Loi sur les drones : analyse du projet de règlement belge
Publié le 18/06/2015 par Thierry Léonard, Blandine de Lange
Les drones sont en plein essor. Non seulement les fabricants se multiplient, mais les applications commerciales fleurissent. Que l’on songe à Amazon qui entend livrer ses paquets en drone. Même engouement chez les particuliers.. Des embouteillages dans le ciel en perspective ? Tour d’horizon du projet d’arrêté royal instaurant un cadre légal en matière de drones en Belgique.
De nouveaux rebondissements ont eu lieu dans la saga sur la législation entourant l’utilisation de drones, francisé en « systèmes d’aéronefs télépilotés » (ci-après RPAS). Un projet d’arrêté royal relatif à l’utilisation de drones dans l’espace aérien belge, définissant le cadre légal de l’utilisation privée ou commerciale de drones en Belgique, a été établi à la fin du mois d’avril par la ministre de la mobilité Jacqueline Galant (MR). Ce texte a été soumis récemment aux Régions pour avis et devra ensuite faire l’objet d’un contrôle par le Conseil d’Etat. Cet arrêté royal viendra donc combler le vide législatif en matière de drones en Belgique. Selon l’expression consacrée, un « vent favorable » nous a informé des premières intentions de la Ministre.
Contexte européen
Il est souhaitable, -pour plus de sécurité juridique- que la Belgique se dote d’une législation claire dans ce secteur. D’autant que les enjeux économiques liés sont importants. Rappelons aussi que 19 Etats membres ont déjà légiféré en la matière et que, du côté des institutions européennes, les initiatives ne cessent de se développer. La Commission européenne a ainsi, -dans une communication du 8 avril 2014[1]- fait part aux Etats-membres des principes fondamentaux à respecter en matière de drones. Elle révélait également au travers de cette communication, son projet de réglementer le secteur à l’échelle européenne pour 2016. Cette réforme a pour objectif d’encadrer la sûreté aérienne, le respect de la vie privée et la responsabilité en cas d’accident en matière de drones. L’Europe va d’ailleurs plus loin. Ce 18 mai 2015, elle a publié une lettre d’intention pour lancer les études techniques permettant la fabrication d’un drone européen, lequel pourrait être opérationnel d’ici 10 ans.
Aujourd’hui, concrètement, que nous propose le projet d’arrêté Royal concocté par le cabinet Galant ?
Des règles essentiellement techniques
Le projet d’arrêté royal est principalement technique. Outre des règles essentielles définissant par exemple la priorité de passage, les règles de portée visuelle (hauteur de max. 90 mètres pour le drone), les comportements à adopter en cas de difficultés et tout ce que l’on peut imaginer pour règlementer les opérations et l’utilisation d’un drone-, la réglementation envisagée semble particulièrement stricte et risque d’alourdir les ailes de nombreux « télépilotes ».
Ainsi, le projet dispose que le télépilote devra être âgé d’au-moins 18 ans.
Il prévoit également qu’une série d’activités seront interdites aux drones. Parmi celles-ci figurent bien sûr le transport de passagers, le transport de courrier ou de fret, le remorquage etc. Une interdiction ne plaira cependant pas à tous. Il s’agit de l’interdiction de jet d’objets ou encore de pulvérisation, convoitée spécialement par le secteur de l’agriculture de précision.
A côte de certains rappels de bon sens, pouvant prêter à sourire -ne pas piloter sous l’influence d’alcool ou de drogues-, des conditions extrêmement sévères sont également mises au point à l’égard du télépilote. En effet, il devra être titulaire d’une « licence de télépilote », qu’il n’obtiendra pas sans peines.
L’obtention de ce permis est entourée de conditions très lourdes. Un examen théorique extrêmement poussé est prévu, conforme au règlement n°1178/2011 de la Commission du 3 novembre 2011 déterminant les exigences techniques et les procédures administratives applicables au personnel navigant de l’aviation civile. Il s’avère donc très proche de la licence de pilote privé classique majoré d’une section sur la connaissance des drones.
Une fois l’examen théorique réussi, le télépilote en devenir devra également réussir une épreuve pratique et être titulaire d’un certificat médical. Ce processus se déroulerait sous le contrôle de la Direction Générale du Transport Aérien (ci-après la DGTA), laquelle aura donc un large pouvoir d’appréciation dans la délivrance ou non de ladite licence.
Outre ces obligations pour acquérir la licence, d’autres impératifs pèsent sur le télépilote tel que notamment le devoir de tenir à jour et d’inscrire tous les vols effectués dans un carnet de vols ad hoc. Des obligations de vols, -une fois la licence délivrée-, seront également de vigueur pour le maintien de cette même licence.
