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La protection de la vie privée en droit belge : les travailleurs sont-ils vraiment protégés?

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Ce n’est un secret pour personne, la protection de la vie privée est devenue, en deux décennies, un enjeu majeur. Nul doute que l’évolution accélérée des technologies et, par corollaire, des moyens de traçage et de contrôle (GPS, GSM, caméras, biométrie, e-mail, internet, cookies, etc) n’y est pas étrangère. Retour d’expérience sur l’application concrète de cette protection.

 

Afin de garantir cette protection, les dispositions de base telles que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ou l’article 23 de la Constitution belge, ont été complétées en Belgique par un arsenal législatif particulièrement conséquent. On y trouve notamment la loi relative à la protection des données à caractère personnel (1992) et de nombreuses autres dispositions concernant l’utilisation de caméra, la surveillance des e-mails et de l’internet sur le lieu de travail, les communications électroniques, les fouilles, les tests pré-embauche, les détectives privés, etc.

A première vue la protection de la vie privée des travailleurs est donc largement assurée.

Dans les faits, l’histoire est malheureusement toute autre et, ce, pour plusieurs raisons.

La première est que les dispositions légales sont nombreuses, complexes et pas toujours cohérentes (ce qui n’est pas une première pour le pouvoir législatif belge). Le respect intégral de la législation en devient une gageure pour les employeurs à moins de bénéficier des services d’un spécialiste de la matière (et encore). Par ailleurs, l’application de ces dispositions par les cours et tribunaux ainsi que par les praticiens du droit est rendue plus difficile. Certains jugements ou arrêts mélangent ainsi allègrement les concepts pour le meilleur et, parfois, pour le pire.

La seconde tient au fait que le non-respect des dispositions légales applicables n’a finalement, en l’état actuel des choses, que peu de conséquences. Cet état de fait surprend lorsque l’on sait que la violation de ces dispositions peut mener à de lourdes sanctions pénales ou administratives, à des dommages et intérêts voire, dans le cas d’une procédure judiciaire, au rejet des éléments de preuve obtenus illicitement.

Force est cependant de constater qu’en Belgique, aucune condamnation pénale n’a à ce jour et à ma connaissance été prononcée du fait de la violation d’une disposition relative à la vie privée. En 2008, la Commission pour la protection de la Vie Privée n’a apparemment transmis aucun dossier au parquet. Pour rappel, en Allemagne, la chaine de distribution Lidl a été condamnée à payer au total 1,462 millions d’euros d’amendes par les tribunaux en raison de l’espionnage mené par micros-caméras et des détectives privés en violation de la vie privée des travailleurs. Certes, le travail de médiation de la Commission est le plus souvent couronné de succès (probablement plus en raison de la peur d’une atteinte à la réputation que des sanctions) mais son bras armé, la justice, ne semble pas donner priorité aux dossiers de violation de la vie privé. Ceci peut créer une sorte de sentiment d’impunité dans certains secteurs, certainement vis-à-vis des travailleurs.

En ce qui concerne les dommages et intérêts, les juridictions du travail sont assez frileuses et lorsque des dommages sont octroyés les montants en sont réduits. Ainsi, dans des cas de violation de la vie privée par l’employeur, la Cour du travail de Bruxelles et le Tribunal du travail de Liège ont-ils octroyé en 2007 respectivement 1 euro provisionnel et 1.500 euros à titre de dommages et intérêts. Ces montants ne sont évidemment pas de nature à effrayer la plupart des employeurs.

Enfin, le travailleur ne peut même plus se consoler en se disant que, dans le cadre d’une procédure entamée contre lui, l’employeur ne pourra pas utiliser des éléments de preuves obtenus en violation des dispositions relatives à la vie privée (par exemple, pour apporter la preuve d’un motif grave). En effet, confirmant une position déjà admise en 2005 en matière pénale, en mars 2008, la Cour de Cassation a admit que des preuves obtenues irrégulièrement pouvaient néanmoins être retenues devant les tribunaux sous certaines conditions dont le respect des droits de la défense. Ainsi, même si l’employeur ne respecte pas la vie privée du travailleur qui en engageant un détective privé, en copiant les e-mails privés, en écoutant les conversations téléphoniques ou en examinant les factures de gsm sans respecter la législation applicable, il pourra, dans la plupart des cas, utiliser ces éléments comme preuve dans un procès contre le travailleur. Ce dernier arrêt de la Cour de Cassation qui semble largement suivi par les juridictions paraît critiquable sur le fond. En effet, si l’intérêt supérieur de la justice et de la société commandait peut-être d’assouplir en matière pénale les règles de la preuve afin de pouvoir punir les criminels, je ne pense pas que le même impératif soit transposable en matière civile. D’autant que la complexité et l’incohérence de la législation laissait de toute manière déjà largement le champ libre aux cours et tribunaux au moment d’appliquer des dispositions par ailleurs souvent trop restrictives pour les employeurs.

Au vu de tout ceci, la question de la cohérence et de l’efficacité de la législation relative à la vie privée se pose avec acuité et appelle, à mon sens, à une réflexion globale des différents intervenants (pouvoir législatifs, parquets, juges, Commission pour la protection de la Vie Privée). Légiférer c’est bien, mais s’assurer de bien légiférer et garantir l’effectivité de la législation, c’est encore mieux. L’insécurité juridique créée par des dispositions trop complexes, trop nombreuses et incohérentes combinée à un laxisme au niveau des sanctions qui en découle au moins partiellement ne sont ni de l’intérêt des travailleurs dont la protection est finalement bien relative, ni de l’intérêt des employeurs qui – confrontés aux nécessités du fonctionnement de l’entreprise – sont bien en peine de délimiter ce qu’ils peuvent et ne peuvent pas faire et à respecter la loi.

(article publié dans le journal l’Echo – reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur)

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