La protection en ligne de la renommée d’une entreprise.
Publié le 13/04/2009 par Thibault Verbiest, Etienne Wery , Bertrand Vandevelde
Une entreprise peut être exposée au mécontentement de certaines personnes : clients, fournisseurs et autres. Les critiques peuvent être justifiées et l’entreprise doit accepter de les entendre. Mais parfois les critiques dérivent parce qu’elles sont gratuites, injurieuses, calomnieuses ou diffamantes.
La multiplication des forums de discussion en ligne a permis aux internautes une plus grande facilité d’expression de leur satisfaction et de leur mécontentement. Cette multiplication a également permis une augmentation potentielle des risques de dérives.
Les internautes ne sont pas soumis aux règles déontologiques des journalistes. De plus il est possible pour un internaute de mettre en ligne ses écrits en ayant recours à un pseudonyme. Enfin, certains forums ne sont que très peu exigeants en termes d’informations à fournir pour disposer d’un pseudonyme. Aussi, certains internautes seront enhardis à ne pas retenir leurs écrits parce qu’ils bénéficient d’une forme d’anonymat. Quelles sont alors les pistes juridiques à disposition d’une entreprise pour réagir face à de tels contenus ?
Droit de réponse en ligne.
L’entreprise peut vouloir réagir en postulant l’insertion d’une réponse dans le média contenant le propos incriminé. Ce régime trouve son origine dans le droit de la presse.
Une première difficulté réside dans la législation belge actuellement applicable. Le régime est différent selon que le droit de réponse est à insérer dans un écrit périodique ou dans un média audiovisuel. Et dans ce cas, le droit de réponse est soumis à trois textes : la loi du 23 juin 1961, un décret de la Communauté flamande du 4 mars 2005 et un décret de la Communauté germanophone du 27 juin 2005.
La législation est muette en ce qui concerne les écrits en ligne. A priori rien ne s’oppose à ce que le régime actuel ne puisse être étendu à l’Internet ; rien ne s’oppose à ce que le droit de la presse puisse être appliqué aux publications en ligne.
Mais tout de suite une autre difficulté surgit. Des propos tenus sur un forum sont-ils constitutifs d’écrits, écrits correspondants au droit de la presse tel qu’il a été constitué à l’époque où les supports virtuels étaient inconnus ?
Face à cette question la réponse de la doctrine et de la jurisprudence a oscillé. Il semble aujourd’hui acquis qu’à l’instar de l’évolution de l’imprimerie vers l’audiovisuel, les propos tenus en ligne devraient être considérés comme des écrits relevant du droit de la presse, et que donc le droit de réponse prévu pour la presse périodique puisse être proposé par des médias en ligne.
Pour couper court à toute discussion, il serait certainement opportun que le législateur belge précise le droit de réponse en ligne. Il pourrait pour ce faire s’inspirer du droit français. Dans un décret du 24 octobre 2007, le législateur français a délimité le droit de réponse gratuit qui peut être exercé par toute personne nommée ou désignée en ligne. Ce droit s’exerce sans autre justification que la volonté de l’exercer. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de démontrer qu’il y a eu préjudice suite à la diffusion en ligne pour pouvoir exercer le droit de réponse. La seconde conséquence est que l’exercice du droit est indépendant des actions visant à demander le retrait ou la correction des écrits. Tous ces moyens peuvent être exercés en parallèle.
Signalons un écueil français qu’il faudrait ne pas reproduire. Le décret prévoit que lorsque le site est conçu de telle façon que sous chaque contribution un hyperlien est à disposition pour introduire une réponse sous le premier écrit, le droit de réponse ne peut être exercé. Concrètement, cet hyperlien n’est jamais que la répétition de la possibilité de mise en ligne d’un écrit. Il a donc la même forme et le même impact que les autres contributions. Or le droit de réponse a pour spécificité de mentionner qu’il s’agit d’un droit de réponse et que celui-ci est mis en ligne par le responsable du site. Pour ne pas vider le droit de réponse de sa substance, il conviendrait de toujours le prévoir comme un élément supplémentaire aux contributions et identifiable comme tel.
Diffamation en ligne.
Si l’entreprise désire réagir plus fermement, elle peut engager des poursuites judiciaires.
L’entreprise peut préférer la voie civile et invoquer le dénigrement sur base du régime général de responsabilité pour faute prévu à l’article 1382 du Code civil.
La voie pénale est intéressante parce qu’elle confie au parquet la poursuite des infractions telles que la calomnie, la diffamation et l’injure (articles 443, 444 et 448 du Code pénal). Le fait que ces délits aient été commis en ligne ne les absout pas, seul le mode d’exécution est différent.
La voie judiciaire présente elle aussi des difficultés.
La première réside dans le fait que l’entreprise devra justifier son préjudice. Il ne suffit pas de prétendre que les propos placés en ligne constituent une injure par exemple. Dans ce cadre d’une action en référé, il faut qu’il y ait suffisamment d’apparence de droit que tel est le cas. Il serait en effet hautement regrettable que la liberté d’expression en ligne soit muselée par des entreprises qui considéreraient des paroles relativement anodines comme contraires à leurs intérêts. Si tout ne peut être écrit sur l’Internet, il ne faudrait pas non plus que dès qu’un propos apparaît n’importe quel quidam puisse le faire retirer de façon quasi automatique en invoquant sa seule volonté.
La seconde réside dans l’identification des auteurs des messages incriminés. Alors que le droit de réponse s’exerce en relation avec un écrit, l’action judiciaire doit être dirigée contre une personne.
Les données permettant de faire le lien entre un pseudonyme et une personne sont détenues par le responsable du forum. Ces données étant des données personnelles protégées par la loi, le responsable ne peut les divulguer à quiconque en ferait la demande. C’est la raison pour laquelle la loi du 21 mars 2003 relative aux services de la société de l’information prévoit que seule une autorité compétente pourra y avoir accès.
Signalons que la relation pseudonyme-personne n’est pas absolue. Si quelqu’un parvient à connaître les codes associés au pseudonyme, c’est un jeu d’enfant de se faire passer pour un autre !
Il a déjà été évoqué plus haut que les données recueillies par le responsable du site peuvent être parcellaires. Dans ce cas, à moins de pouvoir faire des recoupements avec l’adresse IP utilisée lors de la mise en ligne, il sera particulièrement difficile de déterminer qui est l’auteur. La difficulté est accentuée par le fait que l’adresse IP ne permet que de connaître quel ordinateur a été utilisé ; elle ne permet pas de connaître la personne qui utilisait le clavier. Si en plus, l’adresse IP était usurpée, il devient quasiment impossible de mettre un nom sur une contribution !
Conclusion.
Le développement de l’Internet s’accompagne d’une multiplication des formes de la liberté d’expression. Les entreprises qui sont victimes des déséquilibres de celle-ci ne sont pas démunies, même si la technique informatique conserve souvent une longueur d’avance sur le législateur.