Le [.RE] au cœur de toutes les convoitises…
Publié le 07/12/2008 par Sulliman Omarjee
Longtemps effacé par le « .fr », le « .re » connaît actuellement son heure de gloire : au cour d’affaires inédites de cybersquatting, il révèle son intérêt stratégique pour toute communication en ligne à partir ou à destination de l’Île de La Réunion. Si des abus sont symétriquement apparus, fort heureusement des solutions existent !
Destiné à identifier le territoire géographique de La Réunion sur la toile, le [.re] ne manque pas de potentialités. En effet, beaucoup de termes génériques restent encore disponibles à l’enregistrement : ; ; … Des combinaisons stratégiques sont également possibles : ; … Enfin, les lettres « RE » correspondent en anglais à l’abréviation « Real Estate » (immobilier en français) et ne manquent pas d’attirer des sociétés anglo-saxonnes immobilières.
Toutefois les conditions strictes d’attribution du ".re" limitent le nombre de candidats éligibles à son enregistrement. En dépit de celles-ci, des abus ont été commis, portant atteinte à divers signes distinctifs, au premier rang desquels la marque de commerce. Face à ces pratiques, il importe à chaque détenteur de droit de savoir valoriser les potentialités offertes par cette extension originale et défendre son ".re" !
1. Les conditions d’enregistrement d’un ".re"
Le <.re> identifie sur la toile le territoire géographique de La Réunion : il s’adresse au public réunionnais. Dès lors toute entreprise locale ou extérieure, qui offre des services à destination du public réunionnais, aura intérêt à enregistrer un nom de domaine en c.
Toutefois, les conditions d’attribution d’un ".re" sont strictes. L’AFNIC, qui a en charge la gestion de cette extension, a établit une charte de nommage spécifique qui impose la preuve d’une domiciliation à La Réunion ; dans le cas contraire, l’enregistrement n’est pas possible.
Ainsi, seules les personnes morales pouvant justifier d’une adresse sur l’île peuvent prétendre à un enregistrement.
S’agissant des personnes physiques, les conditions sont plus restrictives : non seulement elles doivent justifier d’une résidence locale, peu importe qu’elles soient françaises ou étrangères ; mais elles doivent également être titulaire d’une marque déposé à l’INPI ou d’une marque communautaire visant expressément le territoire français, laquelle fait l’objet de la demande d’enregistrement (article 4 de la charte).
Contrairement au ".fr", le ".re" n’est pas librement ouvert à toute personne physique. Cette restriction permet de privilégier la finalité professionnelle de l’enregistrement : il s’agit de contrôler le sérieux et la cohérence des demandes afin d’éviter des dérives.
Cette différence de régime et la finalité qui l’anime ne semblent plus pertinents aujourd’hui, d’autant que les principaux cas de cybersquatting locaux résultent essentiellement de l’action de personne morales qui se présentent comme des « professionnels ».
2. Les dérives liées au ".re"
Comme pour le ".fr", le ".re" a inspiré des actes de cybersquatting.
Ainsi, quelques sociétés étrangères, détentrices de marques mondialement connue, ont eu la surprise de découvrir celles ci utilisées comme nom de domaine en ".re", sans autorisation de leur part. De jeunes entrepreneurs avaient eu la témérité d’enregistrer à leur profit ces marques sous une extension en <.re>. L’AFNIC ne s’étant pas opposé à ces enregistrements malgré leur caractère manifestement illicite, ces derniers pensaient pouvoir s’abriter derrière l’exigence de domiciliation à La Réunion.
Pourtant, même en l’absence de résidence sur l’île, les sociétés victimes n’en demeuraient pas moins fondées à agir en contrefaçon, d’une part en raison de l’existence d’un dépôt en France auprès de l’INPI et d’autre part en raison du caractère de renommée des marques en cause.
De plus, bien que l’AFNIC ait validé de tels dépôts, sa charte de nommage proscrit expressément l’enregistrement de terme portant atteinte à la propriété intellectuelle de manière générale (propriété littéraire et artistique, propriété industrielle – article 15 de la charte). Les articles 29, 15 et 8 désignent par ailleurs comme seul responsable du terme enregistré le titulaire de l’enregistrement, sans que la responsabilité de l’AFNIC puisse être recherchée.
