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Le « droit à l’oubli » numérique consacré par la Cour de cassation belge

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Il est aujourd’hui acquis que « le droit à l’effacement » permet d’exiger des moteurs de recherche la suppression de certains liens vers des informations le concernant à la suite d’une recherche effectuée sur son nom. Existe-t-il un droit à l’effacement à l’égard d’une archive journalistique numérisée et accessible sur le site web de l’éditeur d’un quotidien ? La Cour de cassation belge a répondu par la positive dans son arrêt du 29 avril 2016 consacrant au passage le droit à l’oubli « numérique ».

Le cas d’espèce

Un arrêt de la Cour d’appel de Liège du 25 septembre 2014 a confirmé une décision du tribunal civil de Neufchâteau du 23 janvier 2013. Il trans-pose ainsi les principes dégagés de l’arrêt Costeja en matière de « droit à l’oubli » dans le cadre de la numérisation d’archives journalistiques.

Pour mémoire, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les droits de rectification et d’opposition permettent à une personne d’exiger d’un moteur de recherche de supprimer de la liste des résultats, affichés à la suite d’une recherche effectuée à partir du nom d’une personne, des liens vers des pages web, publiés par des tiers et contenant des informations relatives à cette personne (CJUE, Google Spain SL c. Costeja, 13 mai 2014, C-121/12, § 88 pour un commentaire approfondi voir notre précédente chronique).

Dans l’affaire soumise à la Cour d’appel de Liège, le demandeur – médecin de profession – avait provoqué en 1994 un grave accident de la circulation ayant entrainé la mort de deux personnes, alors qu’il se trouvait sous l’influence de l’alcool. Il invoqua une faute de l’éditeur sur base de l’article 1382 du Code civil suite à la publication et au maintien en ligne non anonymisé de l’article litigieux sur le site de l’éditeur depuis 2010, dont le contenu a été initialement publié dans l’édition papier du quotidien Le Soir en 1994.

La Cour a d’abord procédé à une mise en balance entre le droit de la personne à ce qu’une information la concernant ne soit plus liée à son nom à la suite d’une recherche effectuée à partir de son nom, le droit à la liberté d’expression et l’intérêt du public à avoir accès à l‘information. Elle a ensuite examiné si la limitation à la liberté d’expression de l’éditeur répondait aux conditions de l’article 10, § 2 de la convention européenne des droits de l’homme, à savoir poursuivre un but légitime, être nécessaire dans une société démocratique et être prévu par la loi.

La cour en conclut qu’il n’existe aucun intérêt public à connaître l’identité du responsable – qui n’exerce aucune fonction publique – d’un accident de la route survenu quelque vingt ans après les faits, alors que le maintien de cette information a pour effet de créer un « casier judiciaire virtuel » portant gravement atteinte à sa réputation.

La Cour d’appel a donc jugé que le demandeur pouvait légitimement exiger de l’éditeur de presse l’anonymisation de la version électronique de l’article le concernant, ce qui éviterait son identification à la suite d’une recherche effectuée à partir de ses nom et prénom. Elle a aussi considéré que l’éditeur avait commis une faute en ne faisant pas droit à cette de-mande.

Condamné à anonymiser la version électronique de l’archive journalistique litigieuse, l’éditeur a introduit un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour d’appel de Liège du 25 septembre 2014.

L’arrêt de la Cour de cassation : la reconnaissance du droit à l’oubli numérique

Dans son pourvoi, l’éditeur en cause avait formulé divers griefs à l’encontre de l’arrêt attaqué. La seconde branche du second moyen –rejetée comme non fondée- a donné lieu à une motivation de principe de la Cour qui fera date en la matière.

Le pourvoi reproche d’abord à l’arrêt de la Cour d’appel d’avoir donné en l’espèce une portée trop extensive au droit à l’oubli, fondant sa critique sur une comparaison avec le devoir légal de conservation des archives de certains périodiques à la bibliothèque royale de Belgique. La mise à disposition de périodiques en bibliothèque, sous le coup le cas échéant d’une obligation légale, accessibles à tout ou partie du public, ne pourrait, d’après lui, engendrer une violation du droit à l’oubli puisqu’elle ne donne lieu à aucune (re) divulgation par une nouvelle publication, susceptible de porter atteinte à la vie privée. Tel devrait être également le principe concernant la demande litigieuse. Reconnaître un droit à l’oubli numérique permettant de demander l’anonymisation d’archives numériques en l’absence d’une telle redivulgation serait donc contraire aux dispositions qui reconnaissent le droit au respect de la vie privée (notamment l’article 22 de la Constitution et l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme).

