Le stockage de marchandises contrefaisantes est-il risqué ?
Publié le 21/02/2019 par Etienne Wery
Le stockage de marchandises contrefaisantes ne viole le droit de distribution de l’auteur, qu’à la condition de démontrer que les marchandises stockées sont effectivement destinées à la vente sur le territoire de l’État membre où ce motif est protégé. La distance entre le lieu de stockage et le lieu de vente ne saurait être, à elle seule, un élément décisif.
Le diable est dans les détails
Le principe est connu : au titre de ses droits patrimoniaux, l’auteur d’une œuvre a le droit d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de l’œuvre ou de copies de celle-ci.
Si l’on comprend bien le principe, la pratique montre que l’application pratique de la règle est délicate.
Exemple :
- Dans Peek & Peek & Cloppenburg, la CJUE limite la portée de la règle aux actes impliquant un transfert de propriété (“Dès lors que la disposition de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/29 prévoit, dans un tel contexte, une distribution «par la vente ou autrement», il convient d’interpréter cette notion conformément auxdits traités comme une forme de distribution qui doit impliquer un transfert de propriété”).
- Quelques années plus tard, dans Dimensione Direct Sales, la même CJUE revient largement sur son premier arrêt et inclut dans le droit de distribution la possibilité de s’opposer à une publicité si celle-ci incite les destinataires à faire l’acquisition de l’œuvre : “(…) si la Cour a certes jugé, dans son arrêt Peek & Cloppenburg (…) que la notion de distribution au public (…) implique un transfert de propriété de cet objet, il n’en demeure pas moins qu’une atteinte au droit de distribution peut être constatée dès qu’il est proposé, au moyen d’une publicité ciblée, aux consommateurs situés sur le territoire de l’État membre dans lequel cette œuvre est protégée, d’acquérir la propriété de l’original ou d’une copie de celle-ci”.
Et le stockage de marchandises ?
L’une des questions les plus débattues vise le stockage. En effet, s’agissant de produits, le circuit de distribution implique un ensemble d’opérations qui vont de la fabrication à la vente, en passant par de nombreux intermédiaires.
D’où la question suivante : le stockage de marchandises sur lesquelles est apposé un motif protégé par un droit d’auteur sur le territoire de l’État membre de stockage, peut-il constituer une atteinte au droit exclusif de distribution du titulaire de ce droit ?
La CJUE a rendu en décembre 2018 un arrêt intéressant dans lequel elle clarifie plusieurs choses.
Les faits soumis à la cour
M. Syed exploitait un commerce de détail à Stockholm (Suède), dans lequel il vendait des vêtements et des accessoires sur lesquels étaient apposés des motifs ayant pour thème la musique rock.
Par ailleurs, M. Syed stockait des marchandises dans un entrepôt attenant au magasin, ainsi que dans un autre entrepôt situé dans la banlieue de Stockholm.
Le magasin de M. Syed était régulièrement approvisionné en marchandises provenant de ces entrepôts.
Au fil des condamnations, le débat se déplace vers la difficile détermination du périmètre du droit de distribution : vise-t-il seulement les marchandises vendues dans le magasin ? Les marchandises stockées dans l’entrepôt attenant ? Les marchandises stockées dans l’entrepôt distant ? Seulement les marchandises stockées dans les entrepôts si elles étaient destinées à être vendues dans le magasin ?
La juridiction de renvoi constate que la directive applicable (2001/29) n’interdit pas expressément le stockage de marchandises sur lesquelles est apposé un motif protégé par un droit d’auteur aux fins de leur mise en vente. Elle se pose donc la question de savoir si des marchandises sur lesquelles est apposé un motif protégé qui sont stockées, par une personne, dans des entrepôts peuvent être considérées comme étant mises en vente lorsque cette personne offre à la vente des marchandises identiques dans un commerce de détail qu’elle exploite.
L’arrêt de la cour
Nous avons analysé à l’époque l’avis de l’avocat général. Penchons-nous à présent sur l’arrêt rendu depuis lors.
La cour commence par rappeler que la distribution au public se caractérise par une série d’opérations allant, à tout le moins, de la conclusion d’un contrat de vente à l’exécution de celui-ci par la livraison. Elle insiste sur « à tout le moins » : « il n’est pas exclu que des opérations ou des actes précédant la conclusion du contrat de vente puissent également relever de la notion de « distribution » et être réservés, à titre exclusif, aux titulaires de droits d’auteur. »
Elle en conclut que « si l’existence d’une distribution au public doit être considérée comme avérée en cas de conclusion d’un contrat de vente et d’expédition, il en est également ainsi dans le cas d’une offre de contrat de vente qui lie son auteur, dans la mesure où une telle offre constitue, par sa nature même, un acte préalable à la réalisation d’une vente. »
Elle invite donc à analyser l’opération concrète, afin de voir si elle est un acte préalable à la réalisation d’une vente. Si la réponse est affirmative, le droit de distribution trouve à s’appliquer.
La cour précise à cet égard qu’il n’est pas nécessaire de constater la réalisation d’une vente effective ; il faut (mais il suffit de) démontrer que l’opération avait vocation à s’inscrire dans le processus de réalisation d’une vente : « Si la réalisation de la vente n’est pas un élément nécessaire à la caractérisation d’une atteinte au droit de distribution, il doit toutefois être prouvé, à cet effet, que les marchandises concernées sont effectivement destinées à être distribuées au public sans l’autorisation du titulaire de ce droit, notamment au moyen d’une mise en vente, dans un État membre où l’œuvre en cause est protégée ».
D’où la constatation suivante : le stockage de marchandises est susceptible d’être considéré comme un tel acte, mais à la condition de démontrer que ces marchandises sont effectivement destinées à être vendues au public sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur.
Après avoir ouvert une porte en faveur des titulaires, la cour envoie aussitôt un message très clair sur le niveau de preuve requis, qui est élevé :
- Le fait que M. Syed vende dans son magasin des marchandises identiques à celles qu’il stocke peut constituer un indice ;
- Toutefois, il ne saurait être inféré de ce seul constat que ce stockage constitue un acte accompli dans l’objectif de réaliser une vente;
- Egalement, la proximité entre l’entrepôt et le lieu de vente n’est pas en tant que tel un élément décisif.
La cour invite donc à « tenir compte de la destination effective des marchandises considérées » et à ne pas traiter indistinctement l’ensemble des marchandises stockées alors qu’elles peuvent avoir, en principe, des destinations différentes. Le risque étant, en effet, d’élargir la protection conférée par le droit exclusif de distribution au-delà du cadre mis en place par le législateur de l’Union.
Plus d’infos ?
Les arrêts cités sont disponibles en annexe.