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Le régime de la création salariée est d’interprétation restrictive. La cour de cassation le rappelle.

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Par un arrêt du 3 juin 2010, la cour de cassation belge a précisé que la présomption de cession à l’employeur des droits patrimoniaux relatifs aux programmes d’ordinateur développés par les employés, est d’interprétation restrictive : il faut un contrat de travail. Un gérant ou un administrateur indépendant ne répond pas à cette caractéristique.

Rappel du droit applicable

La question de la titularité des droits sur des programmes informatiques développés au sein d’une entreprise n’est pas aussi évidente qu’elle n’y parait.

1°De quelle protection bénéficie un programme d’ordinateur ?

Les programmes d’ordinateur sont protégés par le droit d’auteur. Ils sont en effet assimilés aux œuvres littéraires conformément à la loi du 30 juin 1994 transposant en droit belge la directive européenne du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur. (« LPO »)

Afin de bénéficier ce cette protection, ledit programme doit par conséquent être original et respecter la condition de mise en forme. Les idées ne sont pas protégeables.

Le cadre juridique est donc double : la loi générale sur le droits d’auteur (LDA) et la loi spécifique sur les programmes d’ordinateur (LPO).

2° Qui est l’auteur du programme d’ordinateur ?

En matière de titularité, il existe un principe général selon lequel, c’est la personne physique qui créé l’œuvre qui est titulaire originaire du droit d’auteur. (article 6 al. 1 Loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins- « LDA »).

Selon l’article 6 al 2 LDA « est [toutefois] présumé auteur, sauf preuve contraire, quiconque apparait comme tel sur l’œuvre, sur une reproduction de l’œuvre, ou en relation avec une communication au public de celle-ci, du fait de la mention de son nom ou d’un sigle permettant de l’identifier ».

La question qui se pose à ce stade est celle de savoir si une personne morale – une société- peut être titulaire originaire d’un droit d’auteur sur un programme d’ordinateur crée en son sein.

Elle a été envisagée dans la directive européenne du 14 mai 1991 qui permet aux Etats Membre de reconnaitre cette possibilité. La Belgique ne l’a toutefois pas transposée. Dés lors, à ce jour, « le titulaire originaire « ab initio » du droit d’auteur est toujours la personne physique qui crée l’œuvre, même si ses droits patrimoniaux sont ultérieurement cédés où sont présumés avoir été cédés ».

En vertu de ce principe, les droits sur l’œuvre qui a été créée par un employé dans le cadre de sa mission de travail, reviendront à cet employé. Ce n’est qu’à posteriori, par le jeu d’une cession de droits, qu’ils pourront être dévolus à l’employeur…d’où l’importance des mécanismes de cessions de droits.

3° Le cas particulier des créations des salariés

En vertu de l’article 3 al.3 LDA : « Lorsque des œuvres sont créées par un auteur en exécution d’un contrat de travail ou d’un statut, les droits patrimoniaux peuvent être cédés à l’employeur pour autant que la cession des droits soit expressément prévue et que la création de l’œuvre entre dans le champ du contrat ou du statut. »
La cession « automatique » est donc possible, mais à la condition d’avoir été prévue.

Dérogeant à cette règle, l’article 3 de la LPO prévoit que « sauf disposition contractuelle ou statutaire contraire, seul l’employeur est présumé cessionnaire des droits patrimoniaux relatifs aux programmes d’ordinateur créés par un ou plusieurs employés ou agents dans l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions de leur employeur. »

La situation est donc inversée : en matière de programmes d’ordinateur, le législateur a prévu une présomption de cession en faveur de l’employeur de la personne qui a réalisé ledit programme d’ordinateur. Il a voulu s’écarter de la règle générale applicable en matière de droits d’auteur qui exige qu’une cession à l’employeur soit expressément prévue.

La raison liée à l’instauration de cette présomption réside dans la volonté de faciliter l’exploitation des programmes d’ordinateurs, dont la création nécessite l’intervention de plusieurs développeurs. Elle participe aussi à une logique économique de protection des investisseurs.

Les questions de droit soumises à la Cour de Cassation

La question posée à la cour de cassation vise à savoir si un gérant, qui n’est pas un salarié mais un indépendant, est visé par la présomption de cession instaurée par la LPO.

1° Pour la Cour d’appel : il ne bénéficie d’aucun droit d’auteur sur ce programme

Pour en arriver à cette conclusion, la Cour d’appel de Gand va dans, son arrêt du 3 novembre 2008, articuler son raisonnement autour de deux arguments principaux.

La présomption de cession

Dans un premier temps, elle va décider que l’article 3 de la LPO s’applique au gérant statutaire, de sorte qu’il y a eu cession automatique des droits patrimoniaux au profit de la société dont Monsieur H était gérant.

