Les ministères de la Justice et de la Santé vont s’informatiser. Avec des bonheurs différents …
Publié le 13/09/2005 par Etienne Wery
Décidément, il ne se passe plus une semaine sans que l’on parle de l’administration électronique. Récemment, le moniteur belge publiait la loi du 10 août 2005 créant le système Phenix (utilisation renforcée des nouvelles technologies pour l’administration et le fonctionnement de la justice) ; le projet est plutôt bien accueilli. Au début du mois de…
Décidément, il ne se passe plus une semaine sans que l’on parle de l’administration électronique. Récemment, le moniteur belge publiait la loi du 10 août 2005 créant le système Phenix (utilisation renforcée des nouvelles technologies pour l’administration et le fonctionnement de la justice) ; le projet est plutôt bien accueilli. Au début du mois de septembre, le ministre de responsables de la santé dévoilait son projet relatif au traitement et à l’informatisation des données ainsi qu’aux applications de la télémédecine. L’accueil qui lui a été réservé par les médecins est plutôt froid, à tel point que en sa séance du 10 septembre 2005, le conseil national de l’ordre des médecins s’est opposé au projet.
Le projet Phoenix
Conformément à la loi du 10 août 2005, le projet Phoenix a pour finalités :
- la communication interne et externe requise par le fonctionnement de la justice. La communication interne vise les communications requises pour le fonctionnement et la gestion des cours et tribunaux et de leurs parquets, ainsi que par la constitution et la gestion des dossiers de procédure. La communication externe vise la notification, la signification et la communication des actes requis par les procédures judiciaires, ainsi que la communication avec les autorités publiques destinée à la collecte des données nécessaires pour l’élaboration et la gestion des dossiers judiciaires,
- la gestion et la conservation des dossiers judiciaires,
- l’instauration d’un rôle national,
- la constitution d’une banque de données de jurisprudence,
- l’élaboration de statistiques,
- l’aide à la gestion et l’administration des institutions judiciaires. Par exemple, Il est créé au sein de Phenix un répertoire central des adresses judiciaires électroniques (et d’autres informations dont le roi arrête la liste), accessible aux membres de l’ordre judiciaire et aux auxiliaires de justice, ainsi qu’à d’autres catégories de personnes déterminées par le Roi sur proposition du comité de gestion et après avis du comité de surveillance.
Le cas particulier des banques de données de jurisprudence : que faire des noms des parties ?
Signalons qu’au niveau de la jurisprudence, la loi crée en réalité de banques de données :
- La banque de données de jurisprudence interne comprend toutes les décisions des juridictions dans leur intégralité. Les décisions de chaque juridiction sont accessibles aux seuls membres de cette juridiction. Les membres de l’ordre judiciaire y accèdent uniquement afin d’exercer leur tâche professionnelle.
Le Roi détermine, sur proposition du comité de gestion et après avis du comité de surveillance les règles de pérennité des données, les modalités d’accès et les catégories de personnes ayant accès à cette banque, ainsi que les mesures de sécurité particulières de cette banque de données.
- La banque de données de jurisprudence externe comprend les décisions sélectionnées par chaque juridiction, conformément aux règles de sélection déterminées par le comité de gestion, après consultation du comité des utilisateurs. Les décisions sélectionnées contenant des données à caractère personnel sont en règle générale anonymisées.
Le Roi détermine, sur proposition du comité de gestion et après avis du comité de surveillance, les modalités d’anonymisation des décisions, les exceptions pouvant être requises à cette règle pour la compréhension des décisions, ainsi que la manière dont les personnes citées dans les décisions peuvent s’opposer, le cas échéant, à la mention dans les décisions publiées de données à caractère personnel les concernant.
C’est évidemment la banque de données externes qui intéressera au premier chef le public et les avocats.
La question de l’anonymisation des décisions de justice interpelle depuis longtemps l’ensemble des professionnels du droit, surtout lorsque l’on envisage la numérisation et la mise en ligne des décisions, compte tenu des possibilités de recoupements et de profilage.
Les principes de publicité des décisions de justice et de l’accès au droit ne peuvent en effet justifier que les données nominatives contenues dans celles-ci soit utilisées à des fins détournées.
