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Les aspects juridiques du trading boursier sur Internet

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   Les produits financiers, déjà largement dématérialisés dans les économies développées, se prêtent facilement à une offre sur Internet.    Le réseau des réseaux, par sa nature mondiale et décentralisée, permet une démultiplication presque infinie des canaux de distribution, en particulier dans le domaine du trading boursier (« online securities trading »).    Ce secteur à part…

 
 

Les produits financiers, déjà largement dématérialisés dans les économies développées, se prêtent facilement à une offre sur Internet.  
 

Le réseau des réseaux, par sa nature mondiale et décentralisée, permet une démultiplication presque infinie des canaux de distribution, en particulier dans le domaine du trading boursier (« online securities trading »).  
 

Ce secteur à part entière du commerce électronique connaît un essor fulgurant. Ainsi, aux Etat-Unis, précurseurs en la matière, 8,5 millions de comptes sont aujourd’hui recensés auprès de 80 brokers « online », totalisant 523 milliards de dollars d’actifs.

Il s’agit dans la grande majorité des cas de « discount brokers », qui, moyennant des commissions peu élevées, permettent uniquement la passation d’ordres, sans fournir de conseils à l’investisseur.  
 

L’Europe est déjà rattrapée par le phénomène. C’est ainsi que quelques banques et sociétes de bourse belges se sont récemment lancées dans l’aventure du trading boursier (L’Echo, 18 mars 1999).  
 

Toutefois, un tel développement ne va pas sans susciter de nombreuses questions d’ordre juridique. Seuls certains aspects liés au droit financier seront ici abordés.  
 

Le contrôle prudentiel de la Commission bancaire et financière, les obligations en matière d’organisation et les règles de bonne conduite  
 

La Commission bancaire et financière (CBF) a rendu public le 9 mars 1999 une note circulaire relative aux services financiers sur Internet, conçue comme une base de discussion à l’adresse des milieux professionnels concernés, et qui devrait aboutir à terme à une recommandation en bonne et due forme.  
 

La Commission y dresse un inventaire des « points requérant une attention particulière sous l’angle prudentiel » en ce qui concerne la fourniture de services financiers en ligne. En effet, les entreprises d’investissement et les établissements de crédit sous soumis, en vertu de la loi du 6 avril 1995, à une obligation générale de disposer d’une structure et d’une organisation adéquates, de mécanismes de contrôle et de sécurité dans le domaine informatique ainsi que de procédures de contrôle interne approprieés. 
 

Parmi les points relevés par la CBF en matière d’organisation, on peut relever notamment l’obligation de s’assurer de la sécurité de son site, au besoin en recourant à des certifications d’organisations indépendantes, la nécessité d’identifier le client pour se conformer à la loi du 11 janvier 1993 sur le blanchiment de capitaux qui exige une identification au moyen d’un document probant « dont une copie est prise et conservée », les procédures de conservation des versions successives du site et des ordres électroniques passés par les clients, la détermination précise du cadre contractuel avec les clients (utilisation du mot de passe confidentiel, opérations visées et plafonds autorisés etc..) ainsi qu’avec le fournisseur de la technologie Internet (responsabilité en cas de panne du système, garantie de continuité du service en cas de résiliation du contrat), l’établissement de procédures de contrôle en cas d’organisation de « chat rooms » ou de « bulletin boards », etc…  
 

Par ailleurs, en vertu de la loi du 6 avril 1995, les intermédiaires financiers sont soumis au respect de « règles de bonne conduite », dont notamment la double obligation de « connaître » et d’informer le client, qui, selon le texte légal, n’est applicable qu’au client que l’intermédiaire « conseille ». Outre le fait qu’elle est contraire à la directive européenne sur les services d’investissement, une telle restriction représente un danger certain en matière de trading boursier. En effet, celui-ci se caractérise par une absence de contact « direct » ou « vocal » entre l’intermédiaire et le client, qui peut passer directement un ordre sans avoir été informé ou mis en garde par l’intermédiaire sur le risque éventuel de l’opération.  
 

Toutefois, consciente de cet écueil, la CBF est favorable à l’instauration d’obligations minimales, telles que la définition préalable du profil et des connaissances du client en matière de placements, en appliquant le cas échéant des limites dans les opérations autorisées, le suivi des opérations pour vérifier dans quelle mesure le client fait preuve de bon sens et d’une stratégie de placement réfléchie, ou la diffusion, soit sur son site web, soit via des liens hypertextes, d’informations générales sur les placements et l’évolution des marchés. 
 

