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Le filtrage des téléchargements imposé aux FAI est illégal

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La cour de justice de l’Union européenne a tranché : le droit de l’Union s’oppose à une injonction, prise par une juridiction nationale, d’imposer à un fournisseur d’accès à Internet la mise en place d’un système de filtrage afin de prévenir les téléchargements illégaux de fichiers. Une telle injonction ne respecte pas l’interdiction d’imposer à un tel prestataire une obligation générale de surveillance ni l’exigence d’assurer le juste équilibre entre, d’une part, le droit de propriété intellectuelle et, d’autre part, la liberté d’entreprise, le droit à la protection des données à caractère personnel et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations.

Les faits

Cette affaire est née d’un litige opposant le FAI Scarlet Extended SA  la à SABAM, société de gestion belge chargée d’autoriser l’utilisation, par des tiers, des œuvres musicales des auteurs, des compositeurs et des éditeurs.

SABAM a constaté, en 2004, que des internautes utilisant les services de Scarlet téléchargeaient sur Internet, sans autorisation et sans paiement de droits, des oeuvres reprises dans son catalogue au moyen de réseaux « peer-to-peer » (moyen transparent de partage de contenu, indépendant, décentralisé et muni de fonctions de recherche et de téléchargement avancées).

La SABAM cite alors Scarlet devant le Tribunal de première instance de Bruxelles, au motif que des internautes utilisent leur accès Internet pour télécharger illégalement des œuvres protégées en utilisant des logiciels peer-to-peer. Elle soutenait en résumé, que le fournisseur d’accès profite directement de ces agissements par le biais de la tarification appliquée, est le mieux placé pour prendre les mesures qui s’imposent en vue de faire cesser les atteintes au droit d’auteur.

Le premier jugement

En novembre 2004, le Président du Tribunal constate l’atteinte au droit d’auteur. Il désigne toutefois un expert afin d’examiner quelles sont les solutions techniques qui sont réalisables et efficaces.

L’expert déposera un rapport en janvier 2007, dans lequel il répond au Tribunal d’une manière nuancée. C’est que, à l’exception d’une seule, toutes les solutions techniques empêchent l’utilisation des réseaux peer-to-peer indépendamment du contenu qui y est véhiculé. En outre, l’efficacité sur le moyen terme n’est pas garantie à cause du cryptage de plus en plus fréquent. L’expert fait toutefois une exception pour le système proposé par la société Audible Magic, tout en relevant qu’il n’est pas évident de garantir l’efficacité de ce filtre si on le confronte au volume de trafic d’un FAI.

En juin 2007, sur la base de ce rapport, le président du tribunal a condamné Scarlet à faire cesser les atteintes au droit d’auteur constatées dans son jugement de 2004, « en rendant impossible toute forme, au moyen d’un logiciel peer-to-peer, d’envoi ou de réception par ces clients de fichiers électroniques reprenant une œuvre musicale du répertoire de la SABAM sous peine d’une astreinte ».

La cour d’appel

Le 28 janvier 2010, la cour d’appel rend un arrêt dans lequel elle rappelle le cadre juridique qui s’applique.

Il y a bien entendu la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, et plus particulièrement l’article 87 paragraphe 1er selon lequel le président du tribunal de première instance constate l’existence et ordonne la cessation de toute atteinte aux droit d’auteur ou à un droit voisin. « Il peut également rendre une injonction de cessation à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte aux droits d’auteur ou à un droit voisin ».

Pour la Cour, cette dernière disposition doit être interprétée à la lumière des directives 2001/29 (droit d’auteur dans la société de l’information), 2004/48 (respect des droits de propriété intellectuelle) et 2000/31 (Directive sur le commerce électronique qui comprend des dispositions spécifiques sur la responsabilité des intermédiaires techniques).

La Cour ajoute à cela, la prise en considération de la loi du 8 décembre 1992 relative à la protection de la vie privée de données à caractère personnel, ainsi que la loi du 13 juin 2005 qui interdit la prise de connaissance des communications électroniques, ainsi que la directive 2002/58 relative à la vie privée dans le secteur des communications électroniques.

On le voit, les textes sont nombreux, les lois de transposition encore plus, et il n’est pas simple pour une chatte d’y retrouver ses chatons.

Ayant rappelé ceci et la position des parties, la Cour estime qu’elle ne peut interpréter l’article 87 paragraphe 1er de la loi belge que conformément au droit communautaire.

La Cour d’appel a, par rapport au juge de première instance, un avantage : l’arrêt Promusicae a été rendu entretemps par la Cour de justice..

Pour la Cour d’appel, cet arrêt européen est utile mais pas suffisant pour résoudre le cas qui lui est soumis.

Utile, car la Cour de justice y a rappelé l’importance de l’équilibre à maintenir en cette matière : « le droit communautaire exige desdits Etats que lors de la transposition des directives, il veille à se fonder sur interprétation de celles-ci qui permettent d’assurer un juste équilibre entre les différents droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique communautaire. Ensuite, lors de la mise en œuvre des musiques des mesures de transposition desdites directives, il incombe aux autorités et aux juridictions des Etats membres non seulement d’interpréter leur droit national d’une manière conforme à ces mêmes directives, mais également de ne pas se fonder sur une interprétation de celles-ci qui entrerait en conflit avec lesdits droits fondamentaux ou avec les autres principes généraux du droit communautaire, tel que le principe de proportionnalité ».

La Cour d’appel estime que la même nécessité de conciliation des exigences liées à la protection des différents droits fondamentaux s’impose dans l’affaire qui lui est soumise.