Le problème est tellement aigu que la cour de cassation française, dans son rapport d’activité pour l’année 2000 s’est d’ailleurs fait l’écho de cette problématique (voir le rapport annuel de la Cour de cassation pour l’année 2000, « La question de l’anonymisation des décisions de justice », étude de Monsieur Emmanuel Lesueur de Givry).
En matière civile, il faut éviter que les possibilités de recoupements ne débouchent sur la création d’une espèce de casiers judiciaires civile. Ce souci est d’autant plus justifié que la justice civile ou pose des personnes physiques ou morales entre elles, et que la société représentée par le procureur y est finalement largement absente. Il n’y a donc pas, comme le notait le Doyen Perdriau, « une vertu d’exemplarité aux jugements civils qui, au contraire de ceux rendus par les juridictions répressives, n’ont pas à désigner à l’attention de tiers les personnes condamnées, pour l’édification des premiers et à titre de supplément de peine pour les secondes » (« L’anonymisation des jugements civils », André Perdriau, JCP. Ed. G, n°37, 15 septembre 1999, p. 1613).
En matière pénale, les risques sont encore plus grands.
Tout est donc question d’équilibre.
D’un côté, le droit à l’information est incontestable comme le soulignait Guillaume Desgens-Pasanau dans un précédent article publié sur notre site :
L’information du public sur la justice est une véritable liberté publique. Elle s’inscrit dans le cadre des garanties fondamentales accordées à tout justiciable par le droit français et européen (voir en particulier l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales telle qu’amendée par le Protocole n°11 entré en vigueur le 1er novembre 1998.). Dans ce cadre, le nouveau Code de procédure civile (Voir notamment l’article 451 du nouveau du Code de procédure civile qui dispose que « Les décisions contentieuses sont prononcées publiquement et les décisions gracieuses hors la présence du public, le tout sous réserve des dispositions particulières à certaines matières ». On ajoutera que la jurisprudence européenne admet que le dépôt au greffe du jugement rendu, avec possibilité de consultation par les tiers, vaut publicité.) pose le principe du prononcé public des décisions de justice. De même, l’article 11-3 de la loi n° 72-626 en date du 5 juillet 1972 (loi n°72-626 du 05 Juillet 1972 instituant un juge de l’exécution et relative à la réforme de la procédure civile.) dispose que « les tiers sont en droit de se faire délivrer copie des jugements prononcés publiquement ».
La diffusion de l’information judiciaire au public contribue aujourd’hui à l’effectivité du principe du prononcé public des décisions. Cette diffusion est facilitée par la technologie. La diffusion de données de jurisprudence sur Internet est même devenue une « mission de service public » (Voir la réponse à la question parlementaire de Monsieur Yves Coussain, J.O.R.F. n°47 A.N. du 20 novembre 2000) de nature à donner pleine effectivité aux droits des citoyens, notamment dans leurs relations avec les administrations, tels que posés par la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 (loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations), et à favoriser l’égal accès de tous les justiciables à la justice (voir le décret n°96-181 du 31 mai 1996 portant création du Service public des bases de données juridiques ). Cette démarche s’est par ailleurs enrichie des conclusions d’un rapport remis en novembre 1999 par M. Mandelkern recommandant une mise en ligne gratuite et exhaustive des données juridiques (voir le Rapport de l’Atelier « Des moyens nouveaux au service de la diffusion des données publiques », présidé par Dieudonné Mandelkern et remis à Lionel Jospin en novembre 1999).
Le prix à payer pour la diffusion du droit est parfois le renoncement à l’anonymisation. Les grandes décisions sont exclusivement connues par le nom des parties. Ne parle-t-on pas de l’arrêt « Perruche » ? Et si l’on s’intéresse aux juridictions internationales, comme la cour de justice des communautés européennes, le constat est encore plus frappant.
C’est dans ce cadre que la CNIL a récemment rendu en 2001 une recommandation concernant la diffusion de données personnelles sur Internet par les banques de données de jurisprudence (délibération CNIL n° 01-057 du 29 novembre 2001 portant recommandation concernant la diffusion de données personnelles sur Internet par les banques de données de jurisprudence ).
