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La notion de contenu manifestement illicite soumise au juge des référés

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La société Konami Digital est l’éditeur et fournisseur du jeu vidéo Pro Evolution Soccer. Ce jeu ne vous dit rien ? Vous avez tout faux ! C’est l’un des plus grands succès du moment, et cela fait des mois que ça dure … autant dire que les enjeux financiers sont colossaux. Cela explique le courroux…

La société Konami Digital est l’éditeur et fournisseur du jeu vidéo Pro Evolution Soccer. Ce jeu ne vous dit rien ? Vous avez tout faux ! C’est l’un des plus grands succès du moment, et cela fait des mois que ça dure … autant dire que les enjeux financiers sont colossaux. Cela explique le courroux de Konami Digital qui découvre sur le site Priceminister de la société Babelstore, des annonces qu’elle juge illégales. Elle s’adresse à Babelstore sur pied de l’article 6 de la LCEN, et lui demande de rendre inaccessible les annonces. L’affaire atterrit devant les juges.

Selon l’éditeur de Pro Evolution Soccer, les annonces sont manifestement illégales, en ce qu’elles violent à la fois les dispositions du code de commerce sur les ventes à perte et celles du code de la consommation relatives à la publicité mensongère et trompeuse. De plus, ces offres de vente en ligne ne respectaient pas la date de sortie officielle du produit et ne mentionnaient pas les coordonnées de l’annonceur :

L’éditeur expose avoir constaté sur le site Internet www.priceminister.com des offres de jeu, émanant de Mediaprice, dont elle prétend qu’elles ne respectent pas les dispositions impératives des articles L-442-2 et L 310-5 du Code de commerce ni celles du Code de la consommation relatives à la publicité mensongère ou de nature à induire en erreur, pas plus qu’elles ne respectent la date de sortie officielle du produit, qu’en outre les coordonnées de l’annonceur n’apparaissent pas (identité, numéro siret, adresse du siège social, adresse électronique et numéro de téléphone du vendeur) contrairement aux textes en vigueur destinés à protéger le consommateur ;

La société Babelstore refuse et invoque l’argument suivant : « la responsabilité du site Priceminister, qu’elle exploite, ne peut être engagée qu’au regard de contenus pouvant être considérés comme manifestement illicites selon l’interprétation donnée par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2004 ».

Pour rappel, l’article 6-I-2 de la LCEN prévoit que les hébergeurs de contenu ne peuvent voir « leur responsabilité civile engagée du fait d’activités ou d’informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services s’ils n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou des faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si dès le moment où ils en eu cette connaissance, ils ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible. »

Le Conseil constitutionnel a dans une décision du 10 juin 2004 émis une réserve d’interprétation sur la notion de « caractère illicite », précisant que la responsabilité de l’hébergeur ne peut-être engagée que si le contenu présente un caractère « manifestement » illicite.

Le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions de la LCEN devaient être lues de manière restrictive et qu’elles « ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge » (Voir Lionel Thoumyre, Comment les hébergeurs français sont devenus juges du manifestement illicite, 28/07/2004, http://www.juriscom.net/int/visu.php?ID=561).

Selon l’interprétation donnée par le Conseil Constitutionnel, le caractère « manifestement illicite » d’un contenu ne devrait donc être reconnu que dans les cas les plus flagrants, c’est-à-dire les cas de contenus d’une gravité avérée et dont le caractère illicite ne semble pas discutable comme, par exemple, les contenus racistes (TGI Paris, ord. ref., 12 juillet 2001 http://www.legalis.net/cgi-iddn/french/affiche-jnet.cgi?droite=decisions/responsabilite/ord_tgi_paris_120701.htm), antisémites (TGI Nanterre, 24 mai 2000 http://www.juriscom.net/txt/jurisfr/cti/tginanterre20000524.htm, TGI Paris, 20 nov.2000, affaire Yahoo ! http://www.juriscom.net/txt/jurisfr/cti/tgiparis20001120.pdf, TGI Paris, 22 mai 2000, aff.Yahoo8, http://www.juriscom.net/txt/jurisfr/cti/tgiparis20000522-asg.htm), négationnistes, révisionnistes (TGI Paris 13 juin 2005, affaire aaargh, http://www.juriscom.net/jpt/visu.php?ID=717. Confirmé par Paris 11ème ch., 24 nov. 2006), les textes faisant l’apologie des crimes de guerre, photos pédophiles (Recommandation Les enfants du Net II : Pédo-pornographie et pédophilie sur l’Internet, 25 janvier 2005, http://www.forumInternet.org/recommandations/lire.phtml?id=844) et contenus pornographiques (TGI Paris, ord. ref., 27 février 2006, Afflelou c/ Google http://www.legalis.net/jurisprudence-decision.php3?id_article=1648) ou qui provoquent directement aux actes de terrorisme.

Babelstore fonde son refus de retrait sur le fait que selon elle le champ d’application des contenus « manifestement illicites » est limité aux seuls exemples fournis par l’interprétation restrictive du Conseil Constitutionnel.

Ce à quoi s’est opposé le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris.

Après avoir implicitement considéré que priceminister est un hébergeur, le juge a considéré que :

Les mails émanant de PriceMinister, objet des Procès verbaux de constat d’huissier versés aux débats, contiennent des offres commerciales qui apparaissent constituer un trouble manifestement illicite.

Et le magistrat de pointer du doigt des annonces relatives à la disponibilité de la nouvelle version du jeu avant la date de sortie officielle, ou d’autres d’autres mails avec des prix de vente du produit neuf Pro Evolution Soccer 6 sensiblement inférieurs au prix d’origine, les % d’économie résultant de ces réductions ainsi offertes aux consommateurs, compris entre 12 et 19 % du prix d’origine, étant clairement soulignés dans le message diffusé. La conslusion du tribunal est simple : « Ces offres sont susceptibles de causer un dommage imminent aux acteurs intervenant sur le marché de ce jeu vidéo Pro Evolution Soccer 6 ».

Ce jugement met en lumière un problème extrêmement délicat : qu’elle est l’interaction entre le « contenu manifestement illicite », et le « trouble manifestement illicite » ?

La notion de « contenu manifestement illicite » est issue, nous l’avons vu, de la LCEN et de l’interprétation qui en a été faite par le Conseil Constitutionnel. Le juge ne peut pas, nous semble-t-il, donner à la loi un sens que ni le législateur ni le Conseil Constutionnel ne lui donne.

Mais le juge des référés est aussi le juge du « trouble manifestement illicite », notion autonome qui fonde sa compétence lorsqu’il s’agit de prévenir ou réparer dans l’urgence une sitution manifeste. Cette notion est interprétée très largement par les praticiens et les juges, ce qui permet de fonder très souvent la compétence du juge des référés, surtout lorsque, comme en l’espèce, le plaignant invoque la survenance d’un dommage imminent.

Les deux notions ne sont pas simplement superposables. La première est restrictive (le principe est la non responsabilité, sauf si le contenu est manifestement illicite) ; la seconde est évolutive, appliquée largement et souplement.

Sans se prononcer sur le fond de cette affaire, on peut certainement regretter que le tribunal n’ait pas précisé sa pensée sur ce point et semble avoir perdu de vue l’autonomie des deux notions.

Car le risque est évident : habitués à manipuler la notion de « trouble manifestement illicite », les praticiens du référé vont-ils absorber dans celle-ci l’autre notion de « contenu manifestement illicite » issue de la LCEN, ce qui ruinerait l’équilibre créé par la LCEN ?

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