Le droit à l’image s’incline face à la liberté d’expression artistique
Publié le 12/09/2004 par Isabelle Schmitz
Aurait-on enfin trouvé le juste équilibre entre d’une part le droit de l’individu sur son image et, d’autre part, les droits collectifs que sont l’information du public et la liberté d’expression? L’opération étant particulièrement délicate, la jurisprudence en matière de droit à l’image s’est longtemps montrée chaotique. La jurisprudence de la Cour de cassation Ces…
Aurait-on enfin trouvé le juste équilibre entre d’une part le droit de l’individu sur son image et, d’autre part, les droits collectifs que sont l’information du public et la liberté d’expression? L’opération étant particulièrement délicate, la jurisprudence en matière de droit à l’image s’est longtemps montrée chaotique.
La jurisprudence de la Cour de cassation
Ces dernières années, la Cour de Cassation de France est toutefois venue poser certaines balises. Elle a tout d’abord tranché la question de savoir si toute personne possède un droit sur son image en répondant par l’affirmative (Civ. 1ère 13 janv. 1998, Bull n°14 ; Civ 1ère 16 juill 1998, Bull n°259).
. Contrairement à ce qu’on avait longtemps pensé, la Cour a également indiqué que le respect de la vie privée n’est pas le critère pertinent en matière de droit à l’image (Civ. 1ère 12 déc. 2000, D 2001, 2434). Le photographe peut donc se passer du consentement du sujet, même pour une image qui concerne sa vie privée.
Par des arrêts de 2001 (Civ. 1ère 20 févr. 2001, Légipresse 2001, III, 53, affaire du RER Saint-Michel), et 2003 (Civ.1ère 11 déc 2003, JCP 2004 .IV. 1284), la cour suprême française a encore précisé que la seule restriction au droit à l’information du public est le droit à la dignité. Reste à savoir ce que recouvre cette notion de dignité. Si la Cour de Cassation a eu l’occasion d’évoquer des notions telles que le “sensationnalisme” et l’ “indécence”, on constate toutefois que les limites de ce qui est permis restent encore assez floue.
Alors que la Cour a considéré qu’il n’y avait pas atteinte à la dignité d’une victime d’un attentat parce que la photo sur laquelle elle apparaissait était dépourvue de “sensationnalisme et d’indécence” (photo de la victime assise sur le trottoir prise de ¾), on est surpris que la Cour décide au contraire que la diffusion d’une photo du préfet Erignac à sa mort portait atteinte à la dignité alors que cette photo était prise de loin et que le visage de la victime n’apparaissait que de manière très floue.
Le jugement du 2 juin 2004
Par son jugement du 2 juin 2004, le Tribunal de Grande Instance de Paris vient encore de confirmer cette tendance à libéraliser les droits du photographe en basant sa décision sur les principes de liberté d’expression et de droit à l’information du public.
Les faits
Les faits étaient les suivants: un photographe a pris des clichés d’usagers du métro parisien à leur insu et les a ensuite publiés dans un ouvrage en les accompagnant des commentaires d’un sociologue. Une des personnes photographiées s’est sentie lésée par cette publication et a donc assigné ce photographe en vue d’obtenir 7.000 € de dommages et intérêts pour l’utilisation de son image sans son autorisation.
Le plaignant invoquait l’exploitation mercantile de ses traits à laquelle il n’avait jamais accepté de se prêter et faisait état des répercussions négatives qu’avait eues cette publication dans sa vie privée (il soutenait que l’expression de tristesse qui se dégageait de son portrait le tournait en ridicule).
La décision
Le Tribunal a estimé que même si toute personne dispose d’un droit sur son image, il ne s’agit pas d’un droit absolu. Il a ainsi jugé que celui-ci devait s’incliner face à la liberté d’expression de l’artiste et à son pendant, le droit à l’information du public (article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme) dans la mesure où le demandeur ne prouve pas qu’il aurait subi un préjudice. Les magistrats ont en effet considéré que cette photo ne le montre pas “dans une situation dégradante, ni ne le tourne en ridicule”.
Exigeant ainsi la preuve d’un préjudice, notamment le caractère dégradant de son image, cette décision s’inscrit dans la même logique que celle à la base de l’arrêt de la Cour Cassation du 7 mai 2004 dans un domaine très proche: celui du droit à l’image des propriétaires sur leur bien. Cet arrêt avait en effet considérablement limité le droit du propriétaires à s’opposer à la reproduction de leur bien en exigeant de celui-ci qu’il rapporte la preuve d’un “préjudice anormal”(voir actualité du 18 mai 2004 sur ce sujet).