En enregistrant un nom de domaine, le titulaire accepte automatiquement l’application de cette charte, laquelle lui est opposable en cas de litige. Cette responsabilité ne peut pas être déchargée sur le contact administratif, sauf à le rendre solidairement responsable de l’atteinte (affaire Miss France.fr ).
Enfin, l’exploitation même des sites Internet correspondants fragilisaient la bonne foi des titulaires :
- certaines URL menaient vers une page unique, statique, inchangée depuis la date d’enregistrement du nom de domaine. Or tant la jurisprudence française que celle de l’OMPI ont pu déduire d’une page unique la mauvaise foi du titulaire, qui par cette action de blocage prive le détenteur légitime de la possibilité d’exploiter le nom de domaine. L’argument invoqué de la « non exploitation du nom de domaine » est donc inopérant ;
- d’autres URL aboutissaient à des sites commerciaux, qui profitaient alors du détournement de traffic pour vendre leur produits ou service souvent sans aucun rapport avec le terme enregistré. L’intention de nuire est alors indéniable
Des signes distinctifs réunionnais ont également été victime de cybersquatting : lorsqu’un terme n’était pas déposé à l’INPI comme marque, les jeunes entrepreneurs ont « joué » au jeu de celui qui enregistre le plus vite des noms de domaine stratégiques en ".re" selon la règle du « premier arrivé, premier servi ».
Or même lorsqu’un terme n’est pas déposé auprès de l’INPI comme marque, il n’en demeure pas moins protégeable : le droit français protège en effet les marques notoires et l’action en parasitisme permet d’étendre la protection à tout signe distinctif dès lors qu’il y a risque de confusion ou encore qu’un acteur économique s’immisce dans le sillage d’un autre, profitant de ses efforts sans bourse délier. Cette protection est reconnue par l’AFNIC qui réprouve l’enregistrement d’un terme « portant atteinte aux règles de la concurrence et du comportement loyal en matière commerciales » (article 15 de la charte du <.re>)
La victime de Cybersquating d’un ".re" est donc loin d’être désarmée, qu’elle soit résidente ou pas à La Réunion.
3. Défendez votre ".re" !
Face aux dérives constatées, il est primordial pour chaque détenteur de droit de défendre ses signes distinctifs contre toute atteinte en ".re".
Dans un premier temps, un constat d’huissier réalisé dans les règles de l’art permettra de faire constater l’atteinte et de disposer d’un moyen de preuve précieux, voire même d’une arme de dissuasion pouvant amener à une transaction : une exécution volontaire du contrevenant sera toujours préférable à une exécution forcée.
Toutefois, en cas de résistance, les procédures d’arbitrages gérées par l’AFNIC ou par l’OMPI permettront d’imposer la restitution du nom de domaine litigieux. Ainsi la procédure PREDEC instituée par l’AFNIC sur la base du décret du 6 février 2007 relatif à l’attribution et à la gestion des noms de domaines, vise à obtenir en 45 jours le transfert du nom de domaine en cas de violation manifeste. Ces procédures sont particulièrement intéressantes pour obtenir une restitution rapide mais elles ne permettent pas d’obtenir des dommages et intérêts.
Or la réparation de l’atteinte est légitime surtout en cas d’exploitation commerciale : dans ce cas seul le recours aux tribunaux de La Réunion (puisque le cybersquatteur est supposé y être domicilié), permettra à la victime d’obtenir la réparation de son préjudice.
Enfin, les sociétés étrangères qui auront récupéré leurs noms de domaines pourront demander la suppression de celui-ci. Dans ce cas le nom de domaine retombe dans le domaine public et redevient disponible : il peut alors être enregistré à nouveau, ce qui expose à de nouveaux risques de cybersquatting.
Une solution plus judicieuse consiste à recourir aux contrats de domiciliation. Ce choix dépendra toutefois de la volonté de la marque étrangère de s’adresser au public réunionnais par le biais de son site Internet. Dans ce cas le recours à un partenaire local soigneusement sélectionné sera bienvenu.
A défaut, une plus grande vigilance de l’AFNIC sur un terme ayant fait l’objet d’une contestation ou d’une suppression est souhaitable. Ainsi, l’adjonction d’un délai d’opposition comme dans la procédure de dépôt de marque ou encore la création d’une procédure de notification comme dans le cadre de la LCEN sont des pistes intéressantes à explorer.