Le chauffeur Uber est un salarié !
Publié le 14/01/2019 par Etienne Wery
On s’y attendait depuis l’arrêt de la cour de cassation dans l’affaire Take eat easy. C’est une décision catastrophique qu’Uber encaisse : par un arrêt du 10 janvier, la cour d’appel de Paris requalifie en contrat de travail la collaboration indépendante d’un chauffeur. On touche au business model d’Uber.
L’arrêt Take eat easy
En novembre dernier, la cour de cassation rendait un arrêt requalifiant en contrat de travail, le contrat de collaboration d’un livreur de Take eat easy.
Elle avait rappelé que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs ; que le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ;
Qu’en statuant comme elle a fait, alors qu’elle constatait, d’une part, que l’application était dotée d’un système de géolocalisation permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus par celui-ci et, d’autre part, que la société Take Eat Easy disposait d’un pouvoir de sanction à l’égard du coursier, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait l’existence d’un pouvoir de direction et de contrôle de l’exécution de la prestation caractérisant un lien de subordination, a violé le texte susvisé. »
L’arrêt Uber
Cette fois, c’est la cour d’appel de Paris qui vient de rendre ce 10 janvier un arrêt similaire, concernant un chauffeur Uber. La cour d’appel s’aligne sur l’arrêt de cassation.
Elle relève que « En l’espèce, il ne saurait être utilement contesté que M. Maximilien Petrovic a été contraint pour pouvoir devenir « partenaire » de la société Uber BV et de son application éponyme de s’inscrire au Registre des Métiers et que loin de décider librement de l’organisation de son activité, de rechercher une clientèle ou de choisir ses fournisseurs, il a ainsi intégré un service de prestation de transport créé et entièrement organisé par la société Uber BV, qui n’existe que grâce à cette plateforme, service de transport à travers l’utilisation duquel il ne constitue aucune clientèle propre, ne fixe pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport, qui sont entièrement régis par la société Uber BV.
C’est ainsi vainement que cette dernière affirme que seuls les utilisateurs sont les donneurs d’ordre des chauffeurs, lesquels n’ont aucun contact direct avec la clientèle de la plateforme lors de la conclusion du contrat de transport, puisque elle seule centralise toutes les demandes de prestations de transport et les attribue, en fonction des algorithmes de son système d’exploitation, à l’un ou l’autre des chauffeurs connectés. »
En ce qui concerne la constitution d’une clientèle propre, la cour rappelle que « la charte de la communauté Uber, sous la rubrique « Activités inacceptables » interdit aux chauffeurs, pendant l’exécution d’une course réservée via l’application Uber de prendre en charge d’autres passagers en dehors du système Uber (…) »
Au sujet des tarifs, la cour relève que « ceux-ci sont contractuellement fixés au moyen des algorithmes de la plateforme Uber par un mécanisme prédictif, imposant au chauffeur un itinéraire particulier dont il n’a pas le libre choix (…) ».
Par ailleurs, le chauffeur « justifie bien avoir [reçu] les instructions du GPS de l’application ce qui vient d’ailleurs au confort de la recherche par Uber du trajet « efficace » (…) ».
S’agissant du contrôle de l’activité des chauffeurs, la cour est d’avis que « l’application Uber en exerce un en matière d’acceptation des courses, puisque, sans être démenti, M. Maximilien Petrovic affirme que, au bout de trois refus de sollicitations, lui est adressé le message « Êtes-vous encore là ? », la charte invitant les chauffeurs qui ne souhaitent pas accepter de courses à se déconnecter « tout simplement ». Mais cette invitation doit être mise en regard des stipulations du point 2.4 du contrat, selon lesquelles : « Uber se réserve également le droit de désactiver ou autrement de restreindre l’accès ou l’utilisation de l’Application Chauffeur ou des services Uber par le Client ou un quelconque de ses chauffeurs ou toute autre raison, à la discrétion raisonnable d’Uber », lesquelles ont pour effet d’inciter les chauffeurs à rester connectés pour espérer effectuer une course et, ainsi, à se tenir constamment, pendant la durée de la connexion, à la disposition de la société Uber BV, sans pouvoir réellement choisir librement, comme le ferait un chauffeur indépendant, la course qui leur convient ou non (…) ».
Pour la cour il doit également être relevé que « le contrôle des chauffeurs utilisant la plateforme Uber s’effectue via un système de géolocalisation (…) peu important les motivations avancées par la société Uber BV de cette géolocalisation ».
La cour constate l’existence d’un pouvoir de sanction.
La cour en déduit « qu’un faisceau suffisant d’indices se trouve réuni pour permettre à M. Maximilien Petrovic de caractériser le lien de subordination dans lequel il se trouvait lors de ses connexions à la plateforme Uber et d’ainsi renverser la présomption simple de non-salariat que font peser sur lui les dispositions de l’article L.8221-6 I du code du travail. »
Plus d’infos ?
L’arrêt est disponible en annexe.
Lire aussi notre commentaire de l’affaire Take eat easy.