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Logiciels libres et marchés publics ne sont pas incompatibles

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Même si la jurisprudence française est quasi inexistante en cette matière, le logiciel libre n’est pas une zone de non droit. A tel point que ces solutions logicielles peuvent faire l’objet de marchés publics si l’on accepte de respecter certains principes et règles.

Si les articles de doctrine juridique abondent sur les licences de logiciel libre, la jurisprudence est inexistante en France ; seule une décision d’un tribunal de première instance allemand permet d’affirmer la prise en compte par un juge européen de la licence GPL. On se retrouve ainsi face à des interrogations multiples, en droit privé comme en droit des marchés publics, et les pistes indiquées devront être confirmées ou infirmées par le juge français.

L’approche juridique s’appuie largement sur la pratique, puisqu’on constate en premier lieu qu’il n’y a pas aujourd’hui en France d’approche normative du logiciel libre, mais des précurseurs qui permettent d’avancer sur le sujet. L’autre constat concerne une pratique différenciée, selon que le logiciel soit une création initiale ou que le développement s’effectue sur la base de briques existantes ; dans le premier cas, l’auteur pourra choisir la licence qui indiquera les droits conférés aux utilisateurs, par exemple une licence en français et de droit français, comme l’une des licences Cecill. En revanche dans le deuxième cas, le respect des licences associées aux briques existantes s’impose, avec, pour certaines de ces licences comme la GPL, un caractère « contaminant » qui va se traduire par l’extension de cette licence à l’ensemble du logiciel résultant du développement subséquent. Une licence en anglais et de droit anglo-saxon encadre alors les droits conférés par le concédant au licencié.

De façon succincte, nous abordons ici le logiciel libre sous ses différents aspects juridiques, qui convergent en proposition pour l’application des règles dégagées dans le cadre d’un marché public.

Cession des droits d’auteur

Les questions concernant la conformité des licences de logiciel libre au code de la propriété intellectuelle concernent en premier lieu la cession des droits d’auteur.

L’article L 131-3 du CPI exige en effet que chacun des droits cédés soit spécifiquement délimités quant à leur étendue et leur destination, quant au lieu et à la durée. Or la licence GPL, pour reprendre l’exemple de cette licence largement majoritaire, ne répond pas à une telle exigence . Cependant, et sans qu’il s’agisse d’un arrêt de principe, la cour de cassation dans un arrêt du 21 novembre 2006 ( Cass 1re civ., 21 nov 2006, nº 05-19.294, F-D, Emmanuel Chaussade c/ Sté EOS SA : Juris-Data nº 2006-036062 ) a affirmé que « les dispositions de l’article L 131-3 du code de la propriété intellectuelle, qui ne visent que les seuls contrats énumérés à l’article L. 131-2 , alinea 1er, à savoir les contrats de représentation, édition et production audiovisuelle, ne s’appliquent pas aux autres contrats ». Si cette jurisprudence se voyait confirmée, la cession des droits sur un logiciel ne serait donc pas soumis aux dispositions de l’article L 131-3 et il suffirait, en vertu des articles 1341 et suivants du code civil, de pouvoir prouver l’existence d’une cession. Ainsi le formalisme de l’article L 131-3 pourrait toujours être respecté par les parties, mais ne serait plus une obligation.

Droit du contrat

Le deuxième obstacle soulevé en droit privé concerne le droit applicable au contrat de licence. En l’absence de désignation du droit applicable et des tribunaux compétents par la licence, le risque est évoqué que des droits étrangers pourraient être applicables aux parties au contrat de licence au détriment du droit français. La convention de Rome sur la loi applicable aux obligation contractuelles, ouverte à la signature le 19 juin 1980 (80/934/CEE) prévoit pourtant à l’article 4 que «1. Dans la mesure où la loi applicable au contrat n’a pas été choisie conformément aux dispositions de l’article 3, le contrat est régi par la loi du pays avec lequel il présente les liens les plus étroits (…) 2. Sous réserve du paragraphe 5, il est présumé que le contrat présente les liens les plus étroits avec le pays où la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a, au moment de la conclusion du contrat, sa résidence habituelle ou, s’il s’agit d’une société, association ou personne morale, son administration centrale. Toutefois, si le contrat est conclu dans l’exercice de l’activité professionnelle de cette partie, ce pays est celui où est situé son principal établissement ou, si, selon le contrat, la prestation doit être fournie par un établissement autre que l’établissement principal, celui où est situé cet autre établissement. ». Dans le cas d’un marché public, la prestation caractéristique porte sur le contrat qui lie le pouvoir adjudicateur et l’opérateur économique et emportera, sauf s’il en est fait mention autrement dans la licence de logiciel, application du droit français à l’ensemble des éléments accessoires au contrat principal.

