L’hébergement Web 2.0 selon le TGI de Paris
Publié le 02/12/2008 par Thibault Verbiest, Bertrand Vandevelde
Le récent jugement du TGI de Paris (affaire Lafesse c. YouTube), fait le tour de plusieurs questions relatives à l’hébergement Web 2.0., notamment : la définition de cette activité ; la responsabilité ; la qualité des constats d’huissier ; les obligations en matière de conservations des données personnelles. L’occasion de faire le tour de ces questions …
Deux définitions qui s’excluent l’une l’autre
Le TGI parcourt la LCEN et en retient deux définitions : celle de l’hébergeur à partir de l’article 6.I-2 et celle de l’éditeur au travers de son analyse des articles 6.I-1 et 6.III-1. Selon le Tribunal, l’activité de YOUTUBE ne peut que correspondre à une de ces deux réalités qui s’excluent l’une l’autre.
Le TGI rappelle l’article 6.I-2 : « l’article 6.I-2 de la LCEN définit les hébergeurs comme étant des personnes mettant à la disposition du public, par les services de communication au public en ligne, le stockage de signaux écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services. » Le Tribunal caractérise alors affirmativement l’activité de YouTube comme étant celle d’un hébergeur au service des internautes : « un service consistant en une plate-forme d’hébergement de vidéos en ligne…celui-ci offre aux utilisateurs de chercher, de regarder ou de mettre en ligne des vidéos afin d’en permettre un accès sur Internet. Cette plate-forme est employée tant par des utilisateurs amateurs que par des utilisateurs professionnels. »
Le Tribunal écarte ensuite la qualité d’éditeur de YOUTUBE et, appliquant l’exclusion, affirme le statut d’hébergeur : « la société YOUYUBE ne peut être qualifié d’éditeur eu sens de la LCEN et doit en conséquence se voir appliquer le régime de responsabilité réservé aux hébergeurs, étant observé à toutes fins que seul est applicable l’un de ces deux statuts. »
Définition novatrice de l’éditeur
« L’éditeur est défini par cette loi comme étant la personne qui détermine les contenus devant être mis à la disposition du public sur le service qu’elle a créé ou dont elle a la charge. »
Cette définition (novatrice) s’oppose à celle de l’hébergement parce que cette dernière repose précisément sur le fait que l’hébergeur n’est pas personnellement à l’origine des contenus diffusés.
Jean-Yves Lafesse argumente cependant que YOUTUBE gère une ligne éditoriale, opère des sélections sur les contenus, réencode les vidéos des internautes dans son propre format. Ces arguments avaient précédemment été utilisés avec efficacité contre d’autres Intermédiaires Web 2.0 (à Nanterre (TGI Nanterre, 28 février 2008, Olivier D. c/ Eric D) et à Paris dans l’affaire Fuzz (TGI Paris, 26 mars 2008, Olivier M. c/ Bloobox Net).
Le TGI rejette maintenant ce débat et affirme qu’il est hors de propos avec le texte de la LCEN. Seul le critère du choix des contenus voulu par le législateur est à prendre en compte.
De plus, le TGI remarque que ce débat est certainement un faux débat parce que les arguments avancés par Monsieur Lafesse ne sont en réalité que des contraintes techniques auxquelles un site tel que YOUTUBE est obligé de faire face. Le Tribunal rappelle avec raison que c’est le métier de l’hébergement que de permettre de surmonter ce genre de contraintes technique : « c’est pour répondre à des contraintes d’ordre purement technique que la société YOUTUBE définit le format des fichiers…, le but étant de limiter les risques d’incompatibilités de certains fichiers et d’optimaliser la capacité d’intégration des serveurs. Cet objectif relève très exactement du rôle du prestataire technique, sans confusion avec la fonction d’éditeur, aucun choix des contenus ni aucune intervention sur ceux-ci n’étant opérés. »
Dans l’affaire Fuzz, la Cour d’appel de Paris (Cour d’appel de Paris, 21 novembre 2008, Bloobox Net / Olivier M) vient de confirmer le revirement opéré par le TGI.
Jean-Yves Lafesse utilise encore un autre argument qui avait fait mouche contre MySpace : celui du profit réalisé par les hébergeurs. Selon la décision du même TGI de Paris du 22 juin 2007 le profit serait caractéristique de la qualité d’éditeur.
Inversant ici encore sa jurisprudence, le TGI balaie l’argument en rappelant que la LCEN n’interdit pas aux hébergeurs de faire des profits, surtout si les profits tirés de la publicité permettent d’offrir un service gratuit aux internautes.
Définition de l’illicite et fonctionnement du régime de responsabilité
Reprenant la distinction établie en 2004 par le Conseil Constitutionnel, le TGI explicite la distinction entre les contenus manifestement illicites et illicites et l’applique au régime de responsabilité de l’article 6.I-2 : « Hormis pour les diffusions expressément visées par la loi, relatives à la pornographie enfantine, à l’apologie des crimes contre l’humanité et à l’incitation à la haine raciale, que l’hébergeur doit déréférencer de lui-même, sans attendre de décision de justice, sa responsabilité ne peut être retenue que s’il a une connaissance effective du caractère manifestement illicite des informations stockées ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère. »
Notification selon l’article 6.I-5 LCEN et constats d’huissier
La présentation du régime de responsabilité insiste donc sur la distinction entre les types de contenus et fait de la connaissance du caractère illicite (et donc du caractère spontané du retrait) le moment charnière initiant la question de la responsabilité.
