Le droit français intègre les directives européennes sur la monnaie électronique
Publié le 29/04/2003 par Etienne Wery
L’arrêté ministériel du 10 janvier 2003 porte homologation du règlement n° 2002-13 du Comité de la réglementation bancaire et financière. Sous cette appellation un peu rébarbative se cache un événement important puisque ce faisant, le droit français s’est aligné sur les directives européennes en matière de monnaie électronique. Cadre juridique européen relatif aux établissements…
L’arrêté ministériel du 10 janvier 2003 porte homologation du règlement n° 2002-13 du Comité de la réglementation bancaire et financière. Sous cette appellation un peu rébarbative se cache un événement important puisque ce faisant, le droit français s’est aligné sur les directives européennes en matière de monnaie électronique.
Cadre juridique européen relatif aux établissements de crédit
Le cadre juridique européen relatif aux établissements de crédit est constitué de la directive du 20 mars 2000. L’établissement de crédit y est désigné comme « une entreprise dont l’activité consiste à recevoir du public des dépôts ou d’autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour son propre compte ». Puis, à l’occasion de l’adoption de la directive 2000/46 du 18 septembre 2000 sur les établissements de monnaie électronique (voir ci-dessous), le législateur a adopté le même jour une directive complétant cette définition pour faire le lien entre les textes. Le texte ainsi modifié ne touche pas à la définition précédente, mais ajoute à la fin : « ou un établissement de monnaie électronique au sens de la directive 2000/46/CE ».
Le législateur européen s’est ému du cas particulier que représentent les institutions émettrices de monnaie électronique. Celles-ci sont concurrentes des établissements de crédit puisque d’un point de vue fonctionnel, elles ont aussi pour but d’offrir à leurs clients un moyen de paiement lors d’une transaction. D’un autre côté, le cadre très lourd des établissements de crédit a été jugé disproportionné pour ces institutions qui se limitent souvent au métier de la monnaie électronique au sens strict et qui sont en outre, pour la plupart, de taille plus modeste que les banques centenaires qui occupent la place. Enfin, à tort ou à raison, le développement de la monnaie électronique a été considéré comme un des moyens efficaces de promouvoir le commerce électronique européen, de sorte que l’assouplissement du cadre juridique des émetteurs est devenu un objectif politique.
Pour tous ces motifs, le 18 septembre 2000, l’Union a adopté la directive 2000/46 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements. Elle a simultanément adopté une directive modifiant techniquement la directive 2000/12 (voy. ci-dessus).
Cadre juridique français relatif aux établissements de crédit
La loi française de référence, qui remonte au 24 janvier 1984, a été codifiée dans le Code Monétaire et Financier (CMF). L’article 511-1 CMF stipule que les établissements de crédit sont des personnes morales qui effectuent à titre de profession habituelle des opérations de banque au sens de l’article L. 311-1. C’est donc par le biais de leurs activités (désignées sous le terme générique « d’opérations de banques ») que la loi définit les établissements de crédit. Ces activités sont, elles aussi, définies : elles comprennent (i) la réception de fonds du public, (ii) les opérations de crédit, ainsi que (iii) la mise à la disposition de la clientèle ou la gestion de moyens de paiement.
Pour exercer leur activité, les établissements de crédit doivent être préalablement agréés. L’agrément leur est octroyé en précisant la qualité : banque, banque mutualiste ou coopérative, caisse de crédit municipal, société financière ou institution financière spécialisée. Seules les banques, les banques mutualistes ou coopératives et les caisses de crédit municipal sont habilitées d’une façon générale à recevoir du public des fonds à vue ou à moins de deux ans de terme.
L’agrément constitue un prix important à payer pour accéder aux opérations de banques. Mais le jeu en vaut la chandelle : le précieux sésame ouvre en effet les portes d’un marché protégé puisque les établissements de crédit ont reçu le monopole des opérations de banque. Conformément aux articles aux articles 511-5 à 511-8, il est en effet interdit à toute personne autre qu’un établissement de crédit d’effectuer des opérations de banque à titre habituel, ou de recevoir du public des fonds à vue ou à moins de deux ans de terme. Des dispositions pénales sanctionnent la violation de cette interdiction.
Dans la limite des services qu’il est habilité à fournir sur le territoire d’un Etat membre autre que la France où il a son siège social, et en fonction de l’agrément qu’il y a reçu, tout établissement de crédit peut, sur le territoire de la France métropolitaine et des départements d’outre-mer, établir des succursales pour fournir des services bancaires et intervenir en libre prestation de services dans les conditions définies à l’article L. 511-24 CMF, sous réserve que le comité des établissements de crédit et des entreprises d’investissement ait préalablement été informé par l’autorité compétente de l’Etat membre, dans des conditions fixées par le comité de la réglementation bancaire et financière. Ces établissements sont dispensés de l’agrément préalable. Ils ne sont pas soumis aux règlements du comité de la réglementation bancaire et financière, sauf quelques exceptions.
Bien entendu, les établissements français jouissent au sein de l’Union d’un droit similaire lorsqu’ils étendent leurs activités à l’étranger (art. L-511-27 et 511-28 CMF).
