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La justice s’invite dans le débat sur la copie privée et les mesures anti-copies.

Publié le par

Ce 10 janvier 2006, le TGI de Paris a rendu une décision de principe relative au problème de la copie privée et des mesures techniques qui l’empêchent. Le tribunal fait interdiction à l’éditeur d’utiliser sur le disque compact de Phil Colins intitulé Testify une mesure technique de protection empêchant la réalisation de copie privée sur…

Ce 10 janvier 2006, le TGI de Paris a rendu une décision de principe relative au problème de la copie privée et des mesures techniques qui l’empêchent. Le tribunal fait interdiction à l’éditeur d’utiliser sur le disque compact de Phil Colins intitulé Testify une mesure technique de protection empêchant la réalisation de copie privée sur tout support et ce, sous astreinte de 150 € par jour de retard passé le délai de 2 mois à compter de la signification du présent jugement.

Historique du dossier

Monsieur R achète à la Fnac un cd de Phil Colins produit par Warner Music France. Il constate qu’il ne peut pas l’utiliser sur son ordinateur portable Mac (iBook).

Il fait constater, de concert avec l’UFC – Que choisir ?, en abrégé UFC, que son cd ne peut pas être lu sur son ordinateur, et que son contenu ne peut pas être enregistré sur le disque dur ni gravé sur un support numérique vierge, alors que ses restrictions ne sont pas mentionnées sur le produit ni sur l’emballage.

L’emballage comporte au recto la mention « copy protected » et au verso, imprimé en caractères de très petites dimensions (dixit le juge), la phrase suivante : « ce cd contient une protection contre la copie numérique. Il peut être lu sur la plupart des lecteurs cd audio, ainsi que sur les lecteurs cd-rom d’ordinateurs via fichiers musicaux compressés inclus dans le cd ».

La décision du tribunal

Au centre des débats se trouvent deux questions : d’une part l’existence d’un défaut affectant le disque, et d’autre part le problème de la copie privée.

  1. Sur le défaut affectant le disque

    Pour les demandeurs, le système anti-copie rend impossible la lecture de ce disque sur le lecteur cd-rom de l’ordinateur du plaignant, et cela constitue un vice caché définit par l’article 1641 du code civil comme un défaut de la chose vendue qui la rend impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminue tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquise, ou n’en aurait donné qu’un moindre prix, si il les avait connu.

    Pour les défenderesses, cette affirmation est fausse : elles invoquent les tests qu’elles ont effectué, ou fait effectuer, qui démontrent que le disque peut être lu sous un système d’exploitation Mac Os 9.1. Pour elles, les difficultés de lecture peuvent avoir pour origine un défaut affectant le disque (telle une rayure, une saleté, une déformation) ou le lecteur, mais pas le système anti-copie.

    Le tribunal retient les éléments suivant :

    • Il constate que le disque n’est pas lisible sur l’ordinateur du plaignant qui tourne sous Mac OS 9.01, alors que ce même système d’exploitation accepte manifestement la lecture d’un autre disque qui ne comporte pas de dispositif anti-copie.

    • L’UFC a réalisé des tests qui démontrent qu’un autre cd de la même œuvre et du même auteur, portant des mentions identiques à celui qui a été acheté, n’a pu être lu sur aucun des 3 ordinateurs Apple utilisés pour le test.

    Le juge concentre ensuite son attention sur les mentions figurant sur le disque acheté, et particulièrement celle-ci : « ce cd contient une protection contre la copie numérique. Il peut être lu sur la plupart des lecteurs cd audio, ainsi que les lecteurs cd-rom d’ordinateurs via fichiers musicaux compressés inclus dans ce cd. »

    Pour le juge, « le consommateur d’attention moyenne prenant connaissance de l’avertissement reproduit ci-dessus tel que libellé peut comprendre que le disque qu’il s’apprête à acheter est lisible sur tous les lecteurs de cd-rom d’ordinateurs »

    Et le tribunal de conclure que le bien vendu est affecté d’un vice caché, et que l’action rédhibitoire doit en conséquence être accueillie.

