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Le droit à l’oubli, c’est pas automatique !

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Un jugement néerlandais fait application de la jurisprudence Costeja de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) reconnaissant le droit à l’oubli numérique. Prenant en compte les critères dégagés par la CJUE, le tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de supprimer les liens URL renvoyant vers des informations relatives à une condamnation pénale récente pour instigation au meurtre.

L’arrêt Google/Spain (Costeja) de la CJUE du 13 mai 2014 a fait couler beaucoup d’encre, notamment quant aux enseignements qu’on pouvait en tirer en matière de droit à l’oubli numérique. Le concept a parfois été malmené par certains commentateurs qui y voyaient déjà, de façon quelque peu prématurée, la consécration d’un droit à l’oubli numérique absolu.

On rappellera que l’arrêt Costeja a rendu possible la reconnaissance d’un droit à l’oubli en se fondant sur les droits de correction et d’opposition reconnus aux personnes concernées par la Directive 95/46 sur la protection des données. Ces droits peuvent être exercés si les liens référencés renvoient à des informations inexactes, mais aussi, lorsque celles-ci peuvent être comprises comme inadéquates ou excessives par rapport à la finalité qui transcende leur mise en ligne.

La Cour précisait que, dans le cadre de l’appréciation de l’exercice de ces droits à l’encontre du traitement réalisé par l’exploitant d’un moteur de recherche, il convenait d’examiner si l’individu pouvait exiger que les informations relatives à sa personne ne soient plus, au stade actuel, liées à son nom par une liste de résultats affichés à la suite d’une recherche effectuée à partir de son patronyme. Si tel était le cas, les liens vers des pages web contenant ces informations devaient être supprimés de la liste de résultats.

Pour la Cour, les droits précités de la personne prévalent a priori non seulement sur l’intérêt économique de l’exploitant du moteur de recherche, mais également sur l’intérêt du public à accéder à ladite information lors d’une recherche fondée sur le nom en question. Ceci, à moins qu’il n’existe des raisons particulières, telles que le rôle joué par cette personne dans la vie publique, justifiant un intérêt prépondérant du public à avoir –  dans le cadre d’une telle recherche –  accès à l’information.

Le jeudi 18 septembre dernier, le Tribunal d’Amsterdam a fait application de cette jurisprudence européenne, reprenant à son compte les principes énoncés par la Cour.

Les faits en l’espèce étaient les suivants. Un certain Monsieur Arthur van M. avait été condamné le 15 août 2012 à 6 ans de prison ferme pour tentative d’instigation à assassinat sur la base d’images vidéos le montrant passer « contrat » en vue de l’élimination d’un de ses plus importants concurrents dans le secteur des services d’Escort. Ces vidéos furent effectuées à l’aide d’une caméra cachée et défrayèrent la chronique, car elles furent diffusées lors d’une émission télévisée « Misdaadverslaggever » de Peter R. de Vries, programme qui rencontre un franc succès aux Pays-Bas sur la chaîne SBS 6. Cela avait suscité un grand intérêt du public. Plusieurs médias avaient ainsi relaté les faits de cette actualité sordide sans jamais identifié le demandeur par son nom complet, mais bien par son prénom et par la première lettre de son nom de famille.

Cependant, un auteur néerlandais, fortement inspiré par l’évènement en question consacra à l’histoire de Arthur van M. un livre – mi-fiction mi-réalité – sous la forme d’une saga policière. Le récit connaît une fin moins heureuse que les faits en questions car débouche sur l’assassinat du concurrent en question. Le personnage au centre de ce polar et auteur du meurtre porte le même nom que le demandeur.

La conséquence d’un tel intérêt de la part des médias et du public ne pouvait que laisser certaines traces sur internet. Ceci ne fut pas du goût du principal protagoniste.

En effet, en cas de recherche dans le moteur de recherche Google Search sur la base du nom de Mr van M., plusieurs URL renvoyaient à des sites relatant les faits rapportés supra dont, le livre en question, sans couvrir son identité. Google, n’ayant pas donné suite aux demandes de déréférencement de Monsieur Arthur van M., fut poursuivi par ce dernier devant le Tribunal d’Amsterdam en vue d’obtenir gain de cause par une procédure en référé.

Celui-ci a tranché : Google n’aura pas l’obligation, ni même le devoir de faire « disparaître » en l’occurrence, les liens ou résultats donnant accès à certaines informations à l’égard de Monsieur Arthur van M. En effet, le demandeur n’a pas su démontrer le caractère inadéquat et excessif des informations fournies.

