La justice européenne confirme l’abus de position dominante de Microsoft.
Publié le 16/09/2007 par Etienne Wery
Dans une ordonnance ce 17 septembre 2007, le tribunal de première instance des Communautés européennes, a rendu sa décision dans l’affaire Microsoft. La décision est sévère … : les juges ont très largement soutenu la décision du 24 mars 2004 de la Commission européenne, et confirmé ainsi l’abus de position dominante dont s’est rendue coupable Microsoft.
Précisons que le jugement a été rendu par la grande chambre. C’est une procédure réservée aux affaires d’importance dans le but de donner un côté solennel et surtout de conférer à la décision un caractère « décision de principe ». Nous ne pouvons, dans le cadre de cette note rapide, tout passer en revue et renvoyons le lecteur vers la décision complète disponible en annexe. Nous ferons donc un rappel rapide du dossier avant d’analyser quelques éléments fondamentaux de la décision.
Historique du dossier
En décembre 1998, l’entreprise américaine Sun Microsystems s’est plainte du refus de Microsoft de lui communiquer les informations sur les interfaces dont elle avait besoin pour concevoir des produits capables de dialoguer correctement avec Windows, et dès lors être à même d’opposer une concurrence à armes égales sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail.
L’enquête de la Commission a révélé que Sun n’était pas la seule entreprise à laquelle ces informations avaient été refusées et que ces refus de divulguer des informations nécessaires à l’interopérabilité s’inscrivaient dans une stratégie plus large, conçue pour évincer les concurrents du marché.
La Commission constatait que Microsoft pouvait ainsi reléguer au second plan la concurrence sur d’autres caractéristiques, comme la fiabilité, la sécurité ou la vitesse, et être sûre de réussir sur le marché. Une écrasante majorité de clients interrogés par la Commission ont confirmé que l’avantage en termes d’interopérabilité avec Windows que Microsoft assure à ses propres produits en refusant ces informations à ses concurrents orientait leur choix vers les produits pour serveurs de cette entreprise. Les résultats d’enquêtes communiqués par Microsoft ont confirmé l’existence d’un lien de causalité entre l’avantage que l’entreprise se réservait sur le plan de l’interopérabilité et la progression de ses parts de marché.
En 2000, la Commission a, de sa propre initiative, étendu son enquête aux effets des ventes liées du lecteur WMP de Microsoft avec le système d’exploitation pour PC Windows 2000.
Cette partie de l’enquête a débouché sur la conclusion que l’omniprésence dont bénéficiait immédiatement le lecteur WMP du fait de sa vente liée avec le système d’exploitation pour PC Windows réduisait artificiellement les incitations des créateurs de contenus musicaux, cinématographiques et autres sociétés multimédias, ainsi que celles des concepteurs de logiciels et des fournisseurs de contenus, à concevoir des produits pour les lecteurs multimédias concurrents.
La vente liée, par Microsoft, de son lecteur multimédia a par conséquent pour effet de faire obstacle aux concurrents et, dès lors, de réduire le choix offert au consommateur en désavantageant les produits concurrents, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec leur prix ou leur qualité.
La Commission craint que la vente liée, par Microsoft, de son lecteur WMP ne soit un exemple de modèle économique de rentabilité plus général qui, étant donné le quasi-monopole que cette entreprise possède sur les systèmes d’exploitation pour PC, décourage l’innovation et limite le choix offert au consommateur dans les technologies auxquelles il n’est pas exclu que Microsoft puisse s’intéresser et dont elle pourrait lier la vente, à l’avenir, à son système Windows.
La condamnation de Microsoft par la Commission européenne
Le 24 mars 2004, la Commission européenne a adopté une décision par laquelle elle conclut à la violation, par l’entreprise Microsoft Corporation, des règles de concurrence consacrées par le traité CE (article 82), pour avoir abusé de son quasi-monopole sur les systèmes d’exploitation pour PC. La Commission indiquait alors que "Microsoft a abusé de son pouvoir de marché en limitant, de propos délibéré, l’interopérabilité entre les PC Windows et les serveurs de groupe de travail de ses concurrents, et en liant la vente de son lecteur Windows Media (WMP) avec Windows, son système d’exploitation présent sur la quasi-totalité des PC dans le monde. Ce comportement illicite a permis à Microsoft d’acquérir une position dominante sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail, produits logiciels qui sont au cœur des réseaux informatiques d’entreprises, et risque purement et simplement d’éliminer la concurrence sur ce marché. Par ailleurs, le comportement de Microsoft a affaibli, dans une très large mesure, la concurrence sur le marché des lecteurs multimédias.
Pour la Commission, ces abus, qui n’ont pas cessé, constituent un frein à l’innovation et sont préjudiciables au jeu de la concurrence et aux consommateurs, qui ont, en définitive, moins de choix et doivent payer des prix plus élevés. Bruxelles y voit des abus très graves et continus, commis depuis cinq ans et demi, justifiant une amende de 497,2 millions d’euros (NDR : le montant peut paraître important. Il doit être mis en rapport avec le milliard de dollars que Microsoft engrange chaque mois).
Plus important, afin de rétablir les conditions d’une concurrence loyale, la Commission a imposé les mesures correctives suivantes :
Dans le dossier des logiciels serveurs
En matière d’interopérabilité, Microsoft devra, dans un délai de 120 jours, divulguer une documentation complète et précise sur les interfaces de Windows, de manière à assurer une interopérabilité totale entre les serveurs de groupe de travail concurrents et les PC et serveurs sous Windows. Les concepteurs concurrents pourront ainsi mettre au point des produits capables d’opposer une concurrence à armes égales sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail. Les informations ainsi divulguées devront être mises à jour chaque fois que Microsoft lancera sur le marché de nouvelles versions des produits en cause.
Dans la mesure où certaines informations concernées pourraient être couvertes par des droits de propriété intellectuelle valables dans l’Espace économique européen, Microsoft pourrait prétendre à une rémunération, qui doit demeurer raisonnable et non-discriminatoire. La divulgation ne concerne que la documentation sur les interfaces, et non le code source Windows, qui n’est pas nécessaire au développement de produits interopérables.
Dans le dossier de MS Media Player
En ce qui concerne les ventes liées, Microsoft devra, dans un délai de 90 jours, proposer aux équipementiers une version de son système d’exploitation Windows pour PC clients ne comprenant pas le lecteur WMP. Cette mesure corrective, qui met un terme aux ventes liées, ne signifie pas que les consommateurs obtiendront des PC et des systèmes d’exploitation sans lecteur multimédia. Les consommateurs achètent, pour la plupart, un PC à un équipementier qui a déjà groupé, pour leur compte, un système d’exploitation et un lecteur multimédia. L’effet de la mesure corrective ordonnée par la Commission sera que ces ventes groupées seront configurées en fonction des souhaits des consommateurs, et non de choix imposés par Microsoft.
Microsoft conserve le droit d’offrir une version de son système d’exploitation Windows pour PC équipée du lecteur WMP. Elle devra cependant s’abstenir de recourir à tout moyen commercial, technique ou contractuel ayant pour effet de rendre moins intéressante ou moins performante la version non liée. En particulier