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Le travailleur belge peut-il « tout » écrire sur Facebook ?

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Pour la première fois au Pays-Bas, le juge a confirmé le licenciement d’un employé pour avoir tenu sur Facebook des propos insultants sur son employeur, qui lui avait refusé une avance sur salaire. Dans une décision du 19 mars 2012, le tribunal néerlandais a estimé d’une part que les commentaires postés sur le célèbre réseau social étaient « grossièrement insultants », et d’autre part que ces derniers relevaient de la sphère publique. Une telle solution peut-elle être retenue par le juge belge ?

Avec 845 millions d’utilisateurs dans le monde pour Facebook, 382 millions de profils d’utilisateurs pour Twitter, les réseaux sociaux ont crée une véritable vie numérique. Partage de photos, d’expérience, de commentaires, d’humeur du jour à la minute : les internautes postent leur vie privée sur la toile. Seulement, la frontière est parfois mince entre vie privée et vie professionnelle. Dans ce grand déballage, des employés expriment leur mécontentement ou profèrent parfois des injures envers leurs employeurs via leurs profils. Le juge français, et plus récemment néerlandais, n’a pas hésité à sanctionner ce type de comportement, qui peut être dommageable pour l’employeur, en confirmant le licenciement d’employés concernés par ce type de situation. Qu’en est-il du juge belge ? Comment appréhende-t-il ce sujet nouveau, mais appelé à évoluer ?

Les droits et devoirs de la relation employeurs/employé

Le travailleur belge peut-il « tout » écrire sur Facebook ? En tant que citoyen,  le travailleur bénéficie du droit à la liberté d’expression qui lui garantit la « liberté de manifester ses opinions en toute matière » (article 19 de la Constitution). Il est donc en droit de s’exprimer librement sur Internet. Néanmoins, ce droit n’est pas absolu. Il doit s’accommoder de certaines limitations, notamment en fonction du contexte dans lequel il s’exerce et du contenu exprimé. Même en tant qu’internaute, le travailleur reste soumis à certaines obligations.

Une de ces obligations peut être liée aux relations professionnelles. La loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail prévoit dans son article 16 que « l’employeur et le travailleur se doivent le respect et des égards mutuels ». La diffusion de propos injurieux pourrait être interprétée par l’employeur comme une violation de cette disposition. En fonction des cas, l’employé court ainsi le risque de se voir licencier pour faute grave. Cette dernière est définie par l’article 35 de la LCT, comme la faute « qui rend immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre l’employeur et l’employé ».

La preuve

Pour justifier le licenciement, la preuve de cette faute doit être apportée. Un élément qui amène une première interrogation : l’employeur peut-il légalement utiliser des informations tirées du profil Facebook de son employé devant un juge ? Réponse à cette question peut être trouvée dans la Convention collective du travail n°81 relative à la protection de la vie privée des travailleurs à l’égard du contrôle des données de communications électroniques du 26 avril 2002. L’article 6 dispose en effet que « (…) le contrôle des données de communications électroniques en réseau ne peut entraîner une ingérence dans la vie privée du travailleur ».

Le juge s’était traditionnellement fondé sur cette base légale afin de rejeter de telles preuves obtenues via internet. Par un arrêt du 10 mars 2008, la Cour de Cassation a accepté de prendre connaissance d’une preuve, même si elle avait été obtenue de manière illégale. Depuis cet arrêt, l’employeur peut donc utiliser des e-mails privés, des conversations téléphoniques et, dans le cas qui nous intéresse, le contenu de la page Facebook de son employé, comme preuve dans un procès. Libre au juge de l’admettre ou pas. Il vérifiera d’ailleurs, si l’irrégularité commise par l’employeur ne porte pas atteinte au droit de la défense. Cette jurisprudence de la Cour de Cassation ( dite « jurisprudence Antigone ») est largement suivie par les juridictions belges.

La faute grave

Au regard de la jurisprudence, on constate que le juge belge apparait peu enclin à qualifier de faute grave des propos irrespectueux tenus à l’égard d’un employeur sur Facebook. Cela peut s’expliquer pour deux raisons :

La mise en balance d’une liberté et d’une obligation

Comme vu ci-dessus, le juge doit mettre en balance la liberté d’expression de l’employé et l’obligation de respect de loyauté envers l’employeur. Cette évaluation n’est pas aisée car elle dépend du caractère privé ou public des propos tenus sur un réseau social.

Or, comme est venu le rappeler la jurisprudence française dans un arrêt de la Cour d’appel de Rouen, le 25 novembre 2011 : « il ne peut être affirmé de manière absolue que la jurisprudence actuelle nie à Facebook le caractère d’espace privé, alors que ce réseau peut constituer soit un espace privé, soit un espace public, en fonction des paramétrages effectuées par son utilisateur ». Dans cette affaire, le juge français a donc annulé le licenciement d’une caissière par son employeur pour des propos calomnieux, car aucune preuve ne pouvait laisser penser que son compte Facebook était accessible à un large public.