Le Tribunal insiste par conséquent sur la manière complète dont la connaissance de la présence en ligne d’un contenu illicite est portée à l’hébergeur.
Pour permettre à l’hébergeur de retrouver dans la masse de documents mis en ligne ceux qui sont illicites, les conditions de l’article 6.I-5 doivent être suivies avec précision. « L’internaute se prétendant victime doit faire la description des faits litigieux et donner leur localisation précise ainsi que les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré comprenant la mention des dispositions légales et des justifications des faits. »
Les premières mises en demeure adressées par Monsieur Lafesse ne comportaient que des références imprécises aux œuvres et ne livraient pas d’éléments d’identification des pages HTML litigieuses. Ces mises en demeure étaient donc insuffisantes.
Par contre, plus tardivement, les procès-verbaux de constat produits par Monsieur Lafesse comportèrent :
- Le protocole suivi pour relever l’existence des pages contrefaisantes ;
- La mention des adresses URL correspondantes ;
- Les captures d’écran des constats révélant, outre l’adresse URL visible dans la barre d’adresse du navigateur employé, une partie de la séquence litigieuse laissant apparaître l’image de l’artiste, son nom ou tout autre élément de son œuvre, ainsi que l’identifiant de l’auteur de la mise en ligne.
Tous ces éléments constituent le minimum permettant de rencontrer le prescrit de l’article 6.I-5 et donc d’enclencher la question de la responsabilité de l’hébergeur.
Notons que dans cette affaire, YOUTUBE avait argumenté sur le fait que les couleurs des captures d’écran montraient que ces captures avaient été réalisées à partir de pages déjà visitées au moins une fois. Le Tribunal a estimé que le fait de vider le cache du navigateur une première fois avant de commencer les différents constats était suffisant.
Les données personnelles à collecter par les hébergeurs
Un nombre important de sites Web 2.0 fonctionnent selon le principe de l’anonymat des internautes postant des contenus en ligne. Les internautes participent d’autant plus volontiers aux contenus en ligne qu’ils sont assurés d’être anonymes. Se joue donc tout particulièrement dans le Web 2.0 la question des limites de la liberté d’expression.
Le TGI rappelle que selon l’article 6.II de la LCEN, les hébergeurs doivent fournir aux éditeurs de services les moyens de communiquer ces données et doivent ensuite conserver « les données de nature à permettre l’identification de quiconque à contribué à la création des contenus des services dont ils sont les prestataires ». Le TGI rappelle également que les internautes postant des contenus sur YOUTUBE sont des éditeurs de service en ligne au sens de l’article 6.III-1 de la LCEN.
Même en l’absence du décret d’application de l’article 6.III deux conséquences en découlent:
- YOUTUBE devait fournir aux internautes la possibilité de lui communiquer leurs noms, prénoms, domicile et numéro de téléphone.
- YOUTUBE devait également conserver ces données.
Le Tribunal constate que YOUTUBE collecte seulement les noms d’utilisateur, les adresses Email et les adresses IP. YOUTUBE est donc fautif.
Notons que le Tribunal ne discute pas de la distinction faite par l’article 6.III en ses points 1 et 2 parce qu’il est seulement saisi de la question de la responsabilité de YOUTUBE.
Selon le point 1 de l’article 6.III, les éditeurs professionnels doivent mettre à la disposition de l’hébergeur ET du public les informations citées plus haut.
Selon le point 2, les éditeurs non-professionnels « peuvent ne tenir à la disposition du public, pour préserver leur anonymat, que le nom, la dénomination ou la raison sociale et l’adresse du prestataire mentionné au 2 du I [l’hébergeur], sous réserve de lui avoir communiqué les éléments d’identification personnelle prévus au 1 ».
En pratique donc, les éditeurs non-professionnels (auxquels correspondent la majorité des internautes) sont anonymes par rapport au public mais ils doivent communiquer leurs nom, prénoms, domicile et numéro de téléphone à l’hébergeur. Ce dernier est tenu par le secret professionnel et ne pourrait les rendre publics. Seule l’autorité judiciaire pourrait ordonner à l’hébergeur de lui fournir les informations qu’il détient. Anonymat et mise en œuvre de la justice sont donc garantis.
Retour en ligne de contenus déjà signalés
Dans la discussion YOUTUBE a expliqué au Tribunal son système d’empreinte des contenus.
Le Tribunal, « après avoir observé que ce dernier [YOUTUBE] dispose des moyens nécessaires à assurer le retrait des vidéos litigieuses et à rendre impossible de nouvelles mises en ligne, il y a lieu d’enjoindre, en tant que de besoin, à la société YOUTUBE de faire cesser par tout moyen toute rediffusion des œuvres…sous astreinte de 150 EUR par infraction constatée ».
Le TGI confirme sa jurisprudence (TGI Paris, 19/10/2007, S.A.R.L. Zadig Productions c/ Google Inc.). Alerté une première fois pour un contenu particulier, l’hébergeur est tenu d’empêcher tout retour en ligne dudit contenu.
Conclusion
Le jugement du 14 novembre 2008 rendu par le TGI de Paris constitue un petit manuel de l’hébergement Web 2.0.
Tout ou presque y est abordé en évitant le flou ; les réalités techniques sous-jacentes sont prises en compte ; les conséquences pratiques du régime de responsabilité sont énoncées. De telle sorte qu’un Intermédiaire de l’Internet fournissant un service de type Web 2.0 doit le suivre afin d’exercer son activité en totale conformité avec les prescrits de la LCEN et les prescrits dégagés par la jurisprudence depuis quelques années.