L’Europe met en demeure Twitter qui ne lutte pas assez contre les fake news
Publié le 01/03/2019 par Etienne Wery
On appelle cela une “déclaration d’étape”, mais en termes clairs c’est une mise en demeure qui est adressée à Facebook, Google et Twitter. Les progrès que ces trois plateformes ont accomplis en janvier 2019 pour lutter contre la désinformation, sont insuffisants. Pourtant, elles sont signataires d’un code de bonne conduite. Ces plateformes devront rendre compte mensuellement de leurs actions d’ici les élections au Parlement européen de mai 2019.
Nous l’annoncions en décembre 2018 : l’Europe a peur d’une manipulation des élections européennes de 2019. Elle ne veut pas vivre de Russiagate à l’américaine. Dans cette perspective, la Commission européenne avait présenté un plan d’action incluant la signature d’un code de bonnes pratiques auquel les plus gros acteurs d’Internet ont adhéré.
Il y a cinq domaines principaux dans lesquels une action est requise :
- tarir les ressources publicitaires des comptes et des sites web qui déforment les informations et fournir aux annonceurs des outils de sécurité adéquats et des informations sur les sites web propageant de la désinformation;
- permettre la publication de la publicité à caractère politique et s’efforcer de divulguer des publicités engagées;
- avoir une politique claire et accessible au public en ce qui concerne l’identité et les robots en ligne et prendre des mesures pour fermer les faux comptes;
- offrir des informations et des outils pour aider les citoyens à prendre des décisions en connaissance de cause, et faciliter l’accès à une diversité de points de vue sur des sujets d’intérêt général, tout en donnant la priorité aux sources fiables;
- fournir aux chercheurs un accès aux données qui soit respectueux de la vie privée, pour leur permettre de cerner et de mieux comprendre la propagation et l’incidence de la désinformation.
La Commission a présenté un rapport d’étape : elle est très insatisfaite : “ (…) il faudrait que les plateformes en ligne progressent davantage dans la concrétisation des engagements qu’elles ont pris pour lutter contre la désinformation. Ces dernières n’ont pas fourni suffisamment d’informations montrant qu’elles déploient en temps utile des stratégies et outils nouveaux dans tous les États membres de l’UE, en y consacrant les ressources suffisantes. Les rapports donnent trop peu d’informations sur les résultats réels des mesures déjà prises.”
Principaux résultats intermédiaires
Facebook n’a pas rendu compte des résultats des activités entreprises en janvier concernant le contrôle des placements de publicité. Il avait déjà annoncé la mise à disposition, en mars 2019, d’une archive à l’échelle de l’UE de publicités à caractère politique et thématique. Le rapport fait le point sur les cas d’ingérence de la part de pays tiers dans certains États membres de l’Union, mais ne rend aucun compte du nombre de faux comptes supprimés en raison d’activités malveillantes spécifiquement dirigées contre l’Union européenne.
Google a fourni des données, ventilées par État membre, relatives aux mesures prises en janvier pour améliorer le contrôle des placements de publicité dans l’UE. Toutefois, les paramètres fournis ne sont pas suffisamment spécifiques et ne précisent pas la mesure dans laquelle les actions ont été menées pour lutter contre la désinformation ou pour d’autres raisons (publicité trompeuse, par exemple). Google a publié, le 29 janvier, une nouvelle politique en matière de «publicités électorales», et lancera la publication d’un rapport sur la transparence en matière de publicité électorale dès que les annonceurs auront commencé à placer des publicités de ce type. Google n’a pas fourni d’éléments prouvant la mise en œuvre concrète de ses politiques en matière d’intégrité des services pour le mois de janvier.
Twitter n’a pas fourni d’indicateurs permettant d’évaluer ses engagements en vue d’améliorer le contrôle des placements de publicité. Contrairement à ce qui avait été annoncé dans le rapport de mise en œuvre en janvier, Twitter a reporté jusqu’au rapport de février sa décision concernant la transparence des publicités à caractère politique. Quant à l’intégrité des services, Twitter a ajouté cinq nouvelles séries de comptes à ses archives d’opérations étrangères potentielles, accessibles au public et consultables, dont un grand nombre de comptes dans des pays tiers, mais sans communiquer sur les paramètres permettant de mesurer les progrès accomplis.
Prochaines étapes
Pour mettre plus fortement la pression, les rapports exigés seront désormais mensuels, et cela au moins jusqu’aux élections européennes de mai 2019.
De quoi a-t-on peur?
Il y a différentes formes que peut prendre une intervention extérieure dans un processus électoral.
On a évidemment l’intervention frontale, brutale, visant à modifier un rapport d’élection ou truquer un mécanisme électronique. Aux USA, le procureur spécial chargé du Russiagate analyse ce point, mais c’est une hypothèse assez rare. On trouve plus d’interventions de ce type dans les films de Hollywood que dans la vraie vie, tout simplement parce que le risque de se faire prendre est élevé et que les conséquences deviennent vite incontrôlables.
L’intervention la plus fréquente est sournoise : elle consiste à noyer les réseaux sociaux de messages, personnalisés souvent, tendant à orienter les perceptions des électeurs afin de les amener à voter dans un sens déterminé. On en a beaucoup parlé dans l’affaire Cambridge Analytica.
Exemple : imaginons un Etat qui voudrait faire imploser l’Union européenne. En aidant les partis nationalistes un peu partout en Europe grâce à des interventions sournoises sur le net, destinées à accroitre le sentiment d’insécurité ou stimuler les thèmes nationalistes habituels, il y a moyen d’augmenter significativement leur succès électoral et affaiblir très rapidemment le processus d’intégration européenne. C’est bien de cela dont on a très peur à Bruxelles.