La CNIL rappelle que « les interrogations de ces bases de données, qui comportaient l’intégralité de la décision rendue, y compris l’identité des parties au procès, avaient quelquefois pour objet non pas la recherche de décisions présentant un intérêt juridique dans tel ou tel domaine, mais bien plutôt la recherche de l’ensemble des décisions de justice concernant une même personne. Ainsi, d’outils de documentation juridique, ces bases de données pouvaient être utilisées comme de véritables fichiers de renseignements (…) l’utilisation de moteurs de recherche renouvelle incontestablement les termes de la réflexion »
La Commission, faisant usage du principe de proportionnalité, sans préconiser d’ôter tout caractère indirectement nominatif (au sens de l’article 4 de la loi) aux décisions mises en ligne, estime qu’il serait souhaitable :
« Que les éditeurs de bases de données de décisions de justice librement accessibles sur des sites s’abstiennent d’y faire figurer le nom et l’adresse des parties au procès ou des témoins.
Que les éditeurs de bases de données de décisions de justice accessibles par Internet, moyennant paiement par abonnement ou à l’acte s’abstiennent à l’avenir d’y faire figurer l’adresse des parties au procès ou des témoins ».
La loi du 10 août 2005 a décidé de lui plus loin, puisqu’elle a créé un principe d’anonymisation assorti d’exceptions :
Le Roi détermine, sur proposition du comité de gestion et après avis du comité de surveillance, les modalités d’anonymisation des décisions, les exceptions pouvant être requises à cette règle pour la compréhension des décisions, ainsi que la manière dont les personnes citées dans les décisions peuvent s’opposer, le cas échéant, à la mention dans les décisions publiées de données à caractère personnel les concernant
Dans l’absolu, qu’il nous soit permis de douter de la pertinence de cette approche. Cela étant, c’est le fonctionnement global du système qui compte avant tout, de sorte que sans l’arrêté royal qui précisera le régime des exceptions, il est prématuré de tirer les conclusions définitives.
Le projet e-santé
En sa séance du 10 septembre 2005, le Conseil national de l’ordre des médecins a discuté le projet de loi relatif au traitement et à l’informatisation des données ainsi qu’aux applications de la télémédecine.
Le moins que l’on puisse dire c’est que l’ordre des médecins tire à boulets rouges sur le projet.
L’ordre souligne avant tout que le projet modifie la définition de la donnée personnelle relative à la santé, laquelle perdrait son caractère personnel dans certains cas permettant ainsi son utilisation en dehors du cadre des soins.
De plus, l’ordre s’insurge contre l’introduction d’un numéro d’identification de santé personnel, unique pour chaque citoyen/patient, grâce auquel l’on pourrait accéder à la totalité de ses épisodes de santé « depuis la naissance jusqu’au décès », à condition bien entendu que chaque épisode ait été rapporté par l’unité de soins ou par le médecin soignant et que toutes les institutions aient été interconnectées.
D’une part, mais ceci est propre à la profession, l’ordre regrette que l’informatisation des cabinets médicaux qui est le corollaire inévitable du projet, crée une espèce de condition supplémentaire pour la poursuite de la pratique médicale.
D’autre part, et ceci est plus fondamental vu du coté du patient, l’ordre s’inquiète pour les dérives en termes de protection de la vie privée. Et l’autorité de souligner que le cryptage des données n’est pas prévu d’office lors de leur transit sur le réseau, et que les modalités d’accès à la base de données (qui ? pourquoi ? à quelles conditions ? à quelles données ? etc.) ne sont pas claires.
Enfin, le Conseil national s’inquiète de l’utilisation qui pourrait être faite du numéro d’identification santé personnel pour d’autres finalités que les soins médicaux ou la recherche scientifique. Il convient de garantir une étanchéité du circuit d’information entre les données de santé et celles de la sécurité sociale.
Plus d’infos ?
En prenant connaissance de la loi du 10 août 2005 sur l’informatisation de la justice, disponible sur notre site Web.