La monnaie électronique reçoit un cadre juridique en droit belge
Publié le 11/09/2003 par Etienne Wery
Le cadre juridique des établissements de crédit a été harmonisé au niveau européen lors de l’adoption de la directive 2000/12 du 20 mars 2000, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice. Le législateur européen s’est ensuite ému du cas particulier des institutions émettrices de monnaie électronique. D’un côté, elles sont concurrentes…
Le cadre juridique des établissements de crédit a été harmonisé au niveau européen lors de l’adoption de la directive 2000/12 du 20 mars 2000, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et son exercice.
Le législateur européen s’est ensuite ému du cas particulier des institutions émettrices de monnaie électronique. D’un côté, elles sont concurrentes des établissements de crédit puisque d’un point de vue fonctionnel, elles ont également pour but d’offrir à leurs clients un moyen de paiement lors d’une transaction. D’un autre côté, le cadre juridique très lourd des établissements de crédit a été jugé disproportionné pour ces institutions qui se limitent souvent au métier de la monnaie électronique au sens strict, et qui sont en outre, pour la plupart, de taille plus modeste que les banques centenaires qui occupent la place. Enfin, à tort ou à raison, le développement de la monnaie électronique a été considéré comme un des moyens efficaces de promouvoir le commerce électronique européen, de sorte que l’assouplissement du cadre juridique des émetteurs est devenu un objectif politique.
Pour tous ces motifs, le 18 septembre 2000, l’Union a adopté la directive 2000/46 concernant l’accès à l’activité des établissements de monnaie électronique et son exercice ainsi que la surveillance prudentielle de ces établissements. Le texte tente de concilier la finalité rappelée ci-dessus avec une souplesse supposée bienvenue. L’union a simultanément adopté une directive modifiant techniquement la définition de la directive 2000/12 pour adapter la définition des établissements de crédit.
La Belgique vient d’intégrer ce second volet grâce à la loi du 25 février 2003 modifiant la loi du 22 mars 1993 relative au statut et au contrôle des établissements de crédit. Nous en profitons pour présenter quelques dispositions phares du cadre ainsi modifié.
De nouvelles définitions
Sont définies comme établissement de crédit, les entreprises belges ou étrangères :
- dont l’activité consiste à recevoir du public des dépôts d’argent ou d’autres fonds remboursables et à octroyer des crédits pour leur propre compte, ou
- dont l’activité consiste à émettre des instruments de paiement sous la forme de monnaie électronique.
Les établissements de crédit ayant pour seule activité celle visée au second tiret, sont qualifiés d’établissements de monnaie électronique.
L’avantage principal de définir les établissements de crédit en fonction de leurs activités consiste à soumettre à la loi tout établissement qui, même inconsciemment, viendrait à pratiquer un de ces métiers. La remarque prend toute sa saveur sur l’internet, où l’offre commerciale s’est développée à la vitesse de l’éclair en oubliant parfois que le mécanisme mis en place répondait à la définition légale, avec toutes les conséquences qui en découlent. Il faut en effet souligner que la loi réserve l’activité d’émission de monnaie électronique aux établissements de crédit établis en Belgique et aux établissements de crédit constitués selon le droit d’un autre Etat membre de la Communauté européenne qui bénéficient du régime de reconnaissance mutuelle instauré par la loi, ainsi qu’aux banques centrales du Système européen de Banques centrales. Ces établissements doivent être agréés. Ce monopole d’exercice est protégé par des dispositions pénales.
La monnaie électronique est définie comme une valeur monétaire représentant une créance sur l’émetteur, qui est (1) stockée sur un support électronique, (2) émise contre la remise de fonds et (3) acceptée comme instrument de paiement par des personnes autres que l’émetteur. Les trois conditions sont naturellement cumulatives.
Le deuxième élément de la définition vise la remise de fonds. La loi précise en outre que les fonds remis contre de la monnaie électronique ne peuvent être inférieurs à la valeur monétaire représentant la créance sur l’émetteur. Cette définition amène une question importante : cette remise de fonds est-elle une « réception de dépôts ou d’autres fonds remboursables » ? Dans l’affirmative, cela entraîne inévitablement l’application de toute une batterie de règles légales car cette activité – qui constitue le cœur de l’activité bancaire classique – est l’une des plus réglementées qui soit. La loi – qui suit en cela la directive – tranche expressément la question par la négative : ces fonds ne constituent pas des dépôts ou autres fonds remboursables s’ils sont immédiatement échangés contre de la monnaie électronique. En d’autres termes, s’ils sont inscrits sur un compte créditeur au lieu d’être immédiatement échangés, ces fonds retrouvent leur qualification première et le régime juridique qui s’y attache.
La monnaie électronique est-elle qualifiée juridiquement ?
On peut comprendre la ratio legis de cette importante décision (l’autre option aurait gelé le développement de la monnaie électronique pour cause d’un cadre légal trop lourd), mais il faut néanmoins prendre conscience des risques qu’elle engendre par rapport à la qualification juridique de la monnaie électronique.
En effet, pour justifier sa position, le législateur européen a été obligé de voir la monnaie électronique comme « un substitut électronique des pièces et billets de banque, qui est stocké sur un support électronique », ce qui l’a ensuite autorisé à considérer que son émission « ne constitue pas, en soi, étant donné son caractère particulier de substitut électronique des pièces et billets de banque, une activité de réception de dépôts (…) si les fonds reçus sont immédiatement échangés contre de la monnaie électronique ».