Droit des marchés publics

« Les marchés publics sont des contrats conclus à titre onéreux » (article 1er du code des marchés publics annexé au décret n° 2006-975 du 1er août 2006 portant code des marchés publics). S’il n’y a pas paiement, il n’y a pas marché public. Le logiciel téléchargé gratuitement n’est donc pas concerné par les dispositions du code des marchés. Le sont en revanche les prestations de service (maintenance, formation,…) qui peuvent être nécessaires à son utilisation. Il y a dans ces cas un intermédiaire entre le pouvoir adjudicateur et la licence de logiciel libre et c’est avec cet intermédiaire que le pouvoir adjudicateur va contracter.

Respect de la loi Toubon

La loi nº 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française dite « loi Toubon » prévoit, à l’art. 5 : « Quels qu’en soient l’objet et les formes, les contrats auxquels une personne morale de droit public ou une personne privée exécutant une mission de service public sont parties sont rédigés en langue française ». Dans le cadre d’un marché public, le contrat passé entre le pouvoir adjudicateur et l’opérateur économique est bien rédigé en langue française. La licence ne fait pas partie des pièces contractuelles, ce qui rend sans conséquence à ce niveau le fait qu’elle soit rédigée en anglais. Si le développement issu du marché devait être reversé à la communauté, le fait que le marché soit terminé vient par ailleurs lever l’obstacle de l’article 5 de la loi Toubon.

Responsabilités et garanties

L’exclusion de garantie et de responsabilité, prévue notamment par la licence GPL, souvent présentée comme une incompatibilité majeure avec le droit français, ne semble pas insurmontable. D’abord, ladite licence prévoit elle- même que cette clause respecte les dispositions impératives du droit qui y contreviendraient. Ensuite, dans un marché public, il incombera au pouvoir adjudicateur de compenser cette lacune de la licence en définissant très précisément dans le contrat qu’il passe avec l’opérateur économique les responsabilités et garanties fournies dans le cadre de la prestation. Ces garanties peuvent être très contraignantes et dans un marché de support logiciel libre, l’obligation de correction d’anomalies peut s’apparenter à une assurance.

Le pouvoir adjudicateur a-t-il toute liberté pour exiger que le logiciel objet de la prestation soit libre ?

Dans tous les cas, il a l’obligation de définir son besoin. Dans ce cadre, il se peut que des choix technologiques antérieurs éliminent de fait certaines solutions ou que le respect de normes et standards permettant l’interopérabilité soit un critère de choix des offres. Le besoin ainsi défini doit permettre de conserver une marge de choix, afin de comparer les solutions proposées en réponse par les opérateurs économiques. Mais dans la mesure où elle est justifiée, l’exigence d’un logiciel libre dans un appel d’offre serait possible.

Cession non exclusive des droits nécessaires au pouvoir adjudicateur pour la diffusion d’un développement spécifique 

Lorsque l’objet de la prestation ou d’une partie de la prestation est un développement spécifique, est-il vraiment nécessaire pour le pouvoir adjudicateur de décider, dès la passation du marché, sous quelle licence il souhaiterait, le cas échéant, mettre ledit développement ? A ce stade, il lui suffirait au contraire d’exiger au  titulaire du marché dans le Cahier des Clauses Administratives Particulières, « la cession à titre non exclusif des droits de reproduction, y compris la diffusion sur tous supports, représentation, adaptation et traduction sur les développements spécifiques objet de la prestation, pour toute la durée de leur protection par les droits d’auteur et sur tous territoires ». Le pouvoir adjudicateur s’assurerait ainsi de la conformité avec l’article L 131-3 du CPI et repousse le choix éventuel d’une licence, libre ou propriétaire, au moment où le besoin s’en ressentirait, dans le cadre d’une mutualisation par exemple. Parallèlement, le titulaire du marché conserverait tous les droits nécessaires à l’exploitation postérieure du logiciel.

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