La parodie de marque sur l’internet
Publié le 24/11/2002 par Arnaud Dimeglio
La parodie de marque a le vent en poupe : après l’appel au boycott de la marque DANONE par le réseau Voltaire l’année dernière, cette année c’est au tour de l’association GREENPEACE de donner un coup de griffe à la marque ESSO et AREVA. Et ce mouvement n’est pas prés de s’arrêter si l’on en…
La parodie de marque a le vent en poupe : après l’appel au boycott de la marque DANONE par le réseau Voltaire l’année dernière, cette année c’est au tour de l’association GREENPEACE de donner un coup de griffe à la marque ESSO et AREVA. Et ce mouvement n’est pas prés de s’arrêter si l’on en croit la dernière jurisprudence rendue en matière de parodie de marque.
En effet, dans une ordonnance de référé du 2 août 2002, le Tribunal de Grande Instance de Paris, vient de reconnaître le droit pour l’association GREENPEACE de diffuser sur son site internet des parodies et autres caricatures de la marque AREVA. Or, dans les affaires précédentes, le juge avait au contraire considéré que la parodie de marque constituait une contrefaçon… Que s’est-il donc passé en l’espace d’une année pour que la jurisprudence évolue ainsi ?
La parodie constitue une exception au droit d’auteur, ainsi qu’il ressort de l’article L. 122-5 4° du Code de la Propriété Intellectuelle : « Lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : 4º La parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre. »
Le droit des marques, pour sa part, ne prévoit aucune « exception de parodie ». Aussi, lorsqu’une marque était parodiée, la tendance de la jurisprudence était de rejeter la parodie de marque, et de condamner, sur le fondement du droit des marques, les auteurs de la parodie. Telles furent les solutions rendues dans les affaires DANONE et ESSO mais aussi RATP, ou encore ONETEL. C’est précisément cette analyse que la « jurisprudence AREVA » ébranle.
En l’espèce, le Tribunal a considéré que l’utilisation de la marque à des fins parodiques n’entrait pas dans le cadre du droit des marques. En substance, le Tribunal s’est attaché à la finalité même du droit des marques : protéger la marque contre son utilisation à des fins commerciales, pour désigner des produits ou services identiques ou similaires à la marque enregistrée. Or les sites contestataires, comme celui de GREENPEACE, n’ont pas de vocation commerciale. Ils ont pour but de critiquer la politique, ou tout simplement l’activité de telle ou telle grande enseigne. Dés lors, l’utilisation de la marque à des fins parodiques ne constituerait pas une contrefaçon.
Néanmoins, l’affaire AREVA n’a été jugée qu’en référé. Cette jurisprudence doit donc encore être « confirmée » par les juges du fond, notamment sur le terrain du droit d’auteur. Dans la mesure où la marque peut être protégée, dans sa forme dénominative comme figurative, par le droit d’auteur, aucun obstacle ne devrait s’élever à l’encontre de l’application de l’exception de parodie à la marque. A supposer que les magistrats reconnaissent ce « principe » d’application, il ne faut pas non plus tomber dans l’excès inverse, et croire que la parodie de marque serait un droit « absolu ».
Les limites de la parodie tiennent au fait qu’elle est une exception au droit d’auteur : pour qu’elle s’applique, certaines conditions doivent être respectées. Parmi ces conditions, il en est deux essentielles : l’absence de confusion, et de dénigrement.
La parodie est par définition un travestissement de la réalité. Aucune confusion ne doit dés lors exister entre la marque et sa parodie. La condition d’absence de confusion a déjà pu se vérifier en jurisprudence, tant pour le nom de domaine, que pour le contenu des sites contestataires.
En ce qui concerne les noms de domaine, la jurisprudence condamne la reprise de la marque à l’identique. Dans l’affaire RATP, les auteurs du site avaient enregistré le nom de domaine « ratp.org ». Ce faisant, ils créaient une confusion avec le site officiel de la RATP, « ratp.fr ».
