Le droit à l’oubli numérique
Publié le 17/07/2012 par Etienne Wery , Camille Bourguignon
La CNIL (Commission Nationale Informatique et Liberté) a enregistré une augmentation de 42% en 2011 de plaintes relatives au droit à l’oubli sur Internet, par rapport à 2010, il est donc nécessaire de faire un point sur cette notion de plus en plus au cour de l’actualité.
Sorti au mois de juin dernier, le nouveau livre de Andrew Keen « le vertige numérique, comment les réseaux sociaux nous divisent, nous diminuent et nous désorientent », fait déjà polémique. Cet entrepreneur du web basé en Californie apporte un regard très critique sur l’impact de ces réseaux en matière de vie privée. D’après lui « plus nous nous exposons, plus nous devenons vides, et plus nous devenons vides, plus nous ressentons le besoin de nous exposer». Tout révéler est ainsi devenu la norme, surtout chez les jeunes dont l’identité se façonne à travers ce qu’ils publient ou ce que l’on publie sur eux. On comprend les risques d’une telle approche : celle par exemple, de ne pas savoir se défaire de cette identité numérique, à un moment où l’on doit se construire une vie professionnelle ? Comme piste de solution, Mr Keen plaide pour l’instauration d’un droit à l’oubli numérique et loue en ce sens la réforme européenne qui se dessine actuellement.
Le droit à l’oubli numérique est le « droit à ce que les éléments relatifs au passé d’une personne, qu’ils soient exacts, inexacts ou devenus obsolètes, puissent être retirés des contenus en ligne ou rendus difficilement accessibles, afin de pouvoir sortir de la mémoire collective et tomber dans l’oubli ». (1)
L’application d’un tel droit à l’oubli sur Internet peut paraître illusoire dans la mesure où par définition Internet dispose d’une mémoire et d’un volume de stockage illimités, et développe des procédés d’identification très efficaces, que ce soit par exemple par le biais des adresses IP ou par les techniques de géolocalisation ou de reconnaissance faciale.
Pour autant, les moyens juridiques visant à protéger un tel droit, s’ils sont à parfaire et à adapter à un Internet sans cesse en évolution, existent.
Le droit à l’oubli numérique protégé par le droit au respect de la vie privée – Le 15 février 2012, le Tribunal de grande instance de Paris est venu poser une pierre à la consécration d’un tel droit. En l’espèce, une ancienne actrice porno ayant commencé une nouvelle vie dans le secrétariat juridique, aspirait à ce que des éléments d’une partie de sa vie passée ne soient pas diffusés à tout va sur Internet. Elle demandait précisément que Google procède à la désindexation des contenus de sites à caractère pornographique apparaissant lors de requêtes comportant ses nom et prénoms. Le juge considéra que le refus de Google d’exécuter cette demande participait au trouble manifestement illicite causé à la requérante du fait de l’atteinte portée à sa vie privée et lui reconnut ainsi un droit à l’oubli sur une partie de sa vie privée. Google fut condamné à procéder à la désindexation demandée et au paiement de 2.000€ de dommages et intérêts. (2)
Le droit a l’oubli numérique peut ainsi être invoqué par une personne ayant été, par le passé, acteur porno ou impliqué dans une procédure judiciaire, à l’encontre de toute velléité de diffusion d’éléments mentionnant ces épisodes de leur vie passée mais relevant désormais de leur vie privée. Il doit dés lors pouvoir bénéficier à ce titre de la protection accordée au droit de chacun au respect de sa vie privée consacré tant par l’article 9 du Code civil français, 22 de la Constitution belge et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ce droit n’est évidemment pas un droit absolu en ce qu’il devra être concilié avec les libertés d’expression et d’information. C’est pour cette raison que l’application de ce droit à la presse, et singulièrement aux archives des organes de presse disponibles en ligne, est un débat complexe et passionné, dont l’issue est encore incertaine.
Le droit à l’oubli numérique protégé par le droit de la protection des données à caractère personnel – Il existe une doctrine qui suggère, par ailleurs, la consécration d’un droit à l’oubli numérique sur le fondement d’une protection des données à caractère personnel et des législations européenne et nationales afférentes.
C’est la direction que prend la Commission européenne qui entend clarifier le droit à l’oubli dans le cadre de la réforme envisagée de la directive du 24 octobre 1995 sur la protection des données à caractère personnel. La proposition de règlement du 25 janvier 2012 prévoit précisément « un droit à l’oubli numérique et à l’effacement » (art.17). Elle s’inscrit dans une volonté d’assurer une protection harmonisée et uniforme des données personnelles des internautes face à la montée des nombreux services impliquant leur traitement sur le web (Google street view, Facebook, etc.). Ainsi, chacun aura droit à obtenir du responsable du traitement l’effacement de données à caractère personnel le concernant et la cessation de la diffusion de ces données. Il sera obligé d’y procéder, sauf motif légitime.
Concrètement, cette disposition contraindra les réseaux sociaux à supprimer des photographies, vidéos, statuts, coordonnées des utilisateurs qui le demanderont. En amont, les entreprises sur le web voulant utiliser ces données, devront obtenir un ‘consentement explicite’ de l’internaute.
Déjà les conseils de Twitter, Facebook ou Google montent au créneau pour dénoncer le caractère attentatoire à la liberté d’expression et d’information. Ils estiment ce projet couteux, illusoire car impossible à mettre en œuvre et freinant l’innovation.
(1) J-C Duton et Virginie Betch
(2) http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=3362