L’Egypte se retire de l’internet !
Publié le 31/01/2011 par Etienne Wery
Face à la pression de la rue, le régime égyptien coupe l’internet et la téléphonie mobile. Une mesure sans précédent qui ne laisse pas de doute sur la détermination du pouvoir mais qui pose question sur le plan des libertés individuelles.
L’internet, reporter de guerre
Tous les gouvernements le savent : lorsque l’ordre vacille dans un pays, l’internet joue souvent le rôle de vitrine du monde. Iran, Irak, Chine, etc. Tous ces pays ont un jour été confronté à la puissance de l’internet.
Avec un simple téléphone muni d’une caméra, une étudiante iranienne a plus fait pour son pays que cinquante édito d’un grand journal américain. Il lui a suffit de filmer la répression policière et de « balancer » le scoop sur l’internet pour que le monde entier s’offusque.
Plus récemment, la Tunisie a connu le même phénomène. Les médias internationaux s’approvisionnaient en nouvelles sur twitter et facebook.
Aujourd’hui, avec l’internet, le monde est potentiellement peuplé de plusieurs milliards de reporters de guerre.
Les TIC, outil de contestation
Lors d’un conflit civil, l’internet (et de façon plus générale les TIC) est aussi un outil utilisé par la rue pour s’organiser contre un régime supposé organisé. Quand la police utilise des radios cryptées, les manifestants s’envoient des courriels et textos pour organiser la résistance.
L’internet, créé pour que l’information circule à tout prix
Avant d’être ce que l’on connait aujourd’hui, l’Internet était un projet militaire connu sous le nom d’arpanet.
Le cahier des charges était simple : la défense américaine voulait mettre en place un réseau de communication américain selon une architecture "répartie", c’est à dire qu’il ne devait pas y avoir de centre névralgique qui pourrait être détruit par une attaque nucléaire des soviétiques. Telle était la terreur des militaires : que la destruction du serveur névralgique coupe les troupes de leur centre de commandement.
L’architecture répartie devait solutionner ce problème, tout comme la commutation par paquets : au lieu de transmettre un document en une fois, la technique consiste à envoyer ce même document en plusieurs petits paquets autonomes. Chacun suit son propre chemin, et tous les paquets sont recoupés à l’arrivée pour reconstituer le document de départ.
Ce sont donc des raisons historiques qui font qu’il est tellement difficile de brider l’information sur l’internet.
Le contrôle de l’internet, rêve des autorités
Pour contrôler le net, il n’y a pas trente six solutions.
La première, que l’on mentionne pour la forme : la destruction simultanée des six ou sept centres informatiques névralgiques mondiaux comprenant notamment les serveurs DNS principaux du système. Ce n’est pas simple (c’est un euphémisme) car les dits serveurs sont en principe secrets et parait-il plutôt bien gardés. Mais sur un plan théorique, les observateurs affirment que cela est possible.
La seconde, utilisée (selon la rumeur) en partie par la Chine : la création d’un goulet d’étranglement entre le réseau ternational et son branchement sur le réseau mondial, afin de pouvoir contrôler tout ce qui entre et ce qui sort. Il est vrai que si tout passe par un goulet, le contrôle à ce niveau est relativement efficace. Faiblesse du système : il ne permet pas aussi efficacement de contrôler ce qui se passe sur le réseau national.
La troisième : le filtrage. Technique bien connue et relativement simple à mettre en œuvre, elle n’assure pas une étanchéité parfaite mais présente un rapport coût/efficacité/rapidité plus qu’honorable. Elle est pratiquée couramment, parfois même en toute légalité lorsqu’elle est ordonnée par un juge pour lutter contre des contenus illégaux. Utilisée à d’autres fins par un régime contesté, la mesure fait évidemment désordre.
La quatrième voie est celle retenue en Egypte. Il suffit de couper l’accès internet sur tout le territoire.
La mesure est radicale, simple et rapide : il suffit d’en donner l’ordre aux opérateurs (c’est-à-dire les fournisseurs des fournisseurs d’accès), ce qui est encore plus simple quand la loi l’autorise et/ou quand il y a peu d’acteurs (l’Egypte en compte quatre). Vodaphone Egypte aurait ainsi expliqué que : ‘Selon la loi égyptienne les autorités ont le droit d’ordonner ce genre de chose et nous sommes obligés de nous y conformer".
La mesure est singulière car elle vise la population locale : le monde entier continue à parler de l’Egypte, mais les égyptiens ne le savent pas et ne participent pas au débat. Il s’agit donc d’empêcher les informations de sortir et entrer, mais pas d’empêcher l’information de circuler dans le reste du monde. Familièrement dit, c’est un doigt d’honneur virtuel à la communauté internationale : « je me fiche de ce que vous dites sur moi du moment que personne ici ne le sait ».
Bien entendu, la mesure pose un problème sur le plan des libertés individuelles mais cela n’est en principe pas ce qui tracasse le plus les autorités confrontées à des soucis plus immédiats.
Le brouillage des téléphones mobiles
Afin de compléter le dispositif, les autorités égyptiennes ont aussi brouillé les antennes de téléphonie mobile dans les grandes villes.
Le but : empêcher l’usage des mobiles, et surtout des caméras, ou l’alimentation comptes twitter et facebook.
Le second but est de rendre plus difficile l’organisation des manifestations. L’on sait en effet que dans les conflits civils, les mobiles son un outil utilisé par la rue pour s’organiser contre. Quand la police utilise des radios cryptées, les manifestants s’envoient des textos pour organiser la résistance.
Commentaires
C’est, à notre connaissance, la première fois qu’un régime va aussi loin.
L’ex président tunisien n’avait pas osé. Il avait certes coupé certaines routes d’accès principales, mais pas l’ensemble de l’accès internet.
Est-ce une mesure imparable ? Il faut l’admettre, la mesure est efficace. Elle prive l’opposition d’une partie importante de ses moyens, et la contraint à l’improvisation. Plusieurs observateurs comparent cela à un pays envahi qui fait sauter tous ses ponts et détruit ses autoroutes pour empêcher l’avancée de l’ennemi.
La mesure n’est toutefois pas imparable ni absolument étanche, car les lignes fixes fonctionnent toujours, tout comme les satellites.
Il est donc possible d’appeler des correspondants et de leur parler.
Par ailleurs, certains fournisseurs français proposent aux égyptiens de se connecter en France avec un bon vieux modem, via une ligne fixe. L’accès est gratuit, sauf que la communication internationale doit être payée par l’abonné égyptien.
Quant à l’efficacité politique de la mesure ? L’avenir le dira.