Voici qui ressemble à s’y méprendre à une qualification juridique ! La monnaie électronique n’est ni de la monnaie scripturale (inscription en compte), ni de la monnaie fiduciaire (pièces et billets), mais un substitut de la seconde. La monnaie électronique tiendrait-elle de l’organisme génétiquement modifié ? Ce n’est plus tout à fait l’original, ni tout à fait différent ; c’est inoffensif en éprouvette mais personne ne garantirait sur sa tête l’innocuité à long terme en conditions réelles d’utilisation. Nous faisons confiance à l’inventivité des juristes pour tirer de ce statut hybride autant d’arguments que de plaideurs.
Limitation des activités
La loi encadre strictement les activités commerciales des établissements de monnaie électronique autres que l’émission de monnaie électronique ; celles-ci sont limitées :
- à la fourniture de services financiers et non financiers étroitement liés à l’émission de monnaie électronique, tels que la gestion de monnaie électronique, par l’exercice de fonctions opérationnelles et d’autres fonctions accessoires en rapport avec son émission ainsi qu’à l’émission et à la gestion d’autres instruments de paiement à l’exclusion de l’octroi de toute forme de crédit, et
- au stockage de données sur le support électronique pour le compte d’autres entreprises ou d’institutions publiques.
Par ailleurs, les établissements de monnaie électronique ne peuvent détenir aucune participation dans une autre entreprise, sauf si celle-ci exerce des fonctions opérationnelles ou d’autres fonctions accessoires liées a la monnaie électronique émise ou distribuée par l’établissement concerné.
Ces limitations révèlent la portée de la différence entre les établissements de crédit au sens plein, et les établissements de crédit ayant la monnaie électronique pour seule activité et que la loi appelle les établissements de monnaie électronique. Conformément à l’adage « qui peut le plus peut le moins », les premiers restent libres d’exercer leurs activités comme auparavant, y compris l’émission de monnaie électronique s’ils le désirent. Les seconds ont reçu un cadre juridique allégé mais ne peuvent exercer en échange qu’un seul métier.
Remboursabilité
Clef de voûte du régime légal, la remboursabilité implique que la monnaie électronique non encore utilisée est, pendant sa période de validité, remboursable par virement ou en monnaie fiduciaire par l’établissement émetteur à la demande du porteur de la monnaie électronique.
Le contrat régissant l’émission de monnaie électronique doit préciser clairement les conditions de ce remboursement sans que celles-ci ne puissent prévoir d’autres frais que ceux strictement nécessaires à l’opération de remboursement. Le contrat peut prévoir pour le remboursement un montant minimal, qui ne peut être supérieur à 10 euros. Toute clause du contrat limitant le droit au remboursement est nulle.
Instruments techniques de surveillance prudentielle
Les établissements de monnaie électronique sont dispensés du respect de certains instruments techniques de surveillance prudentielle applicables aux établissements de crédit, mais il ne sont pas libres pour autant de fonctionner à leur guise. La loi impose des exigences en matière de capital initial, de fonds propres permanents et de limitation des placements ; elle crée également les outils de contrôle ad hoc. Le but est évidemment de limiter autant que possible les risques d’insolvabilité des établissements. Notamment, la structure de gestion, l’organisation administrative et comptable et le contrôle interne doivent correspondre aux risques financiers et non financiers auxquels les établissements de monnaie électronique sont exposés, y compris les risques techniques et ceux liés à la procédure, ainsi que les risques liés aux activités exercées en coopération avec toute entreprise remplissant les fonctions opérationnelles ou d’autres fonctions accessoires en rapport avec leurs activités.
Exemptions
La Commission bancaire et financière, qui est gardienne de la loi, peut exempter certains établissements de monnaie électronique de l’application de tout ou partie de la loi et de ses arrêtés d’exécution ; sont visés :
- les établissements « de taille réduite », c’est-à-dire ceux dont l’activité d’émission de monnaie électronique génère un montant total d’engagements financiers liés à la monnaie électronique en circulation ne dépassant pas normalement 5 millions d’euros et jamais six millions d’euros,
- les établissements de « monnaie réservée », c’est-à-dire (i) la monnaie n’est acceptée comme instrument de paiement que par des entreprises avec lesquelles il existe un lien de contrôle avec l’établissement de monnaie électronique émetteur et si, s’agissant de leurs filiales, elles exercent des fonctions opérationnelles ou accessoires en rapport avec l’émission de monnaie électronique, ou (ii) les établissement dont la monnaie électronique n’est acceptée comme instrument de paiement que par un nombre limité d’entreprises, qui se distinguent clairement par le fait qu’elles se trouvent dans les mêmes locaux ou dans une zone locale restreinte ou qu’elles sont dans une étroite relation financière ou commerciale avec l’établissement de monnaie électronique émetteur, notamment sous la forme d’un dispositif de commercialisation ou de distribution commun.
Dans tous les cas, les établissements exemptés doivent prévoir, dans le contrat régissant l’émission de monnaie électronique, que le support électronique stockant la monnaie électronique ne peut avoir une capacité excédant 150 euros. L’exemption étant une mesure strictement nationale, ces établissements ne bénéficient pas du régime de reconnaissance mutuelle qui contribue à la liberté d’exercice au sein de l’Union. Enfin, ils doivent fournir périodiquement à la Banque nationale de Belgique et à la Commission bancaire et financière un rapport spécial sur leurs activités.
Soucieuse de préserver les droits acquis, la lois stipule que les établissements de monnaie électronique qui ont commencé leur activité d’émission de monnaie électronique avant le 27 avril 2002 sont présumés agréés.
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