L’internaute flashé
Publié le 05/07/2009 par Sulliman Omarjee
Censuré par le Conseil Constitutionnel, la question de la suspension de l’abonnement Internet comme sanction ultime au piratage en ligne fait son retour sous l’impulsion cette fois du Ministère de la justice. A l’image des radars de vitesse, la nouvelle procédure envisage de flasher les internautes pour leurs excès de téléchargement…
Encore une nouvelle loi pour tenter de trouver une solution à la sempiternelle question dite du « piratage » sur Internet d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Preuve que la question n’était finalement pas « réglée » par la précédente loi DADVSI adoptée en 2006 dans le même but. A l’époque déjà, un premier mécanisme de riposte gradué avait été proposé, que le conseil constitutionnel avait soigneusement écarté par le biais de réserves d’interprétations.
Avec la loi Internet et Création, la riposte graduée tentait de faire son grand retour sur la scène : les internautes identifiés par leur adresse IP pour des faits de piratage pouvaient se voir envoyer jusqu’à deux avertissements et encourir la coupure de l’abonnement Internet par une Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet : l’HADOPI.
Comme pour son prédécesseur, ce texte a fait l’objet de vifs débats et même de coups de théâtre, déchainant les passions jusqu’au Parlement Européen, maintenant un suspense haletant jusqu’au bout avec la censure du conseil constitutionnel.
Si cet épisode numéro 2 marque apparemment une victoire des opposants au texte et partisans d’un Internet « libre » ou auteurs et consommateurs vivraient heureux ensemble dans le meilleur des mondes virtuel, elle est cependant loin de marquer la fin de la saga de la bataille des droits d’auteurs sur Internet.
Déjà, un nouveau projet de loi sous l’égide du Ministère de la justice réintroduit l’idée de la suspension de l’abonnement Internet comme peine complémentaire aux infractions de contrefaçon en ligne…
HADOPI 1 : une censure du Conseil Constitutionnel riche d’enseignements
En imposant la rupture de l’abonnement Internet comme sanction du piratage, le texte initial de la loi plaçait la connexion Internet au cœur de la problématique des droits d’auteur : sa suspension serait elle la sanction idéale, à l’image du retrait de permis de conduire lorsqu’un conducteur fait un excès de vitesse ?
Si oui, une Autorité Administrative Indépendante (AAI), l’HADOPI, peut elle prononcer d’office une telle sanction sans passer par la case « juge » comme souhaitait l’instaurer la loi ?
A ces interrogations, le Conseil Constitutionnel, rend une décision riche d’enseignements en particulier s’agissant de la valeur juridique de l’accès à l’Internet dans notre société d’aujourd’hui ou les moyens de communication occupent une place prépondérante.
En rattachant l’accès à l’Internet à la liberté de communication et d’expression énoncée à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC), le juge constitutionnel affirme ouvertement que l’accès à Internet relève d’une liberté fondamentale. Il considère que « cette liberté implique aujourd’hui, eu égard au développement généralisé d’Internet et à son importance pour la participation à la vie démocratique et à l’expression des idées et des opinions, la liberté d’accéder à ces services de communication au public en ligne ». Autrement dit l’Internet n’est pas un outil utilisé exclusivement pour la contrefaçon d’œuvres protégées mais également pour l’exercice de la vie citoyenne comme s’informer sur ses droits et obligations, se cultiver de manière général, s’exprimer, voire même déclarer et payer ses impôts ! Ainsi est clairement consacré le caractère fondamental de l’accès Internet qui relève de la liberté de communication et d’expression.
Dès lors, seul un juge peut prononcer une sanction ayant pour effet de restreindre une telle liberté et non une AAI, pour que soit garantie le respect des droits de la défense ainsi que le principe de légalité des délits et des peines. Tel n’était pas le cas s’agissant d’une suspension de l’abonnement Internet prononcée par l’HADOPI :
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d’une part, cette mesure consistait en réalité en une restriction d’une liberté fondamentale, donc qui relève de la compétence du juge ;
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d’autre part, le texte établissait une « présomption de culpabilité » du titulaire de l’abonnement Internet à charge pour lui d’établir, pour s’exonérer, que les faits reprochés ont été réalisés par des tiers. Pour le Conseil, une telle présomption de culpabilité méconnait le principe de la présomption d’innocence inscrit dans l’article 9 de la DDHC
Pour ces raisons, le Conseil Constitutionnel a censuré tout le volet répressif du texte qui donnait à l’HADOPI des pouvoirs de sanction. C’est un nouveau désaveu cinglant de la riposte graduée.