Il est à noter qu’en France, la Commission des Opérations de Bourse (COB), dans un rapport présenté en novembre 1998, a clairement recommandé que « deux règles, connaître son client et adapter sa prestation, doivent trouver une application concrète dans la configuration des sites offrant un produit ou un service financier ». En outre, la COB a appelé de ses voeux l’élaboration par les intermédiaires financiers de codes déontologiques en la matière.  
 

Le partage de compétences entre autorités de régulation  
 

Avec l’apparition du commerce électronique, les produits et services financiers sont devenus commercialisables directement depuis n’importe quel point du globe, jusqu’à des contrées lointaines et complaisantes où les contraintes réglementaires rencontrées dans les pays industrialisés peuvent d’avérer moindres, voire inexistantes. 
 

En Europe, la règle du passeport européen s’applique : chaque établissement agréé par un Etat membre, et contrôlé par lui, peut exercer son activité directement su le territoire d’un autre Etat membre, moyennant le respect d’une procédure de notification préalable aux autorités de régulation de l’Etat d’origine et de l’Etat d’accueil (CBF en Belgique). 
 

Toutefois, la CBF reste compétente en ce qui concerne le respect des « mesures d’intérêt général » nationales, dont font partie, dans une certaine mesure, les règles de bonne conduite imposées aux intermédiaires financiers. En effet, selon la directive européenne sur les servives d’investissement, la mise en oeuvre et le contrôle du respect de ces règles sont de la compétence de l’Etat où le service est fourni. 
 

Quant aux entreprises d’investissement hors Union européenne, elles peuvent être autorisées par la CBF à fournir en direct des services d’investissement en Belgique, sous réserve de réciprocité. Elles sont soumises au respect des dispositions légales et réglementaires belges, en ce compris les règles de bonne conduite.  
 

Dans le domaine du commerce électronique, il est aisé d’imaginer les difficultés suscitées par un tel système en termes de répartition de compétences.  
 

Quelle sera l’autorité de régulation compétente lorsqu’un même produit financier est offert sur Internet, depuis un site consultable dans le monde entier ?  
 

Comment éviter une compétence « universelle » de toutes les autorités de régulation par rapport à une même opération financière ? 
 

C’est notamment pour tenter d’apporter des éléments de réponse à ces questions que l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs (OICV), regroupant les autorités de régulation des principaux pays industrialisés, a adopté en septembre 1998 un ensemble de recommandations sur l’offre des services financiers via Internet. Ces recommandations ont déjà été en grande partie reprises en France par la COB, et en Belgique par la CBF, dans sa note circulaire précitée du 9 mars 1999. 
 

En substance, selon les recommandations de l’OICV, une autorité de régulation pourra se déclarer compétente pour appliquer ses règles lorsque : 
 

– un faisceau d’indices indique qu’un marché national déterminé est visé ou démarché par le fournisseur. Ce critère est déjà recommandé pour d’autres activités du commerce électronique (en matière de publicité sur Internet, par exemple, certains préconisent le recours au critère de la « destination », à savoir que devrait être applicable la loi du pays principalement visé par la publicité). 
 

De tels indices peuvent être multiples et de préférence combinés (utilisation d’une langue autre que l’anglais, relais publicitaire dans la presse écrite locale des coordonnées du site, avertissements sur la page d’accueil précisant que la commercialisation du produit est ou n’est pas autorisée dans certaines juridictions, obligation de s’enregistrer par un mot de passe en déclarant sa nationalité et son lieu de résidence avant l’accès au site transactionnel etc…).  

L’analyse au cas par cas de tels indices pourra ainsi aboutir à écarter ou, au contraire, à retenir la compétence de telle ou telle autorité de régulation. 
 

Il est à noter cet égard qu’aux Etats-Unis, la Securities and Exchange Commission (SEC) a publié en mars 1998 un document interprétatif , dans lequel elle fait une application simple du critère de « destination » précité. 
 

En effet, elle y précise que sa compétence est écartée lorsque deux conditions sont réunies : d’une part, l’existence d’un avertissement, bien mis en évidence, indiquant que l’offre n’est pas destinée au public américain, et d’autre part, la mise en oeuvre de procèdures « raisonnables » permettant d’exclure les ventes à des résidents ou citoyens américains (notamment des mots de passe).  
 