Un tel jugement pourrait avoir effet de précédent à l’égard de toute autre personne récemment condamnée pour des faits jugés graves.

Le Tribunal débute son analyse en fixant une balise générale à son intervention. La retenue est de mise à l’égard de restrictions à imposer au fonctionnement des moteurs de recherche tels que Google Search. Ceux-ci exercent – souligne le Tribunal – une fonction publique importante aidant les utilisateurs à cibler l’information pertinente dans un océan de données. Une perte de crédibilité serait le résultat logique si l’on impose des restrictions lourdes aux moteurs de recherche.

Sur base de ces prémisses, le juge effectue une balance des intérêts entre la liberté d’information de Google Inc et le droit à la vie privée de Monsieur Arthur van M. afin de répondre à ses diverses demandes. Le juge hollandais constate notamment que le demandeur a commis un crime récent et grave, qui a donné lieu à une large publicité (émissions télévisés, articles de presse, le livre précité). Et qu’il est normal que cette publicité négative soit aussi relayée par internet pendant un temps assez long. La jurisprudence Costeja ne vise pas à protéger les personnes de toute diffusion d’informations négatives à son sujet présentes sur la toile. Elle a pour objectif de préserver celles-ci d’informations non pertinentes, excessives, diffamatoires ou encore ayant un caractère excessif ou inadéquat, car survenant des années après les faits et qui, partant, infligeraient inutilement une atteinte à la réputation d’un particulier.

Par ailleurs, une des demandes avait pour dessin d’effacer de l’ensemble des résultats de recherche les liens qui ne reprenaient plus de façon complète l’entièreté du nom de Monsieur van M., mais qui renvoyaient aux faits de l’histoire. Le juge a estimé qu’une telle demande était formulée de façon beaucoup trop large et non circonstanciée. En effet, la suppression de l’ensemble des liens visés équivaudrait à ordonner une interdiction générale et préalable en méconnaissance de l’article 10 de la CEDH. Le juge rejettera ensuite également d’autres demandes de Monsieur van M. pour des raisons comparables à celles évoquées ci-dessus. C’est ainsi que, par exemple, le cinquième moyen du demandeur fut écarté, en ce qu’il ordonnait à Google de s’abstenir de toute infraction future à l’égard de la protection de la vie privée du demandeur.

Le demandeur contestait également le fait que, lorsque l’on orthographiait son nom en entier sur la barre de recherche, figurait dans les suggestions automatiques le nom « Peter de Vries ». Ceci avait pour conséquence de renvoyer dans les résultats à l’émission de télévision évoquée ci-dessus. La Cour va donner raison à Google qui a, selon elle, suffisamment justifié le fait que la fonction de saisie-automatique était un système généré automatiquement par un algorithme basé sur un certain nombre de facteurs objectifs, comprenant le nombre de fois où les utilisateurs ont fait une recherche antérieure sur base d’un terme spécifique. Une telle association dans le moteur de recherche n’est selon le président du Tribunal pas étonnante eu égard aux faits relatés ci-dessus, de telle sorte que l’ajout de la saisie automatique ne peut être considérée comme illégale.

Cette première jurisprudence néerlandaise apaisera sans doute les craintes exacerbées que certains ont pu avoir à l’égard d’un droit à l’oubli absolu. Il est vrai cependant que les faits en cause — la publicité normale donnée à un crime — imposaient la solution retenue. L’intérêt de ce jugement dépasse sans doute son cas d’espèce dans le sens où il montre que les juridictions nationales seront sans doute enclines à réajuster les valeurs à équilibrer. Contrairement à l’arrêt Costeja qui part du principe de prévalence du droit à l’oubli sur les autres intérêts en jeu (sauf exception), le juge hollandais a plutôt pris comme point d’ancrage de son exercice de pondération, l’importance et la fonction sociale du rôle d’indexation des moteurs de recherche sur internet et le caractère normal d’une diffusion au public d’informations d’actualité relatives à des condamnations pénales. Le droit à l’oubli faisant alors figure d’exception. Le résultat est en l’espèce le même que celui qui se serait imposé par le raisonnement de la Cour européenne. Reste à savoir si les deux approches pourront s’accorder sur des cas dont la solution s’impose avec moins d’évidence.

Droit & Technologies

Annexes

Jugement du 18 septembre 2014 Amsterdam

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