Les nouvelles technologies et l’alimentation : la problématique des allégations nutritionnelles et de santé
Publié le 06/04/2016 par Etienne Wery
Dans un récent jugement du TPI, le Tribunal confirme que plusieurs allégations de santé relatives au glucose ne peuvent pas être autorisées. La Commission n’a pas commis d’erreur en constatant que ces allégations encourageaient la consommation de sucre, alors qu’un tel encouragement est incompatible avec les principes nutritionnels et de santé généralement admis.
Les nouvelles technologies et l’alimentation
Il y a longtemps que les nouvelles technologies ont quitté le domaine restreint de l’informatique et des technologies de la communication, pour pénétrer l’ensemble des activités de notre société.
L’agroalimentaire ne fait pas exception.
Entre le développement d’aliments plus sains, les OGM, les molécules de synthèse et les alicaments (contraction des termes aliments et médicaments), certaines entreprises agroalimentaires disposent de laboratoires de R&D qui n’ont rien à envier au secteur pharmaceutique. Certains produits alimentaires sont développés en coordination avec la Nasa et testés dans l’espace.
Le développement des nouvelles technologies est tel dans le secteur agroalimentaire que l’on assiste par exemple à des rapprochements entre les outils de quantified self et l’alimentation.
Demain, votre montre connectée ne servira pas seulement à relever les battements cardiaques, la pression, le poids et le taux de glucose pour envoyer de façon automatisée vos données vitales à votre médecin ; elle pourra également vérifier en temps réel l’équilibre sanguin et corriger les éventuelles déficiences quasiment en temps réel en recommandant la consommation de compléments alimentaires spécifiques à telle ou telle personne. Une alimentation corrigée individualisée. Savoir si cela relève du progrès, du gadget ou de la régression est une opinion personnelle ; toujours est-il que la technologie sera disponible.
L’expo universelle de 2015 qui s’est tenue à Milan, sur le thème « nourrir la planète, énergie pour la vie », ressemblait autant à un forum consacré à l’alimentation, qu’à un salon de geeks, de développeurs et de savants.
Des problématiques juridiques spécifiques
L’innovation dans le secteur de l’alimentation pose des problématiques juridiques spécifiques.
La première est évidemment liée au fait que l’alimentation est par définition destinée à être ingérée. C’est l’évidence s’agissant de l’alimentation humaine. C’est également le cas pour l’alimentation animale chaque fois que l’animal en question est lui-même mangé par l’être humain. En raison de cette ingestion, directe ou indirecte, il y a des problématiques spécifiques qui se posent, non seulement sur le plan psychologique mais également sur le plan de la santé et du droit. Le débat sur les OGM fait partie de cette problématique.
Une autre problématique spécifique qui émerge de plus en plus est le lien entre la propriété intellectuelle et industrielle, et l’alimentation. Par exemple :
· Peut-on accepter que certains s’approprient des savoir-faire ancestraux sous couvert de propriété intellectuelle ?
· Doit-on accepter que le développement des brevets puisse interférer avec le besoin naturel irrépressible de tout être humain de s’alimenter ?
· Comment articuler le droit des licences avec la liberté d’entreprendre et certains droits fondamentaux ? L’entreprise Monsanto est par exemple régulièrement dénoncée comme tentant de restreindre les techniques ancestrales des agriculteurs des pays en voie de développement par le biais de contrats de licence excessifs.
Une troisième problématique que l’on rencontre fréquemment pose la question de la privatisation directe ou indirecte de l’alimentation. Le cas de l’eau est un bel exemple. Appartient-il aux Etats de faire les efforts qu’il faut pour que la population puisse accéder à cette ressource naturelle indispensable et parfois rare, ou doit-on privilégier la voie proposée par les industriels ? Les deux ne sont pas toujours compatibles, et les enjeux sociétaux sont aussi colossaux que les enjeux économiques.
La problématique des allégations nutritionnelles et de santé
Il y a également la question des allégations : lorsqu’un produit alimentaire signale, sur son packaging, qu’il est bon pour la santé, le consommateur aura généralement un a priori favorable.