Pas suffisant, car il y a dans l’affaire qui lui est soumise, une différence notable par rapport à l’affaire Promusicae : l’ingérence dans la vie privée interviendrait ici a priori, en vu d’éviter une atteinte future à un droit de propriété intellectuel, et non a posteriori, comme ce fut le cas dans l’affaire Promusicae.

Les questions préjudicielles

Eu égard a ceci, la Cour estime qu’elle ne peut prendre attitude en l’état et pose à la Cour de justice les deux questions préjudicielles suivantes :

Les directives 2001/29 et 2004/48, lues en combinaison avec les directives 95/46, 2000/31 et 2002/58, interprétées notamment au regard des articles 8 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, permettent-elles aux Etats membres d’autoriser un juge national, saisi dans le cadre d’une procédure au fond et sur la base de la seule disposition légale prévoyant que « Ils (le juge national) peuvent également rendre une injonction de cessation à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte au droit d’auteur ou à un droit voisin », à ordonner à un Fournisseur d’accès à l’Internet (en abrégé FAI) de mettre en place , à l’égard de toute sa clientèle, in abstracto et à titre préventif, aux frais exclusifs de ce FAI et sans limitation dans le temps, un système de filtrage de toutes les communications électroniques, tant entrantes que sortantes, transitant pas ses services, notamment par l’emploi de logiciels peer to peer, en vue d’identifier sur son réseau la circulation de fichiers électroniques concernant une œuvre musicale, cinématographique ou audio-visuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits et ensuite de bloquer le transfert de ceux-ci, soit au niveau de la requête, soit à l’occasion de l’envoi ?

En cas de réponse positive à la question sub.1., ces directives imposent-elle au juge national, appelé à statuer sur une demande d’injonction à l’égard d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur, d’appliquer le principe de proportionnalité lorsqu’il est amené à se prononcer sur l’efficacité et l’effet dissuasif de la mesure demandée ?

La position de la cour de justice de de l’Union européenne

Dans son arrêt rendu ce jour, la Cour rappelle, tout d’abord, que les titulaires de droits de propriété intellectuelle peuvent demander qu’une ordonnance soit rendue à l’encontre des intermédiaires, tels que les fournisseurs d’accès à Internet, dont les services sont utilisés par les tiers pour porter atteinte à leurs droits. En effet, les modalités des injonctions relèvent du droit national. Toutefois, ces règles nationales doivent respecter les limitations découlant du droit de l’Union, telle notamment l’interdiction prévue par la directive sur le commerce électronique selon laquelle les autorités nationales ne doivent pas adopter des mesures qui obligeraient un fournisseur d’accès à Internet à procéder à une surveillance générale des informations qu’il transmet sur son réseau.

À cet égard, la Cour constate que l’injonction en question obligerait Scarlet à procéder à une surveillance active de l’ensemble des données de tous ses clients afin de prévenir toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle. Il s’ensuit que l’injonction imposerait une surveillance générale qui est incompatible avec la directive sur le commerce électronique. En outre, une telle injonction ne respecterait pas les droits fondamentaux applicables.

Certes, la protection du droit de propriété intellectuelle est consacrée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Cela étant, il ne ressort nullement de la Charte, ni de la jurisprudence de la Cour, qu’un tel droit serait intangible et que sa protection devrait donc être assurée de manière absolue.

Or, en l’occurrence, l’injonction de mettre en place un système de filtrage implique de surveiller, dans l’intérêt des titulaires de droits d’auteur, l’intégralité des communications électroniques réalisées sur le réseau du fournisseur d’accès à Internet concerné, cette surveillance étant en outre illimitée dans le temps. Ainsi, une telle injonction entraînerait une atteinte caractérisée à la liberté d’entreprise de Scarlet puisqu’elle l’obligerait à mettre en place un système informatique complexe, coûteux, permanent et à ses seuls frais.

De plus, les effets de l’injonction ne se limiteraient pas à Scarlet, le système de filtrage étant également susceptible de porter atteinte aux droits fondamentaux de ses clients, à savoir à leur droit à la protection des données à caractère personnel ainsi qu’à leur liberté de recevoir ou de communiquer des informations, ces droits étant protégés par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, il est constant, d’une part, que cette injonction impliquerait une analyse systématique de tous les contenus ainsi que la collecte et l’identification des adresses IP des utilisateurs qui sont à l’origine de l’envoi des contenus illicites sur le réseau, ces adresses étant des données protégées à caractère personnel. D’autre part, l’injonction risquerait de porter atteinte à la liberté d’information puisque ce système risquerait de ne pas suffisamment distinguer entre un contenu illicite et un contenu licite, de sorte que son déploiement pourrait avoir pour effet d’entraîner le blocage de communications à contenu licite.

Par conséquent, la Cour constate que, en adoptant l’injonction obligeant Scarlet à mettre en place un tel système de filtrage, le juge national ne respecterait pas l’exigence d’assurer un juste équilibre entre le droit de propriété intellectuelle, d’une part, et la liberté d’entreprise, le droit à la protection des données à caractère personnel et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, d’autre part.

Dès lors, la Cour répond que le droit de l’Union s’oppose à une injonction faite à un fournisseur d’accès à Internet de mettre en place un système de filtrage de toutes les communications électroniques transitant par ses services, lequel s’applique indistinctement à l’égard de toute sa clientèle, à titre préventif, à ses frais exclusifs et sans limitation dans le temps.

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