  2. Sur la copie privée

    Le tribunal commence par rappeler le libellé de l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle : lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire « les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective »

    Le tribunal souligne également l’article L211-3 du même code selon lequel : les bénéficiaires des droits voisins ne peuvent interdire « les reproductions strictement réservées à l’usage privé de la personne qui les réalise et non destinés à une utilisation collective »

    Premier enseignement fondamental : le tribunal estime que ces deux textes n’instaurent pas un droit à la copie privée mais une exception au droit exclusif de l’auteur d’autoriser la reproduction de ces œuvres s’agissant du premier de ces textes, et au droit des bénéficiaires des droits voisins s’agissant du second de ces textes.

    Le tribunal souligne ensuite que cette exception est d’ordre public en ce sens qu’elle s’impose aux auteurs et bénéficiaires de droits voisins, et que le législateur n’a pas voulu distinguer entre les différents supports existants selon qu’ils sont analogiques ou numériques.

    Le juge analyse ensuite le lien entre le CPI et la convention de Berne. Les défenderesses soutenaient en effet que ces deux dispositions devaient être interprétées à la lumière de cette convention qui offre aux Etats la faculté de permettre la reproduction des œuvres dans certains cas spéciaux, pourvu qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

    Le juge évacue le débat. Il estime que le législateur français qui a admis les exceptions prévues par l’article L122-5 et L211-3 du code l’a fait après avoir examiné si ces exceptions correspondaient aux critères fixés par la convention de Berne. Et le tribunal d’estimer qu’il n’a pas à vérifier si les dispositions de la convention de Berne ont été respectées, dès l’instant où le législateur, qui dispose du monopole législatif, l’a fait.

    Par contre, le juge relève très finement qu’au moment où il statue, la France n’a toujours pas transposé en droit interne la directive du 22 mai 2001 sur les droits d’auteurs dans la société de l’information, et qu’il lui appartient donc d’interpréter le code de la propriété intellectuelle d’une manière conforme à cette directive.

    Que dit cette directive ? Elle offre aux états membres de la faculté de prévoir des exceptions au droit de reproduction des titulaires des droits, pour autant que ces exceptions ne sont applicables « que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé, ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes d’un titulaire de droit ».

    C’est ce que l’on appelle le triple test, auquel le tribunal accepte de se plier :

    1. Pour le juge, il est certain que la première condition exigeant un cas spécial est remplie : l’exception prévue par le code est restreinte à la reproduction strictement réservée à l’usage privé du copiste et non destinée à une utilisation collective

    2. S’agissant de la deuxième condition (ne pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé), le tribunal estime que l’industrie musicale ne montre pas en quoi la copie privée destinée à un usage strictement réglementé par la loi nuirait à l’exploitation normale de l’œuvre : pour le juge, il n’est pas démontré que l’exploitation serait affectée par la copie privée, et que l’impossibilité d’effectuer une copie pour son propre usage n’aura pas nécessairement pour conséquence de voir l’acheteur acquérir un second disque de la même œuvre.

    3. Enfin, le juge estime que la troisième condition (ne pas causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire de droit) est également satisfaite, essentiellement parce que la loi du 17 juillet 2001 a instauré une rémunération qui prend la forme d’un prélèvement automatique sur tout support vierge.

    Ayant validé les articles L122-5 et L211-3 du code au regard de la directive européenne du 22 mai 2001, le juge conclut que l’exception de copie privée, même si elle ne représente pas un droit, doit être respectée en ce sens que « si il est exact que les dispositifs de protection contre la copie ne sont pas interdit par la loi, encore faut il que ces dispositifs soient compatibles avec l’exception de copie privée prévue par le droit national ».

    Et le juge d’estimer que l’industrie a commis une faute qui sera adéquatement réparée par des dommages et intérêts qui se montent à 59,50 € (somme demandée par le plaignant).

Plus d’informations ?

En lisant le texte de la décision commentée, disponible sur note site.

En lisant l’analyse de l’arrêt de la cour d’appel de Bruxelles, disponible sur note site.

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