La société d’auteur « Sabam » condamnée pour abus de position dominante dans sa politique de prix
Publié le 26/04/2001 par Etienne Wery
C’est une bizarre affaire qu’a tranché le tribunal de commerce de Bruxelles par jugement du 6 mars 2001. Elle met en effet en cause la politique de prix de la Sabam, société d’auteur particulièrement connue en Belgique. Les faits et prétentions des parties TVi diffuse deux chaînes de télévision en Belgique, et s’étonne de payer…
C’est une bizarre affaire qu’a tranché le tribunal de commerce de Bruxelles par jugement du 6 mars 2001. Elle met en effet en cause la politique de prix de la Sabam, société d’auteur particulièrement connue en Belgique.
Les faits et prétentions des parties
TVi diffuse deux chaînes de télévision en Belgique, et s’étonne de payer à la Sabam autant de droits qu’une chaîne concurrente qui réalise plus du double de recettes publicitaires.
Par ailleurs, elle ne souhaite payer à la Sabam que les petits droits (musicaux) et non les grands droits (cinématographiques) qu’elle acquitte déjà auprès de la SACD.
Le jugement
Signalons d’emblée que la Sabam a annoncé son intention de relever appel du jugement commenté. A ce jour, nous ne sommes néanmoins pas informé du dépôt d’une requête.
- La question du prix payé à la Sabam
TVi paye depuis des années un prix annuel variable à la Sabam : la base de calcul et le taux appliqué varient d’année en année, mais TVi a toujours le sentiment de payer trop. Notamment TVi ne comprend pas que VTM, la chaîne concurrente flamande, paye sensiblement la même chose qu’elle à la Sabam alors qu’elle réalise plus du double de recettes publicitaires.
TVi demande communication de la grille appliquée à VTM, ce que la Sabam, après une longue passe d’armes, accepte finalement. Selon TVi, cette grille confirme la discrimination (base de calcul différentes, taux différents, etc.).
TVi demande donc à la Sabam de lui appliquer la même grille que celle en vbiguer à l’égard de VTM, ce que la Sabam finit par accepter dans le principe.
Encore faut-il mettre cet égard en oeuvre, et notamment s’entendre sur la notion de « même grille ». En effet, TVi et VTM sont deux chaînes très différentes :
- la chaîne flamande achète à la Sabam non seulement ses « petits droits » (musicaux), mais également ses « grands droits » (cinématographiques).
- La chaîne francophone ne souhaite pour sa part acheter à la Sabam que les petits droits, parce qu’elle achète déjà les grands droits auprès de la SACD.
Pourquoi TVi souhaite-t-elle deux fournisseurs ? Alors que la catalogue « grands droits » de la Sabam est riche en oeuvres flamandes, il est relativement pauvre en oeuvres francophones. TVi, qui diffuse en langue française, s’approvisionne donc auprès de la SACD qui lui propose un répertoire bien plus fourni.
- La question de la vente jumelée
C’est là que les choses se compliquent : TVi demande à la Sabam la ventilation entre petits et grands droits, ce que la société d’auteur refuse catégoriquement. Les parties se retrouvent donc devant le tribunal, TVi estimant que la Sabam abuse d’une position dominante en liant petits et grands droits, ce qui revient à imposer à TVi un achat forcé des grands droits sur lesquels la Sabam n’a pas de monopole.
- La compétence
La Sabam est-elle un vendeur au sens de la loi sur la protection du consommateur et les pratiques du commerce ? Oui selon TVi ; non selon la Sabam.
On peut approuver ou désapprouver le jugement, mais il faut saluer sa remarquable motivation à cet égard. La présidente analyse les statuts de la Sabam, sa mission, son fonctionnement interne et externe, ses communiqués de presse, sa présentation comptable et bilantaire, … ainsi que d’autres actions intentées par la Sabam devant la juridiction commerciale. Le tribunal se réfère également à une analyse des travaux préparatoires de la loi pour conclure, in fine, que la Sabam est un « vendeur ».
- Sur le fond
Le tribunal retient une discrimination entre TVi et VTM, alors que celles-ci sont, selon le jugement, des concurrentes acharnées.
Plus interpellant, le tribunal retient une discrimination entre TVi et la chaîne publique RTBF. Il faut en effet savoir que la dotation publique de la RTBF (6 milliards annuellement) n’entre pas en ligne de compte pour le calcul des droits payés à la Sabam. Pour la présidente, il faut soit inclure cette dotation dans le calcul, soit réduire d’autant la base de calcul de TVi.
Enfin, quant à la vente liée, le tribunal rappelle que la Sabam détient un monopole sur les petits droits mais non sur les grands, « où règne une certaine concurrence, même limitée ». Pour la présidente, tenter d’étendre un monopole d’un marché où l’on dispose d’un monopole, vers un autre marché où règne la concurrence, est un abus typique de position dominante.
Réflexions et informations complémentaires
La situation monopolistique ou quasi-monopolistique des sociétés d’auteur est un sujet de préoccupation qui ne date pas d’hier. Le droit d’auteur confère en effet un certain monopole à son titulaire, et les sociétés d’auteur qui les exploitent jouissent dès lors de prérogatives extrêmement larges. Comme en outre elles agissent souvent en situation de monopole, les dérives potentielles sont nombreuses.
Il y a 3 ans, la Commission européenne a initié une réflexion sur le sujet, concluant finalement qu’il n’y avait pas d’abus systématique mais signalant qu’elle évaluerait régulièrement la situation.
Quiconque a tenté de négocier un accord avec une société d’auteur sait combien il est parfois difficile d’obtenir la transparence, ou même la simple prise en compte de quelques facteurs pertinents.
La décision vient opportunément rappeler que le monopole que crée le droit d’auteur au profit de son titulaire ou de la société d’auteur, n’autorise pas toutes les fantaisies. Rappel d’autant plus nécessaire qu’un tribunal liégeois a estimé pour sa part, à la fin de l’an 2000, que la loi sur la concurrence ne peut par définition pas s’appliquer à un auteur dont la loi a précisément voulu qu’il jouisse d’un monopole.
La décision commentée est disponible sur notre site.