Le futur arrêté royal, -s’il entre en vigueur-, ne s’appliquera cependant pas aux aéronefs conçus pour les enfants de moins de 14 ans et aux modèles utilisés dans un but récréatif, dont la masse maximale au décollage ne dépasse pas le kilogramme (et rencontrant certaines conditions spécifiques énumérées dans le projet). Le texte, sous sa forme actuelle, invite toutefois les pilotes à respecter certaines obligations dont les dispositions de la législation sur la vie privée.
La protection de la vie privée à peine survolée
Les juristes férus de droit des nouvelles technologies chercheront vainement une solution aux multiples problèmes de respect de la vie privée posées par l’utilisation potentielle des drones.
Le projet d’arrêté royal ne laisse pourtant pas la problématique de la vie privée complètement de côté.
Il dispose par exemple qu’en cas d’exploitation spécialisée de drones permettant que des photographies soient prises, une déclaration préalable doit être enregistrée auprès de la DGTA. C’est également la DGTA qui déterminera la forme et le contenu de cette déclaration.
D’autres mesures sont également prévues par le projet de la ministre Galant pour tenter de protéger la vie privée en cas d’exploitation spécialisée à haut risque du drone, c’est-à-dire en cas d’exploitation spécialisée de drones permettant l’observation et la photographie aérienne mais qui, -selon le texte du projet-, pourrait faire courir un risque important aux tiers au sol, en raison de sa nature particulière, de l’urgence et de l’environnement local. On admet ne pas voir clairement les hypothèses visées mais une analyse des risques devrait être faite au cas par cas. Le texte prévoit en effet que ce type d’exploitation doit faire l’objet, quant à lui, d’une autorisation préalable auprès de la DGTA.
Ces compétences confiées à la DGTA en matière de protection de la vie privée paraissent cependant curieuses. La DGTA n’est en rien un spécialiste de la matière. Un tel système est également en décalage par rapport au prescrit de la Communication de la Commission européenne du 8 avril 2014, déjà citée ci-dessus. En effet, celle-ci préconisait qu’un suivi permanent soit confié aux autorités nationales de contrôle de la protection des données, ce qui désigne donc la Commission de la protection de la vie privée (ci-après CPVP).
En outre, la Communication européenne insistait pour que tout traitement de données à caractère personnel soit fondé sur un motif légitime. Elle soulignait également l’importance pour les Etats membres d’évaluer quelles étaient les mesures nécessaires pour garantir le respect des exigences en matière de protection des données et du respect de la vie privée. Le projet d’arrêté royal élude cependant habilement la question en renvoyant aux lois déjà applicables. On se heurte alors à plusieurs problèmes fondamentaux, qui pourraient encore freiner le décollage des futurs engins.
Outre des problèmes administratifs -telle la déclaration auprès de la Commission de la protection de la vie privée ou la convention de sous-traitance à passer avec celui qui utilisera les données récoltées par les drones-, la protection des données prévoit des conditions spécifiques de collecte et de traitement des données à caractère personnel qui risquent de poser de sérieux problèmes au télépilote ainsi qu’au responsable du traitement pour qui il pourrait « voler ».
Ainsi la loi –comme le droit à l’image– ne permettront souvent la captation d’images que lorsque la personne concernée –c’est-à-dire la personne filmée- aura indubitablement donné son consentement. Cette condition risque de poser une difficulté évidente lorsque par exemple l’on veut faire survoler un drone au-dessus d’une foule en plein concert, sur une route bordées d’habitations ou encore au cœur d’un centre-ville où se mêlent espaces publics et espaces privés ? Comment procéder à la récolte de tous les consentements nécessaires pour entreprendre le traitement ?
Problème identique ou similaire si l’on se souvient que le responsable –a priori, notre télépilote- se doit d’informer les personnes filmées par le drone, préalablement à l’enregistrement ou que les personnes concernées doivent pouvoir exercer un droit d’accès aux données enregistrées, suite au traitement.
Le projet, sous sa forme actuelle, élude ces questions pourtant fondamentales, sans amener de réponses à l’application concrète des règles existantes.
Le sujet est d’évidence sensible et suscite pas mal de craintes. Les drones peuvent être beaucoup plus intrusifs dans la vie privée que d’autres techniques de collectes de données privées. En effet, le fait que ces engins soient, à distance, et le cas échéant de manière furtive, capables de se mouvoir dans l’espace aérien tout en ayant la capacité de capter énormément de données, les désignent comme les futurs espions de nos espaces extérieurs privés.
Le cabinet du Ministre Galant serait bien inspiré de soumettre pour avis son texte à la Commission de protection de la vie privé, à moins que cette dernière s’en saisisse d’initiative. Gageons alors qu’elle aura pas mal de commentaires à faire valoir.
[1] Commission européenne, Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 8 avril 2014, – Une nouvelle ère de l’aviation, Ouvrir le marché de l’aviation à l’utilisation civile de systèmes d’aéronefs télépilotés d’une manière sure et durable – , COM(2014) 207 final.