Le brevet sur les « plug-in » bientôt annulé ? Bel exemple de la difficulté de breveter un logiciel
Publié le 12/10/2004 par Paul Van den Bulck, Pascal Reynaud
Microsoft est en passe de faire annuler un brevet américain portant sur les « plug-ins », actuellement détenu pas la société californienne Eolas. Le litige porte sur la technologie qui permet de lire des documents de type flash ou pdf au sein d’Internet Explorer ou d’installer les barres d’outil Google ou Yahoo ! dans le…
Microsoft est en passe de faire annuler un brevet américain portant sur les « plug-ins », actuellement détenu pas la société californienne Eolas. Le litige porte sur la technologie qui permet de lire des documents de type flash ou pdf au sein d’Internet Explorer ou d’installer les barres d’outil Google ou Yahoo ! dans le navigateur. Si dans un premier temps Microsoft a perdu ses procès dans cette affaire, il semble que le vent a tourné et que le brevet litigieux apparaisse comme particulièrement fragile … En effet la technologie déposée par Eolas était déjà connue à l’époque du dépôt.
Les enseignements tirés de ce type d’affaires sont à manier avec précaution de ce côté-ci de l’atlantique, tant le système judiciaire et le droit des brevets sont différents. Cependant à l’heure où le processus législatif européen connaît une nouvelle poussée de fièvre, c’est l’occasion de souligner la particulière fragilité de ce type de brevet. Ainsi une bonne partie de ces brevets risquent d’être annulés par les tribunaux. Il faudra pourtant au préalable passer par la case judiciaire et résister aux tentatives d’intimidation des titulaires de brevets.
Au bout du compte, les brevets de logiciel risquent d’en décevoir plus d’un comme le montre l’affaire Microsoft c./ Eolas.
L’actualité législative européenne
On sait qu’après avoir choisi le droit d’auteur comme instrument de protection des programmes d’ordinateur, l’industrie fait pression depuis quelques années pour que le brevet de logiciel soit reconnu dans le droit communautaire dérivé.
Ainsi la Commission a proposé en février 2002 une directive mettant au rebut la vieille exclusion portant sur les brevets de logiciel (art. 52 Convention Munich et art. L. 611-10 CPI). Ce texte entérine la jurisprudence de l’Office Européen des Brevets (O.E.B.) et permet, en définitive, la brevetabilité des logiciels « en tant que tels ».
Cette première version a soulevé une tempête de contestations, notamment du côté des tenants du logiciel libre, si bien que le Parlement européen, en septembre 2003, a proposé un texte dans un sens beaucoup plus restrictif.
Pourtant le 18 mai 2004, le Conseil en est revenu à une version plus proche du texte initial. Mais l’affaire n’est pas close. Il faudra l’accord du Parlement pour adopter définitivement le texte puisque l’on se trouve dans le cadre d’une procédure de co-décision. Ainsi les négociations vont bon train afin de trouver un accord entre les instances européennes. Le texte devrait être transmis au Parlement pour deuxième lecture.
Une légitime défiance vis-à-vis du brevet de logiciel « en tant que tel »
Le brevet de logiciel renvoie à une série de questions – juridiques, théoriques, pratiques et surtout économiques et politiques
On peut tout d’abord se demander si le brevet est bien l’instrument adapté pour protéger ce qui n’est quelquefois que de l’information. Seule une invention peut donner lieu à un brevet. Traditionnellement, l’invention est décrite comme une solution « technique » à un problème « technique ». Est-ce conciliable avec les séries d’instructions contenues dans un logiciel ?
On s’interroge depuis lors sur ce que recouvre exactement le terme « technique ». Ce mot connaît de multiples définitions plus ou moins larges. On parle bien de technique du droit …. Cependant l’O.E.B ainsi que la première version de la directive paraissent estimer qu’un programme d’ordinateur est nécessairement technique par sa forme….
De même, on peut s’interroger sur ce que va véritablement protéger un brevet de logiciel. Pour simplifier, on distingue l’invention « de produit » de l’invention « de procédé ». L’invention « de produit » traduit l’association d’une machine et d’un logiciel. Un brevet sur ce type d’invention ne pose pas de problème particulier, sauf à se poser radicalement contre la propriété industrielle. La question du brevet de procédé est tout autre….
Le brevet : Un instrument inadapté au logiciel
Le brevet « de procédé » permet de réserver une suite d’enchaînements ou d’étapes pour obtenir un produit. Appliqué au logiciel, ce type d’invention laisse perplexe puisqu’il conduit à protéger directement un texte « en tant que tel ». En effet le logiciel est constitué d’informations, il ne se décrit pas comme un dispositif matériel, alors que le brevet contient des revendications visant un processus matériel. De ce fait, l’expression des revendications dans un brevet est inadaptée pour décrire un programme.
Ainsi, on transforme le droit des brevets en une sorte de droit d’auteur avec un dépôt obligatoire tout en cherchant à profiter des avantages du brevet. On est très proche d’une tentative de réservation de l’idée par des moyens détournés …
De plus, le droit des brevets répond à des exigences précises sur le fond et quant à la procédure. Comment apprécier l’activité inventive et la nouveauté en matière de logiciel ? On relève souvent une absence de culture de l’antériorité en matière informatique, même dans les Offices de brevets pratiquant un examen sur le fond du dossier. Il peut paraître difficile de savoir qui a fait quoi et à quelle date en matière informatique, surtout dans la logique du logiciel libre… Ces considérations théoriques ont des conséquences pratiques évidentes.
Des conséquences très pratiques
On remarque en pratique que les brevets de logiciels sont volumineux et trop extensifs. Ils paraissent fermer des secteurs complets d’innovations. De ce fait le brevet de logiciel est souvent un brevet de mauvaise qualité à la porté plus que douteuse. L’absence de jurisprudence sur la contrefaçon de brevet de logiciel « en tant que tel » est sans doute un signe de la faiblesse de ce type de brevet.
Enfin le choix politique du brevet de logiciel risque d’être un choix contre productif sur le plan économique. Le brevet est un instrument juridique complexe et cher. Il est nécessaire de faire appel à un Conseil en propriété industrielle pour effectuer les recherches d’antériorité et apprécier l’existence d’une contrefaçon. Un tel Conseil ne sera pas forcément expert en informatique…
Du fait de la mauvaise adaptation du brevet au logiciel, il en résultera immanquablement une prise de risque pour l’entrepreneur dans ce domaine. Est-ce adapté pour les petites entreprises ? Cela risque de bloquer le développement du logiciel puisqu’on a vu qu’au travers du brevet de logiciel, on cherche à monopoliser de l’information.
Le problème : faire face à la menace d’une action en contrefaçon
Si les brevets de logiciel sont souvent de mauvaise qualité, il faudra néanmoins en passer par les tribunaux pour les voir annulés.
L’actualité récente dans le secteur de l’informatique montre toute une série d’affaires dans lesquelles le titulaire du brevet menace ses concurrents d’une action en contrefaçon sur la base de brevets douteux.
Cependant toutes les sociétés n’auront pas le poids de Microsoft pour répondre à de telles attaques et risquent d’accepter le paiement d’une licence avant tout procès. De plus, il reviendra au juge d’être particulièrement attentif afin de préserver l’existence d’un domaine public en cette matière.
Plus d’infos ?
Pour consulter le brevet litigieux « Eolas ».
Pour consulter le texte de l’accord politique sur la position commune du Conseil, dans sa version la plus récente (document du Conseil n° 9713/04).
Sur les points de désaccord entre le Parlement et le Conseil.
Sur le débat qui a eu lieu au Parlement le 23 septembre 2003.