La suppression injustifiée d’un forum de discussion est sanctionnable en raison de la perte de données qu’elle engendre
Publié le 30/09/2008 par Arnaud Dimeglio
Un internaute crée un forum politique hébergé par la société Microsoft. A la suite de la diffusion de messages qu’elle estimait illicite, cette dernière l’a brutalement supprimé. Le Tribunal condamne la société Microsoft pour cette suppression brutale, et ses conséquences : la perte des données.
Une suppression injustifiée
Les magistrats reconnaissent qu’en fermant soudainement le blog « infosbis », Microsoft a commis « un abus de son droit de résiliation, donnant droit à l’octroi de dommages et intérêts en cas de préjudice subi ».
C’est la soudaineté de la résiliation qui est ici condamnée, non le fait même de cette résiliation. En effet, la clause permettant la résiliation unilatérale d’un contrat est licite. En matière contractuelle, en cas de convention à durée indéterminée, chaque partie peut résilier unilatéralement le contrat : ce droit ne peut néanmoins être exercé sans respect d’un préavis, sauf faute grave de la partie cocontractante.
Microsoft peut donc se réserver « le droit de retirer à tout moment l’accès à l’ensemble de ses services de communication, sans notification et pour quelques motifs que ce soit », ce qui s’apprécie comme un « droit de résiliation unilatérale, sans motif ».
Pour suspendre sans délai son service, la société Microsoft se prévalait de l’irrespect de l’obligation contractuelle souscrite par M. X, au terme de laquelle il ne doit pas « Publier, afficher, […] tout sujet, nom, élément ou information inappropriée, insultant à l’égard des croyances religieuses ou éthiques […] ».
Mais pour justifier de cette violation, Microsoft se fondait sur de simples copies de courriers électroniques, dénuées de tout élément d’identification. Les magistrats ont donc jugé ces preuves comme irrecevables.
Cette position est en adéquation avec les dispositions de l’article 1316-1 du code civil, et avec la tendance actuelle de la jurisprudence, laquelle incline vers une administration de la preuve par acte authentique en matière d’internet en raison de la volatilité du média (TGI Paris, ordonnance de référé, Association Union départementale des familles de l’Ardèche et alii vs Linden Research et alii, 2/07/2007).
Ces éléments de preuve ne démontraient pas en outre que le modérateur du forum avait eu connaissance du contenu litigieux, et de sa contestation antérieure à la suppression.
Si Microsoft avait pu apporter la preuve de l’existence du contenu illicite allégué, alors l’arrêt brutal du forum aurait pu être justifié. Mais tel n’était pas le cas en l’espèce. Le jugement rendu par le tribunal paraît donc de bon sens.
La perte des données
Le Tribunal déclare que « le préjudice de M. X n’est constitué que de la perte d’une chance s’agissant de la conservation de ses données ». Ledit préjudice « se résume à la perte d’une chance de pouvoir sauvegarder les données figurant sur son site de discussion, Microsoft n’ayant aucune obligation de conservation des données ».
La doctrine majoritaire incline vers la qualification de contrat de location en ce qui concerne le simple contrat d’hébergement (Contrats informatiques et électronique, LE TOURNEAU, 2002 ; Dalloz, Lamy Droit de L’immatériel, 2008, § 2744 et suivants). Identiquement, la jurisprudence reconnait à l’hébergeur la qualité de loueur d’espace virtuel (Tribunal de Grande Instance de Paris, 3ème chambre, 1ère section, Lafesse & autres vs OVH et autres, 3 juin 2008).
Cet arrêt reprend implicitement cette qualification : le bailleur n’a en aucune façon l’obligation de conserver les données incluses dans l’espace loué (sauf stipulations contractuelles contraires), le locataire étant maître de la chose louée (article 1728 alinéa 1er du Code civil). C’est donc logiquement que le tribunal refuse l’exécution forcée du contrat consistant en la remise en état du forum de discussion (entrainant ipso facto la résurgence des messages qui s’y trouvent).
Toutefois, les circonstances de la rupture ont fait que M. X n’a pu prendre ses dispositions pour sauvegarder ses données. Les magistrats condamnent donc la société Microsoft du chef de la perte de cette chance.
Pour que le Tribunal reconnaisse l’existence d’une obligation de conservation, et donc de restitution, il aurait fallu qu’il puisse qualifier le contrat d’hébergement en contrat de dépôt (articles 1917 et suivants du Code civil). Dans ce dernier, les messages déposés sont entre les mains du dépositaire (Microsoft), Monsieur X perdant toute maîtrise dessus.
Or, le créateur du forum demeure maître de son contenu : il peut supprimer, éditer et poster les messages qui y figurent, même si le forum est soumis à des limites de structures (il ne peut le transformer en blog ou en site internet) ou de contenu (il ne peut y mettre que du texte et des liens vers des sources audios ou vidéos).
Les magistrats disposent donc, logiquement, que « Microsoft n’a aucune obligation de conserver les données », reconnaissant par la même que l’obligation essentielle de conserver et restituer la chose (article 1932 du Code Civil) ne s’applique pas au fournisseur d’un forum.
A défaut de pouvoir réparer en nature le préjudice subi par l’internaute, le Tribunal condamne par conséquent la société Microsoft à lui verser des dommages et intérêts.
Le jugement rendu par le Tribunal d’Evry constitue par conséquent une bonne illustration de l’application de principes classiques à un forum de discussion, nouvel outil moderne de communication.
Plus d’infos ?
En lisant le jugement, disponible sur notre site.