On comprend dés lors qu’ils aient été condamnés. En raison de la finalité non commerciale du site parodique, on regrette seulement qu’ils l’aient été sur le fondement du droit des marques, et non du droit d’auteur. En sens inverse, dans l’affaire DANONE, le nom de domaine « jeboycottedanone» n’a pas été sanctionné.
Les magistrats ont en effet considéré que ce nom de domaine ne prêtait pas à confusion avec la célèbre marque. Enfin, dans les affaires GREENPEACE, la question de la confusion ne s’était pas posée dans la mesure où la parodie était située, dans l’affaire ESSO, dans un sous domaine (greenpeacefrance.fr/stopesso) et, dans l’affaire AREVA, sur la page d’accueil du site de GREENPEACE.
S’agissant du contenu du site, comme pour le nom de domaine, la marque ne doit pas être utilisée comme un titre, notamment sous la forme d’une rubrique, et créer une confusion dans l’esprit du public (cf. par exemple l’affaire ONETEL précitée). A partir du moment où la marque, qu’elle soit dénominative ou figurative, est parodiée, aucune confusion ne peut avoir lieu. L’exception de parodie est donc applicable. C’est sur ce terrain que la jurisprudence AREVA devrait avoir le plus d’effet. Les magistrats ne devraient plus ainsi juger comme dans l’affaire DANONE, que la reprise d’un logo, même parodié, est constitutif d’une contrefaçon de marque.
En parallèle, précisons que les auteurs de sites contestataires, peuvent bénéficier d’une autre exception au droit d’auteur que celle de parodie : l’exception de courte citation. La marque peut, en effet, être naturellement « citée » à l’identique pour accompagner la critique.
Et ce, que la marque se présente sous une forme dénominative ou figurative. La marque, en tant que forme protégée par le droit d’auteur, peut donc être reprise à l’identique, à condition qu’elle constitue une courte citation. Elle doit alors s’incorporer de façon brève, autrement dit, accessoire dans le contenu. Lorsqu’elle se présente sous la forme d’une image, la jurisprudence tend à considérer que la reproduction de la marque sous une forme réduite respecte la condition de brièveté.
S’agissant de la condition d’absence de dénigrement, elle découle de l’interprétation faite par la jurisprudence de l’article L. 122-5 4° du Code de la Propriété Intellectuelle, lequel prévoit que la parodie est tenue de respecter les « lois du genre ». A l’instar de la condition de confusion, celle de dénigrement s’applique pour les noms de domaine, et le contenu des sites parodiques.
Peuvent notamment être sanctionnés pour dénigrement, les noms de domaine composés de la marque, et d’un préfixe ou d’un suffixe tel que « suck » ou « fuck ». Les « arbitres » de l’O.M.P.I sanctionnent ce type de nom de domaine sur le fondement de la confusion (cf. par exemple les affaires « vivendiuniversalsuck » ou encore « accorsucks.com») et non du dénigrement.
Mais cela tient davantage aux principes même des règles de l’ICANN, qui exigent de prouver une confusion entre le nom de domaine et la marque, qu’à l’absence même de prise en compte de la notion de dénigrement.
Les juridictions internes sanctionnent, quant à elles, sur le fondement du droit commun de la responsabilité, les noms de domaine et contenus dénigrants (Cf par exemple l’affaire Ontelfuck TGI Paris, 29 mai 2001 ONETEL c/ Nicolas M et l’affaire RATP précitée). Reste à savoir si un tel contenu pourrait à la fois être condamné sur le fondement du droit d’auteur et du dénigrement. Dans tous les cas, le dénigrement, et au delà, la diffamation ou l’injure sanctionnées par la loi de 1881 constituent une limite certaine à la parodie de marque.
En conclusion, la parodie de marque est licite, mais elle est un art difficile. Comme tout droit, elle est limitée, et il convient de respecter certaines conditions, dont les principales sont l’absence de confusion et de dénigrement.