Les apports du nouveau cadre juridique sur la monnaie électronique
Ce cadre vient donc d’être complété par l’arrêté ministériel, en vue de réglementer l’activité des établissements qui émettent de la monnaie électronique, et pour régler le statut juridique de cette monnaie. Passons en revue quelques principes phares du nouveau cadre légal …
Au terme de l’arrêté, la monnaie électronique est composée d’unités de valeur, dites unités de monnaie électronique. Chacune constitue un titre de créance incorporé dans un instrument électronique et accepté comme moyen de paiement, au sens de l’article L. 311-3 du code monétaire et financier, par des tiers autres que l’émetteur. La monnaie électronique est émise contre la remise de fonds. Elle ne peut être émise pour une valeur supérieure à celle des fonds reçus en contrepartie.
Quant aux établissement qui font leur métier de la monnaie électronique, le règlement en distingue plusieurs catégories :
(…) un établissement de crédit débiteur de la créance incorporée dans l’instrument électronique est considéré comme un établissement émetteur de monnaie électronique, dit établissement émetteur ; un établissement de crédit offrant à la clientèle un service de chargement, de rechargement ou d’encaissement est considéré comme un établissement distributeur, dit établissement distributeur. Les établissements émetteurs et distributeurs sont soumis aux dispositions du titre Ier du présent règlement (NDR : dispositions générales sur la monnaie électronique) et, s’ils limitent leur activité à l’émission, la mise à la disposition du public ou la gestion de monnaie électronique, aux dispositions du titre II (contrôle prudentiel des établissements). Ces établissements qui limitent leur activité à l’émission, la mise à la disposition du public ou la gestion de monnaie électronique sont désignés établissements de monnaie électronique.
Clef de voûte du régime légal européen, la remboursabilité implique que le porteur de monnaie électronique peut, pendant la période de validité, exiger de l’émetteur qu’il le rembourse à la valeur nominale en pièces et en billets de banque ou par virement à un compte sans autres frais que ceux qui sont strictement nécessaires à la réalisation de l’opération. Le contrat peut néanmoins prévoir pour le remboursement un montant minimal, qui ne peut être supérieur à 10 €. En tout état de cause, le contrat doit établir clairement les conditions de remboursement.
Le droit français a repris cette obligation puisque « Tout au long de leur période de validité, les unités de monnaie électronique non utilisées sont remboursées par l’établissement émetteur dans les conditions prévues par le contrat le liant au porteur de monnaie électronique ». Les précisions nécessaires à la mise en oeuvre de la remboursabilité sont fixées par l’article 3 de l’arrêté.
Le règlement distingue selon que le porteur est identifié ou non. En effet, les unités de monnaie électronique incorporées dans un instrument qui ne permet pas l’identification du porteur ne peuvent excéder à aucun moment 150 EUR. Les contrats conclus avec les porteurs et les accepteurs prévoient que les paiements unitaires ou fractionnés effectués au moyen de ce type d’instrument ne peuvent excéder 30 EUR par opération. L’établissement émetteur ou distributeur qui effectue une opération de chargement ou de rechargement d’un tel instrument par espèces pour un montant supérieur à 30 EUR relève l’identité de la personne qui lui demande la réalisation de l’opération, sauf si cette personne est un client dudit établissement. Il tient l’identité de cette personne à la disposition des établissements émetteur ou distributeur concernés, des autorités de contrôle bancaire et du service mentionné à l’article L. 562-4 du code monétaire et financier pendant deux ans.
Allant plus loin, le règlement introduit le principe de tracabilité. A ce titre, l’établissement émetteur assure la traçabilité pendant deux ans des chargements et des encaissements des unités de monnaie électronique. Il veille à disposer de moyens lui permettant d’assurer en cas d’atteintes à la sécurité de tout ou partie du système la traçabilité des transactions suspectes. Lorsque le dispositif mis en oeuvre permet que les mêmes unités de monnaie électronique soient utilisées successivement pour des transactions distinctes, l’établissement émetteur assure la traçabilité pendant deux ans de l’ensemble des transactions réalisées. Les établissements distributeurs apportent le concours nécessaire à l’établissement émetteur pour assurer cette traçabilité.
Pour prévenir le blanchiment, les établissements émetteur et distributeur mettent en place un système automatisé de surveillance des transactions inhabituelles ayant comme support la monnaie électronique. Les établissements distributeurs communiquent à l’établissement émetteur les anomalies constatées ayant un lien avec la circulation de la monnaie électronique. L’établissement émetteur peut prendre des dispositions visant à s’assurer que les établissements distributeurs appliquent les normes de sécurité et de vigilance définies.
Enfin, même si les établissements de monnaie électronique sont en partie dispensés du respect des instruments techniques de surveillance prudentielle applicables aux établissements de crédit, ils ne sont pas libres pour autant de fonctionner à leur guise. La directive 2000/46 impose des exigences en matière de capital initial, de fonds propres permanents et de limitation des placements ; elle crée également les outils de contrôle ad hoc. Le but est évidemment de limiter autant que possible les risques d’insolvabilité des établissements. Le titre II du règlement va dans ce sens.
Plus d’infos ?
En prenant connaissance de l’arrêté ministériel, en ligne sur notre site.