Le Conseil constitutionnel assassine la loi Avia (contenus haineux sur Internet)
Publié le 22/06/2020 par Etienne Wery
Chronique d’une mort annoncée : après les grandes réticences exprimées par la Commission européenne sur la légalité de la loi Avia, le Conseil constitutionnel met un terme à l’aventure. En voulant transformer les intermédiaires en policiers du Net, les promoteurs du texte ont condamné à mort leur propre projet. Tout est à refaire. Ceux qui luttent quotidiennement contre les excès en ligne ne peuvent qu’en vouloir au gouvernement qui n’a pas su corriger le tir quand il était encore temps.
Par une triste coïncidence, c’est en plein mouvement mondial anti-racisme suite à la mort de George Floyd aux USA, que le Conseil constitutionnel a rendu son avis – sévère – sur la loi Avia visant à lutter contre les contenus haineux sur internet.
Il n’y avait plus guère de suspense, tant la Commission européenne s’était montrée sceptique, mais la haute juridiction n’y a pas été de main morte, déclarant l’essentiel de la loi contraire à la Constitution.
Si l’objectif est louable, c’est la mise en œuvre (et singulièrement la tentative de transformer les intermédiaires en justiciers et policiers du Net) qui passe mal : les risques en termes de liberté d’expression de l’ensemble de la population sont trop importants.
Pédopornographie et terrorisme
Le paragraphe I de l’article 1er de la loi déférée modifie l’article 6-1 de la loi du 21 juin 2004 : en substance, l’autorité administrative peut demander aux hébergeurs ou aux éditeurs d’un service de communication en ligne de retirer certains contenus à caractère terroriste ou pédopornographique et, en l’absence de retrait dans un délai de vingt-quatre heures, lui permet de notifier la liste des adresses des contenus incriminés aux fournisseurs d’accès à internet qui doivent alors sans délai en empêcher l’accès.
Tout en soulignant que la diffusion d’images pornographiques représentant des mineurs et la provocation à des actes de terrorisme ou l’apologie de tels actes constituent des abus de la liberté d’expression et de communication qui portent gravement atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers, le Conseil estime en substance que la détermination du caractère illicite des contenus en cause ne repose pas sur leur caractère manifeste et est soumise à la seule appréciation de l’administration.
Également, le Conseil critique le délai, trop court pour obtenir une décision du juge.
Enfin, le Conseil s’inquiète que l’hébergeur ou l’éditeur qui ne défère pas à cette demande dans ce délai puisse être condamné à une peine d’emprisonnement d’un an et à 250 000 euros d’amende.
Pour le Conseil, le législateur a porté à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui n’est pas adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi.
Responsabilisation des intermédiaires
Le paragraphe II de l’article 1er crée un article 6-2 dans la loi du 21 juin 2004 imposant à certains opérateurs de plateforme en ligne, sous peine de sanction pénale, de retirer ou de rendre inaccessibles dans un délai de vingt-quatre heures des contenus illicites en raison de leur caractère haineux ou sexuel.
Le Conseil n’aime pas que l’opérateur doive examine tous les contenus qui lui sont signalés, aussi nombreux soient-ils, afin de ne pas risquer d’être sanctionné pénalement. En outre, il trouve l’appréciation très (trop) complexe : « Il revient en conséquence à l’opérateur d’examiner les contenus signalés au regard de l’ensemble de ces infractions, alors même que les éléments constitutifs de certaines d’entre elles peuvent présenter une technicité juridique ou, s’agissant notamment de délits de presse, appeler une appréciation au regard du contexte d’énonciation ou de diffusion des contenus en cause. »
Le risque est, pour le Conseil, que les intermédiaires se montrent trop prudents pour éviter la mise en cause de leur propre responsabilité : « les dispositions contestées ne peuvent qu’inciter les opérateurs de plateforme en ligne à retirer les contenus qui leur sont signalés, qu’ils soient ou non manifestement illicites. Elles portent donc une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. »
Plus d’infos ?
En lisant la décision, disponible en annexe.