Les Etats vont devoir assouplir l’exception journalistique
Publié le 26/02/2019 par Etienne Wery
L’arrêt Buivids s’oppose à la loi française informatique et libertés, qui restreint l’exception journalistique aux seuls journalistes professionnels, et la conditionne au respect des règles déontologiques. Un problème similaire se pose en Belgique.
L’exception de journalisme
L’article 85 GDPR confie aux États le soin de concilier, par la loi, le droit à la protection des données à caractère personnel et le droit à la liberté d’expression et d’information, y compris le traitement à des fins journalistiques.
Les exemptions et dérogations portent sur les dispositions du chapitre II (principes), du chapitre III (droits de la personne concernée), du chapitre IV (responsable du traitement et sous-traitant), du chapitre V (transfert de données à caractère personnel vers des pays tiers ou à des organisations internationales), du chapitre VI (autorités de contrôle indépendantes), du chapitre VII (coopération et cohérence) et du Chapitre IX (situations particulières de traitement de données càd le présent chapitre).
L’objectif est simple et confirmé par le considérant 153 : c’est un équilibre qui est recherché entre les règles régissant la liberté d’expression et d’information, y compris l’expression journalistique, universitaire, artistique ou littéraire, et le droit à la protection des données à caractère personnel. Dans la recherche de cet équilibre, et pour tenir compte de l’importance du droit à la liberté d’expression dans toute société démocratique, il y a lieu de retenir une interprétation large des notions liées à cette liberté, telles que le journalisme.
La loi française
L’article 67 de la française déclare inapplicables certaines dispositions de la loi, à l’égard des traitements « mis en œuvre aux seules fins : (…) d’exercice, à titre professionnel, de l’activité de journaliste, dans le respect des règles déontologiques de cette profession. »
Il y a donc une double restriction en droit français :
- Seul l’exercice à titre professionnel de l’activité de journaliste est protégé;
- Cette protection est soumise au respect des règles déontologiques.
Cette double restriction est interpellante :
- Si l’objectif est la protection de la liberté d’expression, il n’y a pas de motif de la limiter aux seuls professionnels : cette liberté est garantie à tous, journaliste professionnel ou pas;
- La condition de respect de la déontologie pose en droit et en pratique des soucis nombreux : la justice ordinale ou professionnelle ne présente pas les mêmes garanties que la justice judiciaire, de sorte que conditionner l’exemption à (1) un contrôle a posteriori, (2) effectué dans des conditions qui sont parfois critiquables, (3) au sujet de règles qui ne sont pas toujours très claires et proportionnées, … revient à soumettre le journaliste à une incertitude susceptible d’avoir un fort effet dissuasif sur sa liberté d’expression
La loi belge
L’article 24 de la loi belge est similaire dans son approche pusiqu’il définit le traitement de données à caractère personnel à des fins journalistiques comme « la préparation, la collecte, la rédaction, la production, la diffusion ou l’archivage à des fins d’informer le public, à l’aide de tout média et où responsable du traitement s’impose des règles de déontologie journalistique ».
Au-delà de la faute de syntaxe, on voit que l’approche est similaire : la rédaction a pour effet de restreindre la protection aux journalistes professionels (les citoyens qui se lancent dans des activités de ce type ne s’imposent pas des règles de déontologie journalistique).
L’arrêt Buivids
Dans le récent arrêt Buivids, la CJUE s’est interrogée sur la portée de l’exception journalistique dans l’ancienne directive.
Elle répond que « afin de tenir compte de l’importance que détient la liberté d’expression dans toute société démocratique, il convient d’interpréter les notions y afférentes, dont celle de journalisme, de manière large ».
En conséquence, la cour définit les « activités de journalisme » comme « celles qui ont pour finalité la divulgation au public d’informations, d’opinions ou d’idées, sous quelque moyen de transmission que ce soit. »
L’arrêt Buivids était remarquable car il impliquait un journaliste non professionnel.
Cela ne perturbe pas la CJUE : « le fait que M. Buivids ne soit pas un journaliste de profession n’apparaît pas de nature à exclure que l’enregistrement de la vidéo en cause ainsi que la publication de celle-ci [youtube] (…) puissent relever de cette disposition ».
Plus d’infos en lisant notre analyse détaillée de l’arrêt Buivids.