Le scandale VW aura-t-il des répercussions sur le droit du logiciel ?
Publié le 01/10/2015 par Etienne Wery , Thierry Léonard
Le scandale VW frappe les esprits par les sommes en jeu, mais il faut raison garder : cela ne concerne pour l’instant qu’une seule entreprise. Pourtant, l’affaire dérape. Les répercussions pourraient frapper toute l’industrie du logiciel et engendrer des modifications du cadre légal. Vigilance et explications .
Les faits
L’enquête est en cours et il faut évidemment prendre toutes les précautions qui s’imposent quand on expose les faits.
D’après ce que l’on sait, VW a embarqué dans certains moteurs un logiciel conçu par Bosch, fonctionnant comme suit :
· Le logiciel détecte les séquences d’utilisation de la voiture qui sont typiques d’un test et non d’une utilisation courante (c’est parait-il assez facile car les tests suivent apparemment une logique quasi immuable que le logiciel est à même de détecter) ;
· Ayant détecté le fait que quelqu’un est en train de faire subir un test à la voiture, le logiciel modifie le comportement du moteur à ce moment-là ;
· Le but de cette modification consiste à réduire temporairement (pendant les test) les émissions de certains gaz toxiques. Le moteur ne se comporte donc plus comme il le ferait en utilisation courante, quitte à perdre en performance, car tous les réglages modifiés poursuivent un but unique : réduire les émissions de certains gaz toxiques ;
· Quand le logiciel détecte que la séquence de tests a pris fin, il se désactive pour laisser le moteur adopter son comportement d’utilisation courante, plus performant mais beaucoup plus polluant.
L’informatique embarquée
Quel est le point commun entre une machine à laver, un réveille-matin, un thermomètre électronique, une télévision, la fusée Ariane et un moteur de voiture ?
Réponse : l’informatique embarquée.
De quoi s’agit-il ?
Quand je rédige le présent texte, j’utilise un traitement de texte. J’ai pleinement conscience d’utiliser un logiciel. Il y a d’ailleurs des interfaces homme-machine (écran, souris, clavier, reconnaissance vocale, etc.) dont le but est précisément de traduire cette conscience en interaction entre l’utilisateur et le logiciel.
L’informatique embarquée, c’est autre chose. On désigne sous ce terme « les aspects logiciels se trouvant à l’intérieur des équipements n’ayant pas une vocation purement informatique. L’ensemble logiciel, matériel intégré dans un équipement constitue un système embarqué. » (Wikipedia)
En langage simple, on dira qu’il s’agit de tous ces logiciels que l’utilisateur ne voit pas et dont il n’a pas toujours conscience, et qui sont intimement liées au fonctionnement d’un produit.
J’effectue un freinage d’urgence ? Sans le savoir, j’active un logiciel qui effectue toute une série de calculs afin de doser l’ABS de façon optimale. Je prends un virage un peu trop rapide ? J’active inconsciemment un logiciel qui interviendra sur l’accélération, les amortisseurs, et d’autres paramètres, afin de corriger si nécessaire la trajectoire et éviter le flottement. Et ainsi de suite. Les systèmes embarqués se comptent par centaines dans une voiture. On en trouve dans quasiment tous les appareils qui reposent de près ou de loin sur un fonctionnement électronique, et Dieu sait s’il y en a…
L’informatique embarquée est, en réalité, une industrie en tant que telle, à la croisée de plusieurs droits : protection des microprocesseurs, brevets, droit du logiciel, etc.
Les répercussions de l’affaire VW
Plus le temps passe, plus on constate de répercussions potentielles sur l’informatique embarquée.
Il est vrai que l’informatique embarquée – pour nécessaire qu’elle soit – n’a pas toujours bonne presse car elle a un côté obscur (l’utilisateur n’est pas conscient du rôle qu’elle joue et n’a pas de contrôle sur elle).
D’où l’idée, que l’on voit surgir dans quelques commentaires, de profiter du scandale VW pour démarrer une réflexion sur la nécessité de modifier le cadre légal applicable à cette technologie spécifique.
