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La liberté de l’image en question : avancée ou recul ?

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L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (C.E.D.H.) conduit notre société à promouvoir la liberté d’expression. D’un côté la compréhension dilatée de ce concept devrait impliquer logiquement qu’il y a plus de liberté de fixer et diffuser des images, qu’il s’agisse d’images fixes (photographie) ou animées (œuvre audiovisuelle, c’est-à-dire séquence animée d’images…

L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (C.E.D.H.) conduit notre société à promouvoir la liberté d’expression.

D’un côté la compréhension dilatée de ce concept devrait impliquer logiquement qu’il y a plus de liberté de fixer et diffuser des images, qu’il s’agisse d’images fixes (photographie) ou animées (œuvre audiovisuelle, c’est-à-dire séquence animée d’images et de sons). D’un autre côté, dans le prolongement des droits de la personnalité la C.E.D.H. cherche également à protéger l’individu (article 8). La surmédiatisation, le lynchage médiatique ont été dénoncés comme des manquements aux droits fondamentaux des individus.

Entre liberté d’expression et protection de l’individu il appartient au droit positif de se maintenir sur une ligne de crête qui réalise un équilibre entre des intérêts antagonistes. Comme souvent le chemin est étroit et sinueux et c’est au cas par cas qu’il faut faire la pesée entre les deux plateaux de la balance.

Mais qu’y a t’il exactement sur le plateau de la balance attribué à la protection de l’individu ? Pour certains auteurs le droit à l’image n’est qu’un avatar du droit au respect de la vie privée ; le premier ne serait pas autonome par rapport au deuxième car l’image d’une personne serait déjà l’émanation de sa vie privée. L’argument est indiscutable lorsque l’image véhicule un aspect de la vie privée, la nudité par exemple. Mais il arrive que l’image d’une personne soit exploitée sans évocation de sa vie privée ; il en sera ainsi lorsqu’il s’agit de l’image d’une personne déambulant dans la rue ; il semble alors que le droit à l’image devienne autonome par rapport à la sphère de la vie privée.

C’est d’ailleurs dans ce dernier type d’hypothèse que la confrontation avec la liberté d’expression est la plus difficile à trancher pour les juges. Tant que la vie privée est en jeu les magistrats n’ont guère d’état d’âme à faire prédominer l’intérêt de l’individu sur l’intérêt général qu’incarne la liberté d’expression. Du moins en est-il aussi en France, car aux États-Unis l’omnipotence du premier amendement de la constitution conduit les magistrats à privilégier presque systématiquement la liberté d’expression. La confrontation entre la liberté publique et les droits de la personnalité a donc plus d’intérêt, et est plus difficile à arbitrer, lorsque l’image véhiculée ne porte aucune atteinte à la vie privée. C’est donc ce dernier cas qui nous préoccupera pour l’essentiel.

Mais le droit à l’image n’est pas la seule occasion de brider la liberté de filmer ou de photographier. D’autres monopoles, fondés sur l’exclusivité d’un droit de propriété intellectuelle, ou même d’un droit de propriété sur une chose corporelle, restreignent le champ d’application de cette liberté. Dans le premier cas il s’agit d’une exception classique. Dans le deuxième cas il s’agit d’une nouveauté dont vous parlera Madame le Professeur Lepage.

Cette nouveauté est intéressante en ce qu’elle témoigne d’une évolution, qui, prise globalement, nous paraît indiquer que la tendance dominante est plutôt à brider la liberté de l’image (I). Les cas sont en effet multiples, et souvent récents, où les chasseurs d’images ont été condamnés. Ce mouvement restrictif n’est cependant pas uniforme, même s’il paraît majoritaire ; d’autres cas, moins nombreux, évoquent au contraire une liberté débridée (II), lorsque le droit à l’information du public vient écorner les prérogatives des individus au nom de l’intérêt général.

La liberté bridée

Les droits exclusifs fonctionnent comme des monopoles. En leur nom il est souvent interdit de filmer ou de photographier (A). Ils ont ceci de commun avec les droits de la personnalité (B) qu’ils permettent à leur titulaire d’interdire l’exploitation de l’image.

  1. Au nom des monopoles

    Je laisserai de côté l’image des biens ; on sait que la Cour de Cassation a consacré, au nom de l’imperium du droit de propriété, la faculté du propriétaire d’interdire que l’on mette en image « sa chose ».

    Il reste alors à traiter du droit d’auteur confronté à l’exception de citation. Le droit de reproduction et le droit de représentation sont des prérogatives exclusives au profit du titulaire des droits. Pour s’en affranchir le chasseur d’images invoque souvent l’exception de citation. Mais la Cour de Cassation fait preuve de rigorisme. Dès lors que la représentation de l’œuvre protégée est intégrale et constitue le sujet principal de l’image, l’exception de citation ne peut être invoquée et il est obligatoire de payer une redevance au titulaire des droits d’auteur.

