La police n’ayant pas le droit de visionner le contenu d’une caméra trouvée, le Tribunal fédéral suisse a écarté les aveux obtenus à l’aide de ces images
Publié le 14/06/2011 par Sylvain Métille
La police n’a pas le droit de visionner le contenu d’une caméra perdue et les aveux obtenus sur la base d’une preuve illégale ne sont pas exploitables. Tels sont en substance les enseignements d’une décision récente du Tribunal fédéral suisse.
L’histoire est plutôt simple et les faits peuvent se résumer ainsi: le recourant a violé plusieurs règles de la circulation routière alors qu’il était filmé par son passager. Ce dernier a plus tard perdu sa caméra lors d’une fête populaire. Ladite caméra a été rapportée à la police, qui en a visionné le contenu soi-disant pour identifier le propriétaire. Entendu par la police, le chauffeur a d’abord contesté les faits, puis après avoir été confronté à la vidéo, il a fini par admettre. Il a été condamné en 2009, le Tribunal de district de Brugg (Argovie) à dix-huit mois de prison ferme et 2’500 francs d’amende notamment pour violations graves et répétées de la loi sur la circulation routière.
La Cour de droit pénal du Tribunal fédéral suisse (TF) a annulé ce jugement rendu le 14 avril un arrêt qui sera prochainement publié au recueil officiel (6B_849/2010) au motif que les preuves avaient été obtenues illégalement.
La question au centre de cette affaire est de savoir si la police a le droit de fouiller la caméra vidéo dans le but de trouver d’éventuelles infractions (ou si elle le fait dans un autre but a-t-elle le droit d’exploiter les informations trouvées alors par hasard?), et dans le cas où elle n’en a pas le droit quelles sont les conséquences. Si cette caméra n’avait pas été perdue par le passager puis rapportée par un tiers au poste de police, le chauffeur n’aurait jamais été inquiété.
De manière claire, le droit suisse (et la CEDH) interdit la surveillance généralisée (qui revient à jeter un soupçon systématique sur chacun) et qui porte une atteinte disproportionnée à la protection de la sphère privée. Le Code de procédure pénal requiert un soupçon suffisant pour tout acte d’enquête. Plus l’acte est intrusif, plus le soupçon doit être caractérisé. Il est ainsi totalement exclu de mener une « fishing expedition », soit d’aller à la pêche aux informations pour peut être éventuellement trouver la preuve d’une infraction. Il n’est par exemple pas admissible d’arrêter systématique des passants sans reproche dans la rue pour examiner le contenu de leur téléphone portable à la recherche d’une éventuelle preuve.
Dans le cas d’espèce le TF a retenu que la police n’avait pas à visionner le contenu de la caméra: cela portait une atteinte inutile à la sphère privée des personnes qui y figuraient et n’était pas justifiable (aucun indice d’infraction pénale, aucun caractère urgent, etc). La police n’avait pas besoin de rechercher activement le propriétaire de la vidéo (et rien de démontre que le moyen utilisé était approprié) et il lui suffisait d’attendre que le propriétaire s’annonce au poste de police. Le TF prend acte de la version de la police mais l’on peut toutefois se demander qu’elle était l’intention réelle des agents. En conclusion donc, la police n’a pas le droit d’examiner les photos ou vidéos contenues dans un appareil trouvé qui lui est rapporté.
La police ayant sans droit et sans raison obtenu des preuves, il convient de voir si elles sont exploitables. Le Tribunal y voit un cas de découvertes fortuites, soit lorsque des preuves sont découvertes alors que l’investigation visait quelqu’un ou quelque chose d’autre. Cette affaire porte sur des faits antérieurs au nouveau code de procédure pénal suisse et est naturellement jugé selon le code de procédure cantonal en vigueur et les principes généraux applicables (notamment la Constitution et la Convention européenne des droits de l’Homme qui défendent aujourd’hui encore la protection de la sphère privée et la garantie d’un procès équitable). Une pesée d’intérêts est effectuée entre l’intérêt public à découvrir la vérité (et assurer la condamnation de l’auteur) d’une part et l’intérêt privé de la personne à ce que la preuve ne soit pas admise (et respect le droit à sa sphère privé ainsi qu’au respect des règles de procédure). Le Tribunal fédéral a estimé qu’il ne s’agissait seulement d’un cas de délits relativement graves (et non très graves) et que dans ces circonstances l’intérêt à la condamnation ne surpassait pas l’intérêt du recourant et que l’utilisation d’une telle preuve ne permettait pas un procès équitable.
La question suivante est celle de savoir si les aveux suffisent à soutenir la condamnation ou si elle doit également être exclue car elle découle de la preuve illégale (et écartée). Différentes théories existent mais le TF retient la moins exclusive à savoir qu’il ne faut pas exclure toutes les preuves découlant d’une preuve illégale, mais seulement celles qui ne pouvaient pas être recueillies légalement et sans cette preuve illégale. Dans ce cas, le recourant a d’abord contesté les faits. Il a ensuite avoué après avoir été confronté à la vidéo. Les aveux recueillis ne l’ont été que grâce à la vidéo et n’auraient pas pu être obtenus sans. Ils doivent donc être écartés.
La solution a été jugée sous l’ancien droit mais n’aurait pas été différente sous l’empire du nouveau code de procédure pénal en vigueur depuis janvier 2011: une pesée des intérêts a aussi lieu pour les preuves illégales, mais celles obtenues par le biais de mesures de surveillance soumises à autorisation sont automatiquement exclues sans qu’il faille procéder à une pesée d’intérêts.
On peut saluer la décision du Tribunal fédéral suisse qui a justement appliqué le droit et les garanties constitutionnelles, sans donner un poids particulier aux infractions à la Loi sur la circulation routière (même si c’est dans l’air du temps) mais en privilégiant le respect des règles de procédure et la sphère privée de l’individu. Est d’autant plus remarquable l’exclusion des aveux obtenus à l’aide de la vidéo illégale. Cette décision donne un signe clair que la pêche aux informations n’est pas praticable et que l’utilisation d’une preuve illégale pour obtenir des aveux empêche l’exploitation de ces aveux (autrement dit l’aveu ne rend pas légale la preuve illégale).