Pour autant, la Haute Juridiction n’a pas « boudé » la nécessaire protection de la propriété intellectuelle. Elle déclare en effet que « la lutte contre les pratiques de contrefaçon qui se développent sur Internet répond à l’objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle », cette dernière faisant partie des droits de l’homme au titre du droit de propriété (art. 2 et 17 de la DDHC). A ce titre, la collecte des adresses IP par l’HADOPI en vue d’identifier les titulaires d’un abonnement Internet s’adonnant à la contrefaçon en ligne n’est pas illicite dès lors qu’elle a pour unique finalité de permettre aux victimes de ces agissements d’exercer leurs voies de recours. Une telle collecte est donc possible puisqu’elle s’inscrit dans une phase préalable au lancement d’une procédure judiciaire. Elle ne constitue cependant pas un blanc seing à l’interception des échanges ou de la correspondance privée.
Et le Conseil de préciser qu’une telle intervention de l’HADOPI préalablement à toute procédure judiciaire est même « justifié par l’ampleur des contrefaçons commises au moyen d’Internet et l’utilité, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de limiter le nombre d’infractions dont l’autorité judiciaire sera saisie ». En d’autre termes l’HADOPI peut et doit prévenir, pas guérir !
« HADOPI 2 » : une obstination à vouloir suspendre malgré tout les abonnements Internet
Dépouillé de son pouvoir de sanction, l’HADOPI semble n’être devenu qu’une coquille vide avec pour seule prérogatives la collecte des adresses IP des contrevenants et l’envoi de messages d’avertissements, préalablement aux poursuites judiciaires. Subsistent également ses missions d’encouragement d’une offre légale et de conciliation des dispositifs anticopies avec l’exception de copie privée (succédant ainsi à l’ARMTP issue de la loi DADVSI de 2006). Une simple fonction pédagogique, comme le déclarait elle-même l’ex Ministre de la Culture Christine Albanel.
Or l’annonce faite par cette dernière juste avant son départ du Ministère de la Culture « d’articuler la fonction pédagogique de la Hadopi avec l’intervention du juge » dans le cadre de « procédures accélérées » a de quoi surprendre : créer des juridictions spécialisées ou un juge unique rendrait une décision rapide et sans débats en matière de téléchargement illégal.
Tel est pourtant l’esprit du tout nouveau projet de loi relatif à la protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur Internet (déjà rebaptisé « HADOPI 2 ») présenté cette fois par le Ministère de la justice et qui réintroduit la question de la suspension de l’abonnement Internet mais cette fois prononcé par un juge.
Ce texte prévoit :
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qu’en matière de contrefaçon d’œuvres de l’esprit réalisées par le biais d’un service de communication au public en ligne (site Internet) ou de communications électroniques s’applique une procédure pénale simplifiée menée par un juge unique sur la base des articles 398-1 et 495 du code de procédure pénale (CPP).
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qu’en cas d’infractions constatées par l’HADOPI, la suspension de l’abonnement Internet peut être ordonnée comme peine complémentaire c’est-à-dire une peine qui s’ajoute à une peine principale laquelle ne peut être que celle prévue en matière de contrefaçon d’œuvres de l’esprit : 3 ans d’emprisonnement et 300 000 € d’amende. En d’autres termes, tout contrevenant s’exposerait désormais à une double peine si son adresse IP est collectée par l’HADOPI.
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qu’en cas de suspension, le contrevenant devra continuer à payer son abonnement ainsi que les frais d’une éventuelle résiliation ; il pourra néanmoins continuer à bénéficier des autres services lorsque sa connexion Internet fera partie d’une offre composite type double, triple ou quadruple play.
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que le FAI qui ne mettrait pas en œuvre une suspension qui lui aurait été notifié encourrait une amende de 3 750 €
S’agissant de la procédure simplifiée de l’article 495 et suivant du CPP, celle-ci existe principalement en matière de contraventions au code de la route ou encore consommation de produits stupéfiants…auxquels on ajouterait désormais les infractions aux droits d’auteur ! Elle permet au juge de statuer sans débats contradictoire préalable par une ordonnance motivée portant relaxe ou condamnation à une amende assortie de peines complémentaires, ces dernières pouvant également être prononcées à titre principal, à l’exclusion de toute peine de prison.
