ Espagne, C-433/01) et le Luxembourg (CJCE, 16 octobre 2003, Commission c/ Grand-duché de Luxembourg, C-325/02). La France, à ce jour, n’a pas mis sa législation en conformité avec les directives européennes précédentes, puisqu’elle fut condamnée en 2008 (CJCE, 9 décembre 2008, Commission c/ France, C-121/07) pour ne pas avoir exécuté l’arrêt précédent rendu en 2003 (CJCE, 27 novembre 2003, Commission c/France, C-429/01). Ces arrêts ne sont que les avatars de débats éthiques présents au niveau national, lesquels retardent la décision politique de transposition des directives. Le fait que les pays condamnés se rattachent davantage au monde latin n’étonne guère, les pays dont la société est plus influencée par les modèles anglo-saxon et germanique connaissant moins de réticences à l’égard des biotechnologies. En ce qui concerne la Belgique, il faut relever que le fait que la législation en matière d’environnement relève principalement de la compétence des régions a, comme pour d’autres directives, engendré un retard moins dû à des réticences éthiques qu’à la complexité du fédéralisme belge. Une circulaire ministérielle relative aux plans particuliers d’urgence et d’intervention concernant les micro-organismes génétiquement modifiés a été émise le 4 août 2005 par le ministre belge de l’Intérieur. Cette circulaire vise à harmoniser ces plans, visés par les directives européennes antérieures et par la directive actuelle, car il appartient aux autorités provinciales et communales de les élaborer – et non au législateur régional.
Conclusion: le droit des biotechnologies ou la part timide du droit des nouvelles technologies
Traditionnellement, le droit de l’environnement a été considéré comme étant une sous-division du droit administratif, lui-même branche du droit public. Au fil des années, le développement de principes propres au droit de l’environnement et l’autonomie croissante de celui-ci par rapport au droit administratif a amené la communauté juridique à consacrer le droit de l’environnement comme une branche à part entière du droit., dépassant même la summa divisio entre le droit public et le droit privé.
Le droit des nouvelles technologies suit, à notre sens, la même destinée que le droit de l’environnement. Le droit des nouvelles technologies a remis en question bon nombre d’institutions et de règles juridiques en raison des défis que ces nouvelles technologies représentent. Le droit des contrats, tout comme celui de la propriété intellectuelle, n’a de cesse d’être revisité face aux potentialités des mondes virtuels et des moyens de communication. Les droits fondamentaux, en particulier le respect de la vie privée, ont été relus à l’aune de l’existence d’Internet, second monde où bon nombre de personnes ont une certaine existence publique.
Au nombre des nouvelles technologies figurent les technologies des « life sciences », des « sciences du vivant ». Si les progrès techniques ont mené à l’apparition de mondes virtuels, ils ont aussi repoussé les limites de la nature, en rendant possible ce qui passait pour une virtualité quelques années auparavant. Le droit des biotechnologies, en tant que partie du droit des nouvelles technologies, représente l’interface entre celui-ci et le droit de l’environnement. Domaine hyperspécialisé du droit, celui des biotechnologies démontre que le droit des nouvelles technologies embrasse l’ensemble des branches du droit. Gagné par des logiques internes, le droit des nouvelles technologies pourrait même s’affirmer comme une branche à part entière, marquée par le dialogue entre juristes et experts, que ceux-ci le soient en informatique ou en biologie !