– les activités réalisées depuis l’étranger par l’émetteur ou le prestataire de services financiers ont un impact significatif sur les investisseurs ou les marchés situés dans la juridiction du régulateur. Tel sera le cas lorsqu’un site de « bourse virtuelle » génère une demande importante de la part d’investisseurs d’un Etat donné. 
 

Un tel principe devrait être manié avec prudence dans la mesure où un site peut connaître un engouement dans certains pays, sans que leurs ressortissants n’aient été spécialement « ciblés » par le fournisseur. 

C’est la raison pour laquelle nous pensons que son application devrait demeurer subsidiaire par rapport au critère de destination, à savoir qu’il n’y serait recouru que lorsque le site ne cible manifestement aucun marché national en particulier (par exemple un site exclusivement en anglais, tarifé en dollars et/ou euros, n’affichant aucun « disclaimer » et dont la procédure d’identification à l’écran ne serait entourée d’aucune vérification ou autre formalité, même sommaire). 
 

Le délit d’initié  
 

A côté des fonctions transactionnelles, de nombreux établissements de crédit et intermédiaires diffusent sur leurs sites de l’information financière, parfois abondante et détaillée, ou des communiqués. Quelques uns organisent même des forums de discussion sur l’évolution des marchés financiers. 
 

Se pose ici la question du délit d’initié. En effet, l’un des éléments constitutifs du délit est l’existence d’une information privilégiée qui n’ait pas été rendue publique, c’est-à-dire qui n’ait pas été diffusée par un moyen de communication de masse. 
 

Internet est-il un moyen de communication de masse, assimilable à la presse écrite ou audiovisuelle ?  
 

S’agissant du web, et de ses dizaines de millions d’utilisateurs réguliers à travers le monde, la réponse positive est tentante. 
 

Toutefois, la COB est d’un avis différent. En effet, l’autorité de régulation française estime que la diffusion d’informations financières ou de communiqués exclusivement sur Internet est de nature à avantager les utilisateurs du réseau, en leur livrant une information non encore rendue publique par les voies classiques de la communication financière. 
 

Même si une telle approche peut apparaître quelque peu « conservatrice », elle peut se défendre dans la mesure où, dans de nombreux pays, notamment d’Europe continentale (France, Belgique etc), Internet reste encore réservé à une petite minorité.  
 

En tout état de cause, la prudence impose, en l’absence de règles claires en la matière, de ne pas diffuser sur le web des informations financières susceptibles d’influencer de manière sensible le cours d’un instrument financier, si elles n’ont pas été préalablement rendues publiques dans les médias « traditionnels ».  
 

Quant aux forums de discussion, il ne peut certainement pas être soutenu qu’ils constituent des « moyens de communication de masse ». La risque y est donc accru que la divulgation d’une information sensible y soit qualifiée de délit d’initié. 
 
 

La proposition de directive européenne  
 

Le 14 octobre 1998, la Commission européenne a présenté une proposition de directive établissant un cadre réglementaire pour la commercialisation à distance des services financiers, c’est-à-dire par téléphone, courrier ou par voie électronique (Internet par exemple). 

Les principales innovations de la proposition visent : 
 

– l’instauration au profit du consommateur d’un délai de réflexion de 14 jours, pendant lequel les conditions contractuelles, communiquées par le fournisseur de services financiers sous forme écrite ou sur un « support durable » (ce qui devrait viser notamment les fichiers transmis par e-mails et enregistrés ensuite sur disque dur, disquette ou CD-ROM), ne peuvent être modifiées par le fournisseur.  
 

– l’instauration dans certains cas d’un droit de rétractation dans le chef du consommateur (notamment lorsqu’il aura été victime d’un « harcèlement commercial » durant le délai de réflexion) 
 

– l’interdiction pour les fournisseurs de services financiers de se livrer à certaines pratiques commerciales abusives bien connues des internautes, comme le « spamming » (envoi massif de courriers électroniques non sollicités). 
 

La proposition sera présentée au Conseil des ministres de l’UE et au Parlement européen pour adoption, selon la procédure de co-décision. 
 

Article paru dans L’Echo le 20 mai 1999 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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