On fait la différence entre l’allégation nutritionnelle (celle qui suggère qu’une denrée alimentaire possède des propriétés nutritionnelles bénéfiques, par exemple les œufs à faible teneur en cholestérol ou un jus d’orange sans sucre ajouté) et l’allégation de santé (celle qui suggère un lien entre l’alimentation et la santé, par exemple pour les margarines qui réduisent le taux de cholestérol, les ferments qui renforcent les défenses naturelles de l’organisme ou encore certains aliments riches en substances supposées améliorer les capacités d’apprentissage).
En raison d’un certain nombre d’excès, un cadre juridique a très rapidement été mis en place.
En décembre 2006, l’UE a adopté un règlement concernant l’utilisation des allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires. Ce règlement établit des règles harmonisées au niveau de l’Union pour l’utilisation des allégations nutritionnelles et de santé, basées sur des profils nutritionnels. Les profils nutritionnels définissent les exigences nutritionnelles globales auxquelles doivent satisfaire les aliments afin de pouvoir faire l’objet d’allégations nutritionnelles et de santé spécifiques. Un des objectifs clés de ce règlement est de garantir que toute allégation figurant sur l’étiquette d’un aliment vendu au sein de l’UE soit claire et justifiée par des preuves scientifiques. (http://www.efsa.europa.eu/fr/topics/topic/nutrition)
L’affaire Dextro Energy
La société allemande Dextro Energy fabrique des produits de différents formats composés presque entièrement du sucre glucose pour les marchés allemand et européen. Le cube classique se compose de huit tablettes de glucose de 6 grammes chacune.
En 2011, Dextro Energy avait demandé l’autorisation d’utiliser les allégations de santé suivantes : « le glucose est métabolisé dans le cadre du métabolisme énergétique normal de l’organisme », « le glucose contribue au bon fonctionnement du métabolisme énergétique », « le glucose soutient l’activité physique », « le glucose contribue au bon fonctionnement du métabolisme énergétique au cours de l’activité physique » et « le glucose contribue à une fonction musculaire normale au cours de l’activité physique ».
Malgré l’avis positif de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui considérait qu’un lien de cause à effet pouvait être établi entre la consommation de glucose et le bon fonctionnement du métabolisme énergétique, la Commission a refusé d’autoriser ces allégations de santé en janvier 2015.
La Commission estimait en effet que les allégations de santé en cause envoyaient un message contradictoire et ambigu aux consommateurs, car elles encourageaient la consommation de sucre, dont les autorités nationales et internationales recommandent pourtant la réduction sur la base d’avis scientifiques généralement admis.
Même à supposer que ces allégations de santé ne soient autorisées que dans des conditions d’utilisation spécifiques et/ou soient accompagnées de mentions ou d’avertissements supplémentaires, la Commission considérait que le message n’en était pas moins confus pour le consommateur si bien que les allégations en cause ne devaient pas être autorisées.
Par son arrêt du 16 mars, le Tribunal de l’Union européenne rejette le recours introduit par Dextro Energy et confirme ainsi la décision de la Commission (aff. T-100/15).
Le Tribunal souligne notamment que, bien qu’elle n’ait pas remis en cause l’avis de l’EFSA (cette autorité ayant seulement pour tâche de vérifier si les allégations de santé se fondent sur des preuves scientifiques et si le libellé des allégations répond à certains critères), la Commission doit, dans le cadre de la gestion des risques, tenir compte de la législation applicable de l’Union ainsi que d’autres facteurs légitimes et pertinents.
Le consommateur moyen devant, selon les principes nutritionnels et de santé généralement admis, réduire sa consommation de sucre, la Commission n’a commis aucune erreur en constatant que les allégations de santé en cause, qui mettent uniquement en avant les effets bénéfiques du glucose pour le métabolisme énergétique sans évoquer les dangers inhérents à la consommation accrue de sucre, étaient ambiguës et trompeuses et ne pouvaient, dès lors, être autorisées.
Plus d’infos ?
En lisant le document de l’Efsa « questions fréquemment posées » en matière d’allégations nutritionnelles et de santé, en annexe à cette actualité.