La titularité des droits

 Dans un deuxième temps, la Cour va préciser que : « Même si l’on devait considérer que l’article 3 de la loi (…) ne s’applique pas à un gérant statutaire (…) Monsieur H. n’en est pas pour autant un auteur à son nom propre et pour son propre compte au sens de la loi du 30 juin 1994 (LDA)(… ) »

Selon elle, puisque « Monsieur H travaillait en tant que gérant pour la société, dans le cadre de l’objet social de la société, les droits patrimoniaux du programme d’ordinateur faisaient partie de l’actif de la société ».

Ainsi, présomption ou pas, la Cour d’appel estime que la société est titulaire des droits d’auteur sur le programme d’ordinateur car son développement relevait de l’objet social de la société.

Le hic est qu’aucun document écrit de cession des droits patrimoniaux de Monsieur H à la société n’avait été déposé à la cause. La Cour justifia toutefois : « aucune pièce des dossiers ne permet de considérer que c’est la société qui a donné personnellement à Monsieur H la mission de développer le logiciel, de sorte qu’il y a lieu de déduire de l’ensemble des éléments que le programme d’ordinateur (…) faisait partie du patrimoine de la société. C’est pourquoi aucun document écrit de cession de droits patrimoniaux de Monsieur H. à la société n’est requis pour démontrer que le programme a été valablement vendu par le curateur (…) »

2° La Cour de Cassation va casser cet arrêt

Quant à la présomption de cession prévue à l’article 3 de la LPO

La Cour de Cassation va rappeler au préalable que cette présomption de cession des droits patrimoniaux instaurée en faveur de l’employeur en matière de programmes d’ordinateur, est une règle dérogatoire par rapport au régime général en matière de droit d’auteur qui exige, qu’une clause de cession de ces droits soit expressément prévue dans le contrat de travail.

La présomption de l’article 3 de la LPO ne peut donc être invoquée qu’à la condition :

  • – que le programme ait été réalisé par un employé ou un agent
  • – dans l’exercice de ses fonctions, ou selon les instructions de l’employeur.

Appliquant strictement cette disposition, la Cour va conclure que cette présomption « ne peut être étendue aux droits patrimoniaux relatifs aux programmes d’ordinateur crées par le gérant statutaire d’une société commerciale qui n’a pas la qualité d’employé ensuite d’un contrat de travail conclu avec cette société ».

La conclusion est que le régime dérogatoire prévu pour les salariés et les agents ne peut pas s’appliquer aux gérants de société.

Quant à la titularité des droits de la société

Arguant que le gérant n’agissait pas en son nom personnel mais au nom et pour le compte de la société, la Cour d’appel avait considéré que les droits d’auteur sur le programme informatique, n’étaient pas nés dans le chef de Monsieur H – personne physique ayant crée le programme – mais bien dans celui de la société.

La Cour de Cassation renverse cette conclusion, en se basant sur les développements repris ci-avant :

  1. En principe, c’est la personne physique qui créé l’œuvre qui en est l’auteur ;
  2. La directive européenne du 14 mai 1991 prévoit la possibilité pour les Etats membres de considérer une personne morale comme titulaire originaire du droit d’auteur mais la Belgique n’a pas exploité cette possibilité.
  3. En conséquence : le titulaire originaire de l’œuvre est toujours la personne physique qui l’a créé, même si, a posteriori, ses droits sont cédés ou présumés l’être.

La société ne pouvait donc pas être titulaire ab initio de droits d’auteur sur ledit programme. La Cour de Cassation reconnait au contraire que cette titularité des droits revenait au gérant.

Conclusions

A l’occasion de cette affaire, la Cour de Cassation a eu l’occasion de préciser la portée des règles spéciales applicables en matière de protection juridique des programmes d’ordinateur et en matière de titularité des droits. Elle les a replacées dans le cadre général du droit d’auteur qui consacre lui aussi des dispositions spécifiques, notamment en matière de cession des droits des employés.

L’interprétation d’une disposition dérogatoire à un régime général (droit d’auteur), lui-même spécifique vis-à-vis des règles de droit commun des obligations, devait forcément se faire de façon restrictive.

Il en ressort dans les faits qu’une société qui développe des logiciels conçus en tout ou partie par des gérants ou tout autre collaborateur indépendant (consultant, administrateur, membre du comité de direction, etc.) devra veiller à conclure une convention de cession de droits précise de façon à éviter toute revendication ultérieure de droits par ces auteurs – titulaires ab initio.

La prudence s’impose dés lors au sein de ces sociétés qui recourent à d’autres travailleurs que des salariés pour concevoir des logiciels. La loi est stricte. La présomption de cession en faveur de la société ne jouera ainsi que dans le respect « religieux » de ses conditions et un gérant statutaire n’est ni un salarié, ni un agent…

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