La décompilation
Ce qui appellent de leurs vœux cette modification font par exemple observer que le scandale aurait pu être détecté plus rapidement si les centres d’études avaient pu se livrer à la décompilation du logiciel concerné.
En l’état actuel du droit, il n’est en effet pas possible de décompiler un logiciel à des fins de tests ; le même principe s’applique aux États-Unis et en Europe.
En Europe, cela provient d’une directive sur la protection juridique du programme d’ordinateur, qui énonce notamment que : « L’autorisation du titulaire des droits n’est pas requise lorsque la reproduction du code ou la traduction de la forme de ce code (…) est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité d’un programme d’ordinateur créé de façon indépendante avec d’autres programmes et sous réserve que les conditions suivantes soient réunies (…) ».
On le voit, la seule finalité qui peut justifier la décompilation, est l’interopérabilité. La directive précise du reste, à l’alinéa suivant, que : « Les dispositions du paragraphe 1 ne peuvent justifier que les informations obtenues en vertu de son application (…)soient utilisées à des fins autres que la réalisation de l’interopérabilité du programme d’ordinateur créé de façon indépendante ».
Il n’est donc pas question de décompiler à des fins de tests.
Devant l’ampleur de l’affaire VW, ce qui était acquis comme un principe intangible est clairement remis en cause.
L’obsolescence programmée
Ce n’est pas la seule répercussion de l’affaire. Profitant du scandale, une autre thématique ressurgit : l’obsolescence programmée.
Qui n’a jamais entendu ses parents se plaindre qu’avant, on tenait dix ans avec la même machine à laver alors qu’aujourd’hui, après quatre ans, il faut la changer ? Qui n’a jamais eu le sentiment que jadis on construisait les choses pour durer, alors qu’aujourd’hui on doit les changer régulièrement ?
Certaines études affirment que ce qui précède n’est pas qu’une impression, et que le cycle de vie des produits est clairement plus court aujourd’hui qu’avant.
Ces études avancent deux causes :
La première est facile à comprendre. Pour des raisons d’économie, les fabricants ont parfois tendance à faire des choix qui se répercutent sur la durée de vie du produit. De toute évidence, si le tambour de la machine à laver ou les joints sont réalisés dans un matériau moins solide (mais aussi moins cher), la probabilité est élevée que la durée de vie du produit soit raccourcie.
La seconde cause est plus sournoise. Il y aurait des logiciels embarqués qui créeraient artificiellement la nécessité de changer le produit alors que celui-ci serait, sur le plan mécanique, toujours apte à remplir ses fonctions. Traduction concrète : après un certain nombre de lavages déterminé par le fabricant, un logiciel « fabriquerait » un problème obligeant l’utilisateur à racheter une nouvelle machine. C’est ce qu’on appelle l’obsolescence programmée.
Il n’y a pas réellement de lien – à tout le moins à ce stade – entre l’obsolescence programmée et le scandale VW. Pourtant, profitant de la remise en cause générale de l’informatique embarquée, certains observateurs plaident pour plus de transparence, et prennent l’exemple de l’obsolescence programmée pour montrer à quel point l’informatique embarquée fait perdre le contrôle à l’utilisateur.
Plus d’infos ? Venez à la conférence
En collaboration avec le cabinet ULYS, nous vous proposons une conférence qui se tiendra le 21 octobre à Bruxelles, sur le thème de l’informatique embarquée et plus spécifiquement sur trois thèmes principaux :
1. L’obsolescence programmée.
Faut-il un cadre juridique entourant l’obsolescence programmée ?
2. La décompilation.
Quand a-t-on le droit de décompiler un logiciel ? Faut-il revoir ce cadre juridique ?
3. L’action collective.
L’action collective est-elle un remède efficace dans une affaire comme le scandale VW ?
Plus d’infos et inscription sur la conférence (gratuite mais sur inscription préalable).