La presse viole-t-elle la vie privée du président Hollande en révélant sa liaison avec une actrice ?
Publié le 09/01/2014 par Etienne Wery
Un journal people révèle une liaison entre le président Hollande et l’actrice Julie Gayet. Le président s’insurge contre cette violation de sa vie privée. Où est la frontière quand il s’agit d’une personnalité éminemment publique comme l’est un chef d’Etat ? Tentative de réponse.
Ashley Madison.com est un site libertin qui s’est fait connaitre l’an passé par un campagne de marketing qui jouait la provocation en mettant en scène des chefs d’Etat ayant eu (ou prétendument eu) une relation extraconjugale. Parmi les victimes, le président Hollande.
Changement de registre aujourd’hui car on est plus dans le ton décalé mais dans la révélation journalistique : le magazine Closer sort un numéro spécial et affirme que le président Hollande a une relation amoureuse secrète avec une célèbre actrice.
Fait révélateur de la tension qui entoure cette affaire : le journal a été imprimé en Belgique pour compliquer toute tentative d’empêcher ou compliquer sa publication et sa distribution en France.
Par la voix de son porte-parole, l’Élysée s’insurge contre cette violation de la vie privée du président, et annonce étudier toutes les options en ce compris les voies judiciaires.
Plusieurs observateurs s’étonnent de ce registre de communication car le fait de se positionner sur le plan de la protection de la vie privée et non sur celui de la diffamation, est interprété par certains comme un aveu.
Mais restons-en à la protection de la vie privée puisque c’est la ligne de défense du président.
La vie privée
Tout personne, parfait anonyme ou star hollywoodienne, se voit reconnaître un droit au respect de sa vie privée. Un homme politique dispose de ce droit au même titre que les autres.
Pour les stars, homme set femmes politiques et autres personnages publics, la seule difficulté consiste à faire la part des choses entre vie privée d’une part, et vie publique d’autre part : « Appliquer cela en pratique est parfois malaisé car les (d)ébats politiques auxquels se trouvent constamment mêlés les hommes politiques, intègrent nécessairement certaines questions liées à leur vie privée, à leurs convictions les plus profondes et à leur manière de les vivre » (A. BERTRAND, Droit à la vie privée et à l’image, Paris, Litec, 1999, p. 28).
On se souvient par exemple des frasques du président Berlusconi qui intégrait ses soirées libertines dans son mode de gouvernance.
Le précédent « Sarkozy »
On sait toute l’amitié qui unit le président Hollande et l’ex-président Sarkozy … Il est donc piquant de relever que c’est en partie grâce à Monsieur Sarkozy que le président Hollande peut se faire une idée des chances de succès d’une action judiciaire contre le journal.
A l’époque, M. Sarkozy, alors qu’il était président, s’était opposé au journal suisse « Le Matin » qui, au cours du mois de Mai 2005, avait publié une série d’articles et de photographies ayant trait à l’intimité de la vie conjugale de Nicolas Sarkozy et de son épouse, peu avant leur divorce.
Que la presse s’intéresse au divorce présidentiel est une chose admise : cela peut avoir une répercussion sur l’aptitude à gouverner du Président, et donc faire l’objet d’un débat public. Mais pour le président Sarkozy, on versait dans l’illégal quand la presse en profitait pour s’immiscer à cette occasion de façon excessive dans sa vie privée.
Dans l’affaire Le Matin, le juge a fait la part des choses :
- Pour certaines informations, il a conclut que « les intéressés ont eux-mêmes contribué, à travers des entretiens avec des journalistes de la télévision ou de la presse écrite, à porter à la connaissance du public des informations sur leur entente professionnelle renforcée par l’affection qu’ils se portaient mutuellement, de sorte qu’au-delà de leur notoriété personnelle, c’est bien le couple qu’ils formaient qui a revêtu un caractère public (…) ». (…) « Ce faisant, le demandeur a, lui-même repoussé les limites de la protection légale de l’article 9 du Code civil ». (…) « Le Matin a porté à la connaissance de ses lecteurs un fait déjà révélé constituant un événement d’actualité ».
- Pour d’autres informations, il a au contraire sanctionné car excessives et inutiles « à l’appui d’un débat d’intérêt général ».
S’agissant d’une relation amoureuse entre deux personnes, si l’on se positionne sur le plan de la vie privée, l’attitude correcte consiste donc à présumer que l’on est dans la sphère intime protégée par la notion de vie privée.
Pour justifier malgré tout la révélation, il faut donc invoquer un élément spécifique.
Un cas fréquent consiste à transformer la révélation en débat d’intérêt général ou à créer un lien entre cet élément privé et les fonctions publiques de la personne visée, et l’on imagine que ce sera la stratégie de défense du journal.
Qu’il s’agisse de s’interroger sur le risque de fuite de secrets d’État dans le contexte général sécuritaire actuel, ou sur la capacité du président de gérer (deux) ex femmes (encore qu’il n’étaient pas mariés) en même temps que les affaires de l’Etat, ou de poser la question d’une faiblesse relevant du domaine privé qui pourrait exposer politiquement le président, ou encore de s’interroger sur les mœurs des chefs d’État dans le contexte bien connu de l’affaire DSK, … il y a un grand nombre d’angles d’attaque possibles.
Ce qui est certain, et c’est une évolution notable, c’est que la presse hésite moins qu’avant à franchir le Rubicon. Il y a quelques années, on observait un fossé entre les pratiques journalistiques anglo-saxonnes et la déontologie applicable en France. Par exemple, vu de France, plusieurs personnes ont souri lorsque le président Clinton a eu maille à expliquer son amour pour le « cigare ». On avait du mal à comprendre ce qui était perçu comme un acharnement des journaux américains. Année après année, ce fossé se comble. Indépendamment du cas d’espèce que pose le président Hollande, c’est cette évolution qui interpelle le plus.