La justice va-t-elle interdire les numéros surtaxés pour les appels vers les services après-vente ?
Publié le 13/11/2016 par Etienne Wery
Pour l’avocat général, les coûts pour un appel vers un numéro téléphonique de service après-vente ne doivent pas excéder ceux pour un appel standard.
Le problème
Les numéros surtaxés sont, dans certains secteurs, un élément important des sources de revenus.
Par exemple, lorsqu’une chaîne de télévision propose de gagner un voyage d’une valeur de 3000 € et sollicite l’envoi d’un SMS surtaxé pour participer, il suffit de faire le compte : vu ce que rapporte chaque SMS et vu le nombre de personnes susceptibles de l’envoyer, le prix du voyage est très largement couvert par les SMS.
Dans d’autres secteurs, les numéros surtaxés sont moins une source de revenus qu’un filtre de nature à dissuader les gens d’appeler. Bien sûr, la ressource financière qu’ils procurent n’est pas négligeable et tout est bon à prendre, mais ce n’est pas la raison première.
Les centres d’appels des services après-vente entrent généralement dans cette seconde catégorie. Les ressources financières tirées des numéros surtaxés ne couvrent pas les frais de fonctionnement du service. Par contre, l’existence même d’un numéro surtaxé peut être un frein de nature à dissuader le consommateur d’appeler. Parfois, c’est même l’effet recherché.
C’est précisément une affaire de ce type qui a été soumise récemment à la Cour de justice de l’Union européenne, pour vérifier la conformité de cette pratique avec les directives de protection du consommateur. (affaire C-568/15)
Les faits
La société allemande comtech commercialise des appareils électriques et électroniques. Elle affiche sur son site Internet un numéro de téléphone de service après-vente comportant le préfixe 0180, qui est utilisé en Allemagne pour des services d’assistance à un tarif national unique. Le coût d’un appel vers ce numéro spécial (non géographique) excède le montant que le client aurait acquitté pour un appel vers un numéro de ligne fixe (géographique) ou un numéro mobile standard aux tarifs habituels de communication.
Une association allemande de promotion des intérêts commerciaux d’associations et d’entreprises (Zentrale zur Bekämpfung unlauteren Wettbewerbs Frankfurt am Main) a demandé au Landgericht Stuttgart (tribunal régional de Stuttgart, Allemagne) d’ordonner à comtech de cesser cette pratique commerciale qu’elle juge déloyale. Le Landgericht a saisi la Cour de justice pour savoir si la directive relative aux droits des consommateurs s’oppose à l’application d’un tel tarif.
Dans ses conclusions, l’avocat général Maciej Szpunar propose à la Cour de répondre à cette question par l’affirmative.
L’avis de l’avocat général
M. Szpunar rappelle que les États membres doivent, selon la directive, veiller à ce que, lorsqu’un professionnel exploite une ligne de téléphone pour pouvoir être contacté par téléphone au sujet du contrat conclu, le consommateur ne soit pas tenu de payer un prix plus élevé que « le tarif de base ».
Cela signifie, selon l’avocat général, que les coûts facturés au consommateur ne doivent pas être plus élevés que ceux d’un appel standard aux prix habituels du marché. Ainsi, les coûts facturés au consommateur ne peuvent excéder les coûts habituels qui lui auraient été facturés pour un appel vers un numéro de ligne fixe (géographique) ou un numéro mobile standard.
En effet, un prix à payer plus élevé que celui vers une ligne téléphonique habituelle serait, en raison des coûts supplémentaires engendrés, de nature à dissuader les consommateurs de prendre contact avec le professionnel pour des questions relatives, par exemple, à la date de livraison, à la facturation ou à la garantie. Selon l’avocat général, la directive présume de manière irréfragable que le service d’assistance téléphonique est inclus dans le prix déjà payé par le consommateur, de sorte que l’usage d’un numéro surfacturé reviendrait à faire payer au consommateur des coûts supplémentaires pour le même service.
L’avocat général ajoute que la question de savoir si le professionnel reçoit ou non une quote-part de la rémunération acquittée par le consommateur pour l’appel est sans importance pour la réponse qu’il propose.
Commentaires
Le raisonnement suivi par l’avocat général est certes compréhensible dans ses grandes lignes, mais l’application pratique risque d’être moins simple. Si la cour suit son avocat général, ce qu’elle fait habituellement mais pas toujours, il faudra encore travailler pour préciser les contours de l’application pratique de l’arrêt.
Par exemple : à partir de quand doit-on considérer que le consommateur contacte le vendeur à propos du contrat conclu ? Celui qui appelle pendant la période de garantie pour solliciter une intervention couverte par celle-ci, est probablement dans ce cas. Mais qu’en est-il après la période de garantie ? Qu’en est-il de celui qui appelle pour une question liée à l’utilisation d’un appareil qui n’est pas défectueux dont la réponse se trouve dans le manuel d’emploi ou sur le site Web ? Qu’en est-il de celui qui achète un billet d’avion et souhaite a posteriori modifier son voyage ? Ou celui qui achète une place pour un spectacle et appelle ensuite pour ajouter une seconde place pour un accompagnant ?
Autre exemple de difficultés probables : qu’appelle-t-on exactement un appel standard ? C’est en effet le coût de l’appel standard qui doit servir de référence. À l’heure du marché européen unique, des nouveaux moyens de communication, et de la voix sur IP, les plans nationaux de numérotation fondés sur l’approche géographique sont de moins en moins pertinents.
L’arrêt qui sera rendu devra donc être soigneusement analysé, car derrière la question posée, c’est toute la problématique de la communication vendeur-consommateur après la vente qui est posée.
On se rappellera du reste que la cour a déjà rendu un arrêt dans cette matière, exigeant que le prestataire fournisse plusieurs informations, dont son adresse géographique et ses coordonnées, y compris son adresse de courrier électronique, permettant d’entrer en contact rapidement et de communiquer directement et efficacement avec lui (voir l’article disponible en annexe).