La Cour de cassation confirme à raison l’arrêt de la Cour d’appel qui avait assimilé la mise en ligne des archives sur internet à une redivulgation c’est-à-dire selon l’expression de la Cour de cassation « une nouvelle divulgation du passé judiciaire du défendeur portant atteinte à son droit à l’oubli ». En effet, il est difficile de nier que la mise en ligne d’une archive journalistique accessible par un moteur de recherche constitue une divulgation nouvelle pour les internautes qui auront par là un nouvel accès au contenu antérieurement publié. Ce faisant, elle reconnaît l’existence même du droit à l’oubli numérique comme expression particulière d’un droit à l’oubli plus général.

Le pourvoi invoquait également une atteinte illicite à la liberté d’expression, laquelle protège également l’intérêt légitime du public à accéder à des archives en ligne, ce qui exclurait toute modification ou caviardage du contenu initial en ce compris la suppression des noms et pré-noms d’une personne citée.

A raison également, notre Cour de cassation ne suit pas l’argumentation de l’éditeur. Si l’article 10 CEDH confère aux organes de presse écrite le droit de mettre en ligne des archives numériques et au public celui d’accéder à ces archives, la Cour rappelle que ces droits ne sont pas absolus et qu’ils doivent, le cas échéant, céder dans certaines circonstances le pas à d’autres droits également respectables.

Partant, la Cour oppose à l’article 10, l’article 8 de la CEDH et le droit au respect de la vie privée qui, selon elle, comporte le droit à l’oubli, permet-tant une personne reconnue coupable d’un crime ou d’un délit de s’opposer dans certaines circonstances à ce que son passé judiciaire soit rappelé au public à l’occasion d’une nouvelle divulgation des faits. Un tel droit peut justifier une ingérence dans le droit à la liberté d’expression, consistant par exemple en une altération de la version électronique de l’article litigieux (en l’espèce, la disparition du nom de la personne en cause).

Visant la mise en balance –dont elle souligne qu’elle gît en fait- opérée par la Cour d’appel entre le droit à l’oubli et la liberté d’expression, la Cour considère que l’arrêt attaqué a justifié légalement sa décision notamment en relevant que « le maintien en ligne de l’article litigieux non anonymisé, de très nombreuses années après les faits qu’il relate, est de nature à lui causer un préjudice disproportionné par rapport aux avantages liés au respect strict de la liberté d’expression [du demandeur] » et que « les conditions de légalité, de légitimité et de proportionnalité imposées par l’article 10, § 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales à toute limitation de la liberté d’expression sont en l’espèce réunies ».

Le nécessaire équilibre des libertés en présence

L’arrêt de la Cour de cassation doit être approuvé en son principe.

Elle coupe l’herbe à toute accusation d’excès de conservatisme. Elle refuse ainsi un certain discours et une argumentation anachronique de certains tenants d’une vision absolutiste de la presse écrite, version 1831. Elle prend d’abord la mesure de la révolution numérique en prenant en considération le nouveau contexte de la divulgation d’informations sur internet, fut-ce sous le couvert de l’archivage de presse. Elle refuse ensuite l’idée d’une supériorité de principe de la liberté d’expression, même si elle se décline ici en liberté de la presse, sur la liberté de la vie privée, qui s’exprime ici dans l’exercice du droit à l’oubli numérique. Elle lui préfère à raison la recherche d’une nécessaire conciliation, s’inscrivant de la sorte dans la ligne de la jurisprudence de Strasbourg, comme de Luxembourg (cfr supra, l’arrêt Costeja).

Si la filiation avec l’article 8 de la CEDH est assurément cohérente, l’absence de lien avec la loi du 8 décembre1992 relative à la protection de la vie privée à l’égard des traitements de données à caractère personnel est plus discutable. C’est en effet cette dernière qui constitue la base lé-gale de l’ingérence dans la liberté d’expression.

On notera que le nouveau Règlement européen du 27 avril 2016 relatif à la protection des données à caractère personnel a également tenté de réaliser un équilibre entre le droit à l’oubli et d’autres libertés, dont la liberté d’expression et d’information.

Ainsi, l’article 17 qui consacre le droit à l’oubli numérique et à l’effacement doit être concilié via le critère de proportionnalité avec la liberté d’expression et d’information. Rappelons également que l’article 85 confie également le soin aux États de concilier la protection des données et la liberté d’expression et d’information, en ce compris le traitement à des fins journalistiques.

On le voit là aussi, le droit à l’oubli n’en est pas un : il s’agit d’une liberté parmi les autres qui doit nécessairement tenir compte de ses concurrentes. L’insécurité juridique qui en découle sans doute devient alors le prix à payer pour des solutions plus justes. Loin de tout dogmatisme ou idéolo-gie imposant une liberté au-dessus des autres.

Droit & Technologies

Annexes

Arrêt de la cour de cassation belge

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Arrêt attaqué rendu par la cour d’appel

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