Le Conseil de la concurrence invalide l’exclusivité d’Orange sur l’iPhone
Publié le 17/12/2008 par Etienne Wery
Le Conseil de la concurrence, saisi par Bouygues Télécom, a invalidé l’exclusivité dont Orange bénéficie sur la vente des iPhone dans l’Hexagone. C’est l’ensemble du modèle économique de l’iPhone qui est touché. Orange ira en appel.
L’iPhone ne bouscule pas que les marchés ; il bouscule aussi les juristes. Certain de faire un tabac avec son joujou, Apple a en effet créé un modèle économique sur mesure pour sa merveille technologique. Cela n’a pas manqué de créer des soucis aux juristes et aux régulateurs.
Quelques particularités de l’iPhone
L’exclusivité
Apple a réservé l’exclusivité de l’iPhone à un opérateur par pays, pour une période plus ou moins longue selon les pays : Orange en France, Mobistar (filiale d’Orange) en Belgique, Deutsche Telecom en Allemagne, etc.
Ces opérateurs ont payé, parfois très cher, pour obtenir ce droit d’exclusivité.
Pour financer ce prix, les opérateurs ont compté essentiellement sur deux choses :
- Le phénomène de mode censé attirer des clients et soutenir les ventes ;
- L’abonnement de longue durée sim-locké.
L’abonnement longue-durée sim-locké
Le simlockage consiste à équiper l’appareil d’un verrou qui ne le fait fonctionner qu’avec la carte SIM d’un opérateur précis : inutile de mettre dans l’iPhone une carte SIM de Bouygues, cela ne fonctionnera pas. L’appareil ne reconnait que les cartes SIM d’Orange.
Le simlockage d’un terminal est autorisé, notamment parce qu’il contribue à protéger l’abonné contre le vol de portable, puisqu’un terminal volé ne pourra pas être utilisé avec la carte SIM d’un autre opérateur.
En l’espèce, le simlockage a surtout pour but de garantir le contrat longue durée. L’idée est de lier le client à l’opérateur qui a payé l’exclusivité de l’iPhone, et de le lier pour une durée la plus longue possible car pendant tout ce temps, les communications rapportent à cet opérateur là. Pour en être certain, l’iPhone est simlocké.
Toutefois, le simlockage est très encadré.
Ainsi l’article 5 de la décision n° 2005-1083 de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) en date du 8 décembre 2005 prévoit qu’afin de garantir la liberté de choix des clients :
- l’opérateur a l’obligation d’informer l’abonné de l’existence de ce mécanisme préalablement à son activation ;
- l’abonné a le droit de demander à tout moment le déverrouillage ("desimlockage") de son terminal, éventuellement contre un paiement au montant prévu dans les tarifs de son opérateur ;
- l’opérateur a l’obligation de communiquer gratuitement à l’abonné la procédure de déverrouillage de son terminal à l’issue d’une période au plus égale à la durée de l’engagement éventuel du client auprès de son opérateur, ne devant en aucun cas excéder six mois à compter de la date de conclusion du contrat d’abonnement.
L’appareil subsidié
Comme le client a rarement envie de se lier pour un longue période à un opérateur, l’idée est de rendre ce contrat longue-durée plus attrayant en y ajoutant un avantage : s’il signe pour une longue période, le client payera son iPhone moins cher que s’il achète un appareil « nu ».
Dans certains pays, c’est impossible ou très difficile car la loi interdit ces « offres liées » (bien qu’il existe des moyens de les contourner …).
Dans d’autres, cela est accepté mais les concurrents de l’opérateur tentent d’y voir un abus.
C’est ainsi qu’en Allemagne, Deutsche Telekom avait obtenu, pour sa filiale T-Mobile, l’exclusivité de la vente de l’iPhone, et vendait le dernier-né d’Apple au prix de 399 €, avec un abonnement. Cela a fortement déplu à Vodafone, qui a assigné. Pour cette société, il était inacceptable que ses clients désireux d’acquérir la petite merveille d’Apple soient obligés de le faire au prix d’un changement d’opérateur.
En première instance, le juge allemand a donné tort à T-mobile, qui a annoncé qu’à l’avenir l’appareil serait vendu sans abonnement. Seul hic, l’appareil « libre réseau » était proposé à 999 €, soit 600 € de plus que lorsqu’il était simlocké. Ce que l’opérateur ne gagne plus sur le contrat d’abonnement et les communications, il doit le récupérer sur le prix de vente.