    C’est ainsi qu’il a été jugé qu’une équipe de télévision ne pouvait librement filmer des fresques picturales de Vuillard, fraîchement rénovées, dans un théâtre (Civ. 1ère 04 juillet 1995, D 1996, Som. 73, nos obs.).

    En revanche si une fresque murale ne constitue qu’un arrière plan l’exception de citation prend le dessus (Paris 14 sept. 1999, JCP ed E 2000, 137 n° 6, obs. Lucas). En l’espèce un argument supplémentaire militait pour cette solution : seule une partie de la fresque apparaissait. Cependant, il s’agit certainement d’un argument superfaitatoire. Le caractère accessoire de la représentation suffisait à justifier la décision.

  2. Au nom des droits de la personnalité

    La tendance jurisprudentielle semble incontestablement faire pencher le fléau de la balance en faveur des droits des personnes dont l’image est reproduite. Cela est vrai tant sur le terrain du traditionnel droit à l’image que sur celui, plus neuf, du droit à la dignité que le législateur vient de conforter.

    • Le droit à l’image

      Les multiples décisions rendues en faveur des personnalités de la famille GRIMALDI font parfois affirmer que l’on assiste à une « patrimonialisation » des droits de la personnalité. Le droit à l’image cesserait d’être hors commerce dès lors que les célébrités chercheraient à le monnayer et à en faire une source de revenus. A la vérité il s’agit là d’une question de sémantique. Le droit à l’image ne saurait se « patrimonialiser » car cela est contraire à sa nature (A. Soreau, Droit d’auteur et vie privée, thèse, Nantes, juin 2000). Lorsqu’une célébrité fait commerce de son image le droit à l’image est évacué au profit du droit commun des contrats. La célébrité renonce à se placer sur le terrain des droits de la personnalité, elle réifie son image pour en faire un objet de commerce. Indirectement, cependant, la liberté du chasseur d’images en est affectée puisque le prix à payer pour l’image peut s’avérer dissuasif. C’est ainsi que les journalistes photo se plaignent du prix de 14 000 F qui leur est réclamé pour pouvoir exploiter l’image de la Tour Eiffel éclairée (Ignazi, Problèmes économiques, 25 oct. 2000, p 14).

      Mais il y a plus contraignant encore. Autrefois, beaucoup n’hésitaient pas penser que la photographie de personnes situées dans un lieu public était libre. Dans la célèbre affaire de la Tour de Pise (Paris 24 mars 1965, JCP 1965 ; 14305), la représentation d’un groupe de touristes dans un organe de presse avait été jugée licite, nonobstant l’absence de consentement des intéressés.

      Mais aujourd’hui la tendance est de dire, sous réserve du droit à l’information du public dont il sera question plus loin, que, dès lors qu’une image fait d’une personne son sujet principal, le consentement de celle-ci est requis. C’est ce qui est rapporté dans de multiples décisions citées par Me AMSON (le droit à l’image dans la rue, Légipresse, oct. 2000, p 106 et s.). Il y aurait donc un recul de la liberté par rapport à la jurisprudence passée.

    • Le droit à la dignité

      Ce droit de la personnalité fait aujourd’hui chorus tant chez le législateur qu’en jurisprudence.

      La loi, modifiée, du 30 septembre 1986 relative à la communication audiovisuelle donne compétence au Conseil supérieur de l’audiovisuel de défendre la dignité humaine. A deux reprises, lors du conflits dans l’ex Yougoslavie des admonestations ont été adressées à des chaînes de télévision, une fois pour avoir diffusé les images d’un casque bleu français agonisant après avoir été blessé mortellement par un tireur, l’autre fois pour avoir interviewé, sous l’empire de leurs geôliers, des soldats français prisonniers des Serbes.

      Le législateur a remis le couvert : l’article 92 de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection des victimes et la présomption d’innocence interdit la diffusion de l’image d’une personne mise en cause à l’occasion d’une procédure pénale.

      La jurisprudence n’est pas en reste. En dehors de tout texte elle a condamné la diffusion d’images attentatoires à la dignité des personnes. Une première fois la Cour d’Appel de Paris (28 mai 1996, D 1996, 617 note Edelman), saisie par une association de victimes du sida, a stigmatisé une affiche publicitaire pour Benetton représentant un bras, un fessier et le haut d’un pubis marqués des mots HIV.

      Une autre fois c’est la diffusion par Paris Match de la photo d’une victime, ensanglantée et partiellement dévêtue de l’attentat du RER St Michel, qui a été déclarée illicite (TGI Paris 30 juin 1997, Légipresse 1997, I, 100). Cet exemple prouve que le droit à l’information du public n’est pas une justification toujours admise, même si ce droit permet d’étendre la liberté de capter des images.

La liberté débridée

Si le législateur s’est montré restrictif à la liberté de l’image lorsqu’il s’agit de personnes mises en cause dans une procédure pénale, il a, dans d’autres cas, favorisé l’éclosion de la liberté d’expression (A). Pareillement la jurisprudence a su se montrer extensive lorsque l’image sert l’information du public et que la dignité des personnes n’est pas en cause.