Encore faut-il que les faits reprochés soient établis et qu’il soit démontré que le contrevenant dispose de ressources suffisantes « pour permettre la détermination de la peine » autrement dit le montant de l’amende ! Au contraire, si le juge estime qu’un emprisonnement doit être prononcé ou qu’un débat contradictoire est nécessaire, il doit renvoyer l’affaire au Ministère public.
Toutefois, la procédure simplifiée n’est pas applicable :
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Si le prévenu était âgé de moins de dix-huit ans au jour de l’infraction ; or bon nombre de « pirates » en ligne sont mineurs, ce qui risque à l’inverse de mobiliser les juridictions pénales pour mineurs.
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Si la victime a formulé, au cours de l’enquête une demande de dommages et intérêts ou de restitution, ou a fait directement citer le prévenu avant qu’une ordonnance sur procédure simplifiée ait été rendue. Autrement dit la procédure simplifiée reste de l’initiative du Ministère public sur la base des éléments collecté par l’HADOPI afin de faire cesser un trouble à l’ordre public. Elle permet d’aboutir à une condamnation pénale rapide mais ne permet pas en revanche à la victime d’obtenir une décision se prononçant sur la réparation de son préjudice.
Puisque l’ordonnance est rendue sans débats contradictoire, le prévenu est informé par lettre recommandé avec accusé réception. Il dispose alors de quarante-cinq jours pour former opposition à celle-ci, ce qui entrainera un débat contradictoire devant le tribunal correctionnel lequel pourra prononcer une peine d’emprisonnement. A défaut, l’ordonnance devient définitive et acquiert force de chose jugée, sauf à l’égard de l’action civile en réparation des dommages causés par l’infraction. Autrement dit, une fois l’ordonnance définitive, la victime (donc le détenteur de droits lésé) pourrait à ce stade demander la réparation du préjudice subi.
Il y a quelque chose de profondément inquiétant pour la garantie des droits de la défense dans ce mécanisme judiciaire totalement « automatisé » : même si la contradiction peut être ultérieurement rétabli par voie d’opposition, il n’en demeure pas moins qu’une sanction peut être prononcé en l’absence de tout débat ; quid alors de la présomption d’innocence justement souligné par les Sages de la rue Montpensier ?
Par une pirouette juridique entre des textes du CPP, on réintroduit subtilement la suspension de l’abonnement Internet de manière apparemment conforme au principe de légalité des délits et des peines puisqu’elle devient une peine complémentaire à la peine principale applicable en matière de contrefaçon de droits d’auteur. On est loin de l’adoucissement des peines vantées à l’époque par les défenseurs de la loi HADOPI dans sa version initiale pour justifier les mérites de son volet répressif !
On peut valablement s’interroger sur la validité des moyens de preuves obtenus via la collecte des adresses IP au regard du considérant 17 de la décision du Conseil Constitutionnel puisque les Sages rejettent toute présomption de culpabilité du titulaire de l’abonnement Internet : qui va-t-on poursuivre alors lorsqu’une adresse IP désignera nécessairement le titulaire d’un abonnement Internet ?
Enfin, la mention des réseaux de communication électronique inclut désormais dans la chasse à la contrefaçon en ligne tout mode de communication y compris les téléphones mobiles ou encore les méls : quid du secret des correspondances et du droit au respect à la vie privée ?
Au final ce mécanisme n’est pas sans rappeler celui des radars qui « flashent » les automobilistes en excès de vitesse et transmet les contraventions par voie postale… sauf que dans ce scénario, c’est l’internaute qui se retrouve « flashé » sur les autoroutes de l’information !
Cette volonté de vouloir à tout prix « contraventionnaliser » le délit de contrefaçon en ligne d’œuvres de l’esprit à l’exemple des radars d’autoroutes ne nous apparaît pas saine tant vis-à-vis de la classification des infractions qu’au regard de la garantie des droits de la défense.
De quoi présager de houleux débats parlementaires pour une énième fois !