En appel, le juge a donné gain de cause à T-mobile qui a repris son modèle d’avant.
La décision du Conseil de la concurrence
Le Conseil de la concurrence a été saisi en septembre 2008 par Bouygues Télécom d’une plainte au fond assortie d’une demande de mesures conservatoires, à l’encontre de pratiques mises en œuvre par Orange et Apple pour la commercialisation de l’iPhone en France. Le plaignant a mis en cause le partenariat négocié entre Apple et Orange, qui fait d’Orange l’opérateur de réseau et le grossiste exclusif pour l’iPhone en France.
L’exclusivité d’Orange sur l’iPhone est de nature à introduire un nouveau facteur de rigidité dans un secteur qui souffre déjà d’un déficit de concurrence
Le Conseil de la concurrence, comme l’ARCEP et la Commission européenne, ont déjà à plusieurs reprises eu l’occasion de déplorer un déficit de concurrence sur le marché de la téléphonie mobile du fait notamment du petit nombre d’opérateurs sur ce marché, de la prépondérance des offres avec engagements de durée, de l’existence de programmes de fidélisation et du faible essor des opérateurs virtuels (MVNO).
Or, au moment où le développement de l’Internet mobile et le lancement d’offres illimitées d’échange de données par les opérateurs pourraient animer le marché, l’exclusivité d’Orange sur l’iPhone est de nature à introduire un nouveau facteur de rigidité ciblé sur ce segment du marché. Le Conseil constate dans sa décision que l’exclusivité accordée par Apple au premier opérateur mobile français porte sur une période très longue (cinq ans, même si Apple peut mettre fin au contrat au bout de trois ans) et concerne non seulement les modèles d’iPhone déjà en vente mais aussi ceux qui pourront être mis sur le marché au cours de la durée du contrat. Elle est de plus verrouillée par les obstacles mis à la vente d’iPhone « nus ».
L’annonce récente par SFR de la conclusion de partenariats avec deux constructeurs, Blackberry et HTC, ne conduit pas le Conseil à relativiser les effets de l’exclusivité d’Orange sur le marché. En effet, cette riposte confirmerait le risque d’effets cumulatifs du type de partenariat mis en cause.
Une telle exclusivité accroît encore les coûts de changement d’opérateur mobile pour les consommateurs
Alors qu’en dépit des mesures prises en faveur de la portabilité, il est toujours difficile pour les consommateurs de changer d’opérateur mobile – beaucoup d’entre eux étant engagés pour des durées de 12 voire 24 mois et fidélisés par des programmes spécifiques – une exclusivité durable des opérateurs sur certains modèles très demandés ajouterait en effet un autre obstacle au changement d’opérateur. S’agissant de terminaux comme l’iPhone, la captivité des consommateurs est aggravée par les problèmes d’interopérabilité qui rendent difficile la migration des données vers d’autres marques de téléphone.
Pour le Conseil, une telle évolution aurait pour effet de réduire encore la concurrence sur les prix, sur la qualité des réseaux, des infrastructures et des services clients, les opérateurs portant surtout leurs efforts de différenciation sur les terminaux qu’ils sont en mesure d’offrir. Ce type de concurrence favoriserait de plus les réseaux comptant le plus d’abonnés qui seraient alors choisis par les constructeurs pour la commercialisation de leurs modèles les plus attractifs.
Des mesures conservatoires pour donner aux autres opérateurs la possibilité de commercialiser l’iPhone
Considérant que l’exclusivité, dans les conditions où elle a été négociée, était, à ce stade de l’instruction, susceptible d’être prohibée par les règles communautaires et nationales de concurrence et de nature à porter une atteinte grave et immédiate à la concurrence sur le marché des mobiles et aux consommateurs, le Conseil a décidé de prononcer des mesures conservatoires dans l’attente de sa décision au fond. L’injonction prononcée vise à ce que les produits iPhone ne soient plus exclusivement commercialisés par Orange mais puissent l’être par tout autre opérateur souhaitant bâtir une offre avec ce terminal.
Ces mesures d’urgence remettent en cause non seulement l’exclusivité dont bénéficie Orange en tant qu’opérateur de réseau mais également celle dont il bénéficie en tant que grossiste pour la distribution de l’iPhone, ainsi que les dispositions du contrat type de distribution d’Apple qui obligeait tout candidat distributeur de l’iPhone à ne le distribuer qu’associé aux services Orange. Elles prennent effet dès la notification de la décision.
(source : Conseil de la concurrence)