  1. L’effort législatif

    • L’article 13 de la loi Bredin du 13 juillet 1992 autorise une chaîne de télévision, au nom du droit à l’information du public, à diffuser, en dépit de l’exclusivité qui aurait été concédée à une autre chaîne, de brefs extraits, librement choisi, d’une compétition sportive.
      Ce texte ne vient que confirmer la solution et le fondement qu’avait consacrés, en dehors de tout texte applicable à l’époque des faits, la Cour de cassation à propos d’images télévisuelles d’une compétition automobile de formule 1 (Civ. 1ère 6 févr. 1997, D 19997, Som. 85, nos obs.).

    • L’échec à l’exclusivité à été élargi à tous les « évènements majeurs » par la loi du 1er août 2000 réformant la loi de 1986 relative à la communication audiovisuelle.

    • Enfin, par la loi du 1er juillet 1998, le législateur est intervenu pour briser une jurisprudence assise. Je vous indiquais plus haut que la représentation intégrale d’une œuvre couverte par le droit d’auteur ne pouvait se prévaloir du droit de citation, faute de remplir la condition de brièveté exigée par le texte relatif à l’exception de citation. C’est ainsi que la Cour de Cassation interdisait la reproduction des œuvres mises en vente dans les catalogues de vente aux enchères publiques, alors même qu’il s’agissait de favoriser le commerce des œuvres d’art (Aff. Fabris, Ass. plén. 15 nov. 1993, D 1994, 481 note Foyard). Le législateur est intervenu, par la loi du 27 mars 1997, pour valider cette pratique.

    Il serait pourtant erroné de penser que les tribunaux empêchent systématiquement la liberté de l’image de fleurir. A plusieurs reprises ils ont fait preuve d’esprit pionnier.

  2. L’effort jurisprudentiel

    L’arrêt précité du 6 février 1996 est venu confirmer un précédent arrêt qui avait déjà, en dehors de tout texte exprès, affirmé le droit à l’information du public.

    C’est en vertu de ce principe qu’a été jugée licite, alors même que le sujet n’avait pas donné son consentement, la diffusion de la photo d’un témoin, apeuré, de l’attentat du RER St-Michel (TGI Paris 30 juin 1997, Légipresse 1997, I 100). C’est toujours le même fondement qui a rendu licite la photographie d’un policier qui, dans l’exercice de ses fonctions, accompagnait un groupe de personnes placées en garde à vue (Civ 1ère 25 janv. 2000, JCP 2000. 10257, concl. av. gén Sainte Rose).

    Mais le droit à l’information du public ne saurait justifier toutes les images diffusées à l’occasion d’un événement d’actualité.

    D’une part, il est nécessaire que l’image ait pour finalité d’illustrer l’événement, qu’il y ait un lien direct de rattachement (Bigot, Protection des droits de la personnalité et liberté de l’information, D 1998, ch 2345, n° 6 ; voir aussi Ravanas, Liberté d’expression et protection des droits de la personnalité, D. 200 ch 459). En aucune manière l’événement d’actualité ne doit savoir de prétexte pour exploiter une image qui, prise à cette occasion, ne l’illustre pas ; c’est aussi que Me AMSON (préc., p 108) rapporte que la Cour d’appel de Paris a jugé illicite la photographie contrée sur une personnalité qui assistait au grand prix automobile de Monaco : « la manifestation publique n’avait été que l’occasion de surprendre l’image du comédien » (voir également Metz 12 avril 2000, D 2000, 817, note Hoguet-Berg).

    D’autre part, le droit à l’information ne saurait légitimer une atteinte à la vie privée. C’est ainsi que la publication de la photographie de Mylène FARMER à l’enterrement de son frère, a été condamnée Nanterre 14 mars 2000, Légipresse nov 2000.I.41).

    Inévitablement il subsistera des zones grises. Quid du cliché d’un agriculteur publié dans le cadre d’un reportage sur les conditions de vie à la campagne ? La diffusion a été légitimée par le droit à l’information du public, ce qui n’allait pas de soi en l’occurrence (Paris 23 mars 1993, Juris – Data, n° 021374 : rapporté par Me BIGOT, préc.).

    Quoique d’espèce la solution a un potentiel théorique intéressant, car elle signifie qu’il est plus aisé, s’il s’agit d’informer, de capter l’image d’un quidam que celle d’un personnage public. Si cela se vérifiait, on serait à l’opposé de ce qui est parfois enseigné, à savoir que les personnalités peuvent moins faire valoir leur droit à l’image que les autres personnes.

Cet article est la formalisation de l’intervention de l’auteur prononcée à Strasbourg le 1er décembre 2000 à l’occasion du forum conjoint de l’APP (Agence pour la protection des programmes) et du DESS du CEIPI droit du multimédia

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