Le juge belge doit lui aussi prendre en compte la double nature – publique ou privée – du célèbre réseau social. Il doit considérer à partir de quel moment un commentaire injurieux relève de la sphère privée et ne contrevient [donc] pas à l’obligation de respect envers l’employeur; et à partir de quel moment il relève de la sphère publique. Dans le second cas, le juge devra apprécier les propos du travailleur et décider si son comportement peut être qualifié de faute grave.

L’appréciation de la faute grave

Le droit belge ne donne pas de liste exhaustive de comportements constitutifs d’une faute grave. Pour rappel, la faute doit être telle qu’ « elle rend immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre l’employeur et le travailleur ». Compte tenu du caractère particulier que revêtent des déclarations postées sur Facebook, la gravité de la faute s’apprécie en prenant en compte divers critères tels que la qualité et le statut du travailleur dans l’entreprise concernée, l’exemplarité de la carrière de l’employé, la période et la durée durant laquelle sont tenus ces propos et leur caractère public ou privé. Ce type de jugement relève donc d’une appréciation in concreto. On constate néanmoins que, contrairement à son homologue français, le juge belge semble davantage protecteur de l’employé devant ce genre de situation.

Un juge protecteur du travailleur

Dans une décision rendue le 4 mars 2010, la Cour de travail de Bruxelles a jugé qu’un travailleur ayant eu des propos irrespectueux sur Facebook envers les dirigeants de son entreprise n’avait pas été licencié à bon droit. Bien que désobligeantes, ces critiques postées dans un groupe de discussion, n’avaient bénéficié que d’un degré de publicité très restreint. La Cour a donc estimé que ce comportement n’était pas suffisamment grave pour justifier un licenciement.

Dans un autre jugement du Tribunal du travail de Namur le 10 janvier 2011, le juge est arrivé à la même conclusion. Une employée belge, qui avait tenu des propos racistes sur Facebook à l’égard de l’une de ses collègues, s’était vu licenciée pour faute grave. Dans un premier temps, le juge précisa que ce réseau social était un site ouvert « accessible à des partenaires ou destinataires qui sont membres du personnel» de l’employeur. Mais malgré le caractère public et contestable de ces déclarations, le juge  décida que la faute de l’employée n’était pas suffisamment grave et que dés lors, l’employeur ne l’avait pas licenciée à bon droit.

Ces deux décisions sont révélatrices de la précaution avec laquelle le juge belge avance sur la question. Il retient facilement que les propos tenus sur un réseau social sont publics. Cependant, il reste encore très prudent dans l’appréciation de la faute grave. Le licenciement pour un comportement inapproprié sur Facebook sera en principe considéré par le juge comme abusif. Mais, le travailleur belge serait-il de ce fait à l’abri de tout problème?

Une nouvelle tendance ?

Rien n’est moins sûr. Le Tribunal du travail de Louvain a en effet confirmé un licenciement pour faute grave dans une décision du 17 novembre 2011. Dans cette affaire, un travailleur avait été remercié par sa hiérarchie pour avoir posté de manière régulière des critiques sur les mauvais résultats de sa société, cotée en bourse. N’importe quel utilisateur du réseau social pouvait avoir accès aux commentaires qui ont donc été considérés comme publics par le juge.
Le tribunal s’est ensuite penché sur l’appréciation de la faute grave. Il s’est avéré que l’employé en question occupait un poste à responsabilité au sein de la société. Compte tenu de sa fonction de manager, ses débordements systématiques ont été reconnus comme inappropriés et suffisamment grave pour justifier un licenciement.

« Les paroles s’envolent, les écrits restent ».

La décision du Tribunal du Travail de Louvain, qui a fait grand bruit dans la presse, fera-t-elle des émules? Il est clair que cette décision sonne comme un avertissement pour le travailleur belge : il ne peut plus croire qu’il peut tout écrire sur Facebook en toute impunité. Pour autant, le jugement rendu le 17 novembre 2011 reste une exception : la faute grave a été qualifiée ici tant les circonstances de l’affaire étaient accablantes pour l’employé. Le contexte reste l’élément déterminant dans l’appréciation que fait le juge et force est de constater qu’il mène rarement jusqu’à la qualification de faute grave. Si le travail des tribunaux est de cadrer ce qu’il est approprié d’écrire ou non sur Facebook, il s’agit également désormais pour l’utilisateur, l’employé de fixer ses propres limites. Tout comme le juge, le travailleur belge doit faire un travail de mise en balance de sa liberté d’expression et des obligations qui le lient, parfois même en-dehors du cadre du travail, à son employeur. Un raisonnement qui est bien difficile à faire. Il est alors tentant de rappeler au travailleur belge cette expression: « dans le doute, mieux vaut s’abstenir ».

 

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