La lutte antidopage est-elle conciliable avec le droit à la vie privée du sportif ?
Publié le 13/07/2008 par Thibault Verbiest, Cathie-Rosalie Joly, Djamel Hadef
La légitimité des autorités de lutte antidopage à s’immiscer dans la vie privée du sportif puise sa source dans le débat plus général sur la liberté de l’individu à disposer de son corps. Depuis quelques années, cette liberté a tendance à se contracter (1). La politique de lutte antidopage, mise en ouvre depuis plusieurs années en France, s’inscrit donc dans le débat plus général de la conciliation entre la libre disposition de son corps avec les limites qui lui sont traditionnellement opposées.
Le législateur a réalisé en 2006 (2) une avancée significative vers l’édification d’un dispositif de lutte antidopage opérationnel, en centralisant les pouvoirs de contrôle et de sanction auprès d’une nouvelle autorité administrative indépendante, l’agence française de lutte antidopage (3) et en mettant en conformité le droit français avec les normes antidopage internationales.
Bien que l’éradication du dopage dans le monde sportif constitue un objectif tout à fait louable, il ne faudrait pas que les moyens mis en œuvre pour l’atteindre entraînent une ingérence disproportionnée dans la vie privée du sportif, dont l’activité professionnelle ne saurait justifier une protection moins importante que celle à laquelle a droit chaque individu.
La conciliation entre la mise en place des nouveaux instruments de lutte antidopage et la vie privée du sportif.
- La conciliation entre l’introduction du système de localisation du sportif et la protection de ses données personnelles
Aux termes de l’article L.232-15 du Code du sport, les sportifs désignés par le directeur des contrôles de l’Agence française de lutte antidopage (AFLD) ont alors l’obligation de transmettre des informations permettant « d’établir un emploi du temps quotidien et détaillé »(4).
Avant le début de chaque trimestre, le sportif devra déterminer un créneau horaire d’une heure pendant lequel il souhaiterait se soumettre au contrôle inopiné (5). Cependant, « L’agence peut également procéder à des contrôles en dehors des créneaux horaires » (6).
L’article L.232-15 du Code du sport prévoit également que les informations relatives à la localisation du sportif peuvent faire l’objet d’un traitement automatisé après un avis motivé et publié de la CNIL.
Préalablement à la création du fichier, la CNIL a donc rendu un avis le 25 avril 2007 (7) sur le projet de délibération de l’AFLD prévoyant la création et le partage d’un traitement automatisé d’informations relatives à la localisation des sportifs.
Ces recommandations ont été prises en compte par L’AFLD qui prévoit désormais (8), la communication de ces deux informations à travers la notification au sportif de son appartenance au groupe cible.
- La conciliation entre l’introduction de nouveaux prélèvements biologiques et le secret médical du sportif
Respectueux du secret médical, le Code du sport prévoit que, lors des contrôles antidopage « seuls des médecins peuvent recueillir les informations à caractère médical » (9).
Selon l’AMA : « l’instauration du passeport biologique nécessitera l’analyse longitudinale des paramètres sanguins des sportifs qui seront enregistrés dans une base de données […] ». Or, la simple communication de données médicales sans autorisation légale et sans réel consentement du sportif constitue déjà en soi une atteinte au secret médical. De plus, la constitution de bases de données à caractère médical par des autorités de lutte antidopage françaises devrait être autorisée pour être légale.
A la suite de l’affaire Puerto (10), l’UCI, a imposé aux cyclistes professionnels le prélèvement de leur ADN afin de le comparer aux poches de sang saisies par la justice Espagnole.
En droit français, en dehors des hypothèses (11)prévues par l’article 16-11 alinéa 3 du Code civil (telles que l’identification aux fins médicales (12) ou de recherches scientifiques), seules les données génétiques du fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) peuvent être utilisées à des fins d’identification. L’utilisation des données du FNAEG est encadrée par les articles 706-54 et suivants du Code de procédure pénale qui réservent son utilisation aux infractions (13). Or, dans la mesure où, depuis la loi de 1989, l’usage de substances dopantes ne constitue plus un délit, l’utilisation de données génétiques par une fédération en vue de prouver la culpabilité d’un coureur dopé ne semble pas rentrer dans ce cadre législatif et apparaît donc illégal.
La conciliation entre la mise en œuvre du contrôle antidopage et la vie privée du sportif
- La conciliation entre la mise en oeuvre des contrôles antidopage et l’inviolabilité du domicile du sportif
Dans l’arrêt « Niemietz », du 16 décembre 1992, la CEDH ayant à connaître des perquisitions, a étendu le droit à l’inviolabilité du domicile, au domicile professionnel (14).
On peut considérer que, le domicile professionnel du sportif est son terrain d’entraînement. Dans la mesure, où les contrôles antidopage sont organisés par la loi, ils semblent bien constituer l’ingérence d’une autorité publique dans le droit au domicile du sportif au sens de la jurisprudence Niemietz.
Les conditions temporelles du contrôle antidopage sont régies par l’article L.232-14 et par la délibération n°54 de l’AFLD.
Les contrôles antidopage peuvent être effectués entre 6 heures et 21 heures. Il faut souligner que même si le sportif communique un créneau horaire durant lequel il souhaite être contrôlé, ce créneau est purement indicatif dans la mesure où l’AFLD se réserve le droit de procéder à des contrôles en dehors de ce créneau horaire (15).
- La conciliation entre la mise en œuvre du contrôle antidopage et l’intégrité du sportif
Le contrôle antidopage constitue une dérogation (16) au principe de l’inviolabilité du corps humain (17). Par définition, il constitue un prélèvement biologique et semble donc entrer dans le cadre des dispositions du Code de la santé publique relatives au don et à l’utilisation des éléments et des produits du corps humain.
Cette observation paraît particulièrement concerner les réglementations antidopage telles que celle de l’UCI prévoyant explicitement dans son règlement antidopage que : « Les échantillons prélevés […] deviendront la propriété de l’UCI lors du prélèvement » (18). Les contrôles antidopage organisés par l’UCI, sembleraient dès lors contraire au principe de l’anonymat, régissant le don d’un élément d’un produit du corps, garanti aux articles 16-8 du Code civil et L.1211-5 du Code de la santé publique (19).
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(1) Diane Roman, « A corps défendant, la protection de l’individu contre lui-même », Recueil Dalloz 2007 p. 1284.
(2) Loi n° 2006-405 du 5 avril 2006.
(3) Qui succède à la CPLD qui ne disposait que d’un pouvoir de sanction, les contrôles étant alors partagés entre le Ministère des Sports et les fédérations.
(4) Article 2 de la Délibération de l’AFLD n°54 rectifiée les 12 juillet 2007 et 18 octobre 2007 portant modalités de transmission et de gestion des informations de localisation des sportifs faisant l’objet de contrôles individualisés et de sanctions en cas de manquement.
(5) Planning trimestriel des créneaux horaires :
http://www.afld.fr/admin/fckeditor/UserFiles/Planning%20trimestriel%20creneau%20horaire(1).pdf
(6) Article 3 de la Délibération n°54 de l’AFLD.
(7) Délibération n° 2007 – 062 portant avis sur un projet de délibération de lutte contre le dopage autorisant le traitement automatisé des données relatives à la localisation des sportifs soumis à des contrôles individualisés.
(8) Article 3 de la Délibération n° 53 du 7 juin 2007 autorisant le traitement automatisé des données relatives à la localisation des sportifs soumis à des contrôles individualisés.
(9) L.232-14 du Code du sport.
(10) Le 23 mai 2006, la saisie d’environ deux cents poches de sang dans un laboratoire en Espagne met à jour l’existence d’un vaste réseau de dopage, nuisant ainsi une nouvelle fois gravement à l’image du cyclisme professionnel.
(11) Et de certains autres cas particuliers comme la demande de mesure d’instruction par le juge judiciaire (Article 16-11 alinéa 1 du Code civil) l’obtention de subside ou l’établissement d’une filiation (Article 16-11 alinéa 2 du Code civil).
(12) Les « fins médicales » visées ici doivent être entendues strictement (Article R.1131-1 du Code de la santé publique : Ces fins médicales concernent soit le diagnostic d’une maladie à caractère génétique, soit la recherche de caractéristiques de gènes susceptibles d’être à l’origine du développement d’une maladie, soit l’adaptation d’un traitement médical selon les caractéristiques génétiques). C’est pourquoi, il ne faut pas confondre ces « fins médicales » avec le motif général de protection de la santé publique de la lutte antidopage qui ne peut pas ici légitimer l’identification génétique des sportifs.
(13) Notamment l’article Article 706-54 alinéa 3 du Code de procédure pénale prévoyant la possibilité d’un prélèvement ADN sur une personne « à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis un crime ou un délit ».
Cette hypothèse pourrait concerner un sportif ayant favorisé le trafic de produits dopants qui constitue un délit. Dans ce cas le prélèvement ADN serait rapproché avec les données incluses dans le FNAEG, mais l’emprunte du sportif ne pourrait pas être conservée.
(14) CEDH, 16 décembre 1992, « Niemietz c/ RFA ».
(15) L’article 3 de la délibération n°54 du 18 octobre 2007 sur les modalités de transmission des informations relatives à la localisation des sportifs.
(16) L’article 16-3 du Code civil prévoit qu’il est possible de porter atteinte au corps humain en cas de nécessité médicale, dans l’intérêt thérapeutique d’autrui, ou lorsque l’état de l’intéressé ne lui permet pas de donner son consentement à une intervention nécessaire.
(17) Article 16-1 du Code civil.
(18) Point 167 du règlement antidopage de l’UCI.
(19) Et plus précisément à l’article L.1221-7 du Code de la santé publique concernant les prélèvements sanguins.
Thibault Verbiest, Associé Cabinet ULYS, Chargé d’enseignement à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Djamel Hadef, Juriste, Doctorant à l’université de Paris X, Cabinet ULYS,
Cathie-Rosalie Joly, Avocate, Docteur en droit, Cabinet ULYS