Les hébergeurs français en première ligne
Publié le 26/02/1999 par Thibault Verbiest
Tous les professionnels de l’Internet français l’attendaient avec angoisse : la Cour d’appel de Paris a enfin rendu sa décision dans l’affaire, très controversée, Estelle Halliday / Valentin et Daniel L . Pour rappel, le mannequin Estelle Hallyday avait demandé au tribunal de grande instance de Paris, statuant en référé, d’une part, d’enjoindre un hébergeur…
Tous les professionnels de l’Internet français l’attendaient avec angoisse : la Cour d’appel de Paris a enfin rendu sa décision dans l’affaire, très controversée, Estelle Halliday / Valentin et Daniel L .
Pour rappel, le mannequin Estelle Hallyday avait demandé au tribunal de grande instance de Paris, statuant en référé, d’une part, d’enjoindre un hébergeur de mettre un terme à la diffusion sur Internet , opérée par un site hébergé, de clichés la représentant dénudée, et d’autre part, de condamner le même fournisseur d’hébergement à payer une indemnité provisionnelle pour l’atteinte portée à son image.
Par ordonnance du 9 juin 1998, le tribunal avait considéré que :
« S’agissant de l’hébergement d’un service dont l’adresse est publique et qui est donc accessible à tous, le fournisseur d’hébergement a, comme tout utilisateur du réseau, la possibilité d’aller vérifier le contenu du site qu’il héberge et en conséquence de prendre le cas échéant, les mesures de nature à faire cesser le trouble qui aurait pu être causé à un tiers (…) Le fournisseur d’hébergement devra donc justifier du respect des obligations mises à sa charge, spécialement quant à l’information de l’hébergé sur l’obligation de respecter le droit de la personnalité, le droit des auteurs, des propriétaires de marque, de la réalité des vérifications qu’il aura opérées, au besoin par des sondages et diligences qu’il aura accomplies dès la révélation d’une atteinte aux droits des tiers pour faire cesser cette atteinte. »
Par conséquent, le tribunal fit injonction à l’hébergeur, sous astreinte de 100.000 francs par jour, de « mettre en oeuvre les moyens de nature à rendre impossible toute diffusion des clichés photographiques en cause à partir de l’un des sites qu’il héberge».
La demande d’une somme provisionnelle fut rejetée, le tribunal estimant que la question de la responsabilité du fournisseur d’hébergement relevait de la compétence du juge du fond.
Par arrêt du 10 février 1999, la Cour d’appel de Paris a infirmé l’ordonnance en ce qu’elle avait prescrit des mesures d’interdiction, au motif qu’« au moment de la saisine du juge, les photographies litigieuses n’étaient plus accessibles et avaient été retirées du site en cause.». Il n’y avait donc plus matière à référé quant à ce chef de demande.
Elle a réformé également l’ordonnance en ce qu’elle avait rejeté l’indemnité provisionnelle sollicitée, au motif que :
« En offrant, comme en l’espèce, d’héberger et en hébergeant de façon anonyme, sur le site altern.org qu’il a créé et qu’il gère, toute personne qui, sous quelque dénomination que ce soit, en fait la demande aux fins de mise à disposition du public ou de catégories de public de signes ou de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère de correspondances privées, Valentin La Cambre excède manifestement le rôle technique d’un simple transmetteur d’informations et doit, d’évidence, assumer à l’égard des tiers aux droits desquels il serait porté atteinte dans de telles circonstances, les conséquences d’une activité qu’il a, de propos délibérés, entrepris d’exercer dans les conditions susvisées et qui, contrairement à ce qu’il prétend, est rémunératrice et revêt une ampleur que lui-même revendique; que la diffusion des photographies litigieuses, dans les conditions décrites précédemment, engage manifestement sa responsabilité et justifie l’octroi à Madame Estelle HALLYDAY, dont l’atteinte au droit à l’image et à l’intimité de la vie privée, ainsi que le préjudice qui en résulte, ne sont ni contestables,ni contestés, une provision sur dommages et intérêts, … fixée à 300.000 francs, outre la publication, selon les modalités qui seront énoncées au dispositif ci-après, d’un communiqué, au frais de l’appelant »
L’arrêt est donc encore plus sévère. Pour la première fois en France, une Cour d’appel se prononce explicitement sur la responsabilité civile d’un fournisseur d’hébergement par rapport aux contenus illégaux ou dommageables des sites hébergés. Toutefois, il y a lieu de relever que, manifestement, la Cour a été fortement influencée, dans son appréciation de la cause, par l’anonymat apparent du responsable du site Silversurfer à l’origine de la diffusion illicite. Valentin Lacambre aurait-il pu échapper à la mise en cause de sa responsabilité s’il avait révélé en justice l’identité de l’auteur ? L’intéressé affirme en tous cas qu’aucune information sur l’hébergé ne lui aurait été demandée, alors même qu’il aurait disposé des moyens pour l’identifier.
En outre, il semble qu’il ait retiré les pages incriminées dès l’assignation en référé, et sans avoir été mis en demeure préalablement de le faire. Si tel a été le cas, ne pourrait-on considérer qu’il a fait preuve d’une diligence suffisante ? Il appartiendra au juge du fond de se prononcer.
Cela étant, la crainte dans le milieu des hébergeurs français est que l’arrêt de la Cour d’appel soit l’amorce d’une jurisprudence qui imposerait aux fournisseurs d’hébergement une obligation permanente de contrôle éditorial difficilement réalisable, voire impossible en pratique pour les fournisseurs hébergeant des milliers de pages Web, qui, à tout moment, peuvent être modifiées à leur insu.
Il est à noter que, dans cette affaire, la Cour d’appel de Paris a pris une position contraire à celle actuellement préconisée par la Commission européenne dans sa proposition de directive du 18 novembre 1998 relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché intérieur (articles 12 et suivants).
En effet, la Commission, s’inspirant directement de la récente législation américaine relative au droit d’auteur sur les autoroutes de l’information («Digital Millenium Copyright Act» du 21 octobre 1998), y défend le principe de l’exonération de responsabilité des fournisseurs d’accès et d’hébergement, à certaines conditions (méconnaissance du contenu illicite, stockage temporaire et non permanent des informations etc.). A noter que, contrairement à la loi américaine, la proposition ne se limite pas au droit d’auteur et aux contrefaçons mais vise tous les contenus illicites.
De plus, l’article 15 de la proposition de directive exonère expressément, comme la loi américaine, les fournisseurs d’accès et d’hébergement de toute obligation en matière de surveillance ou de recherche active des infractions.
L’affaire a fait l’objet d’autres commentaires, notamment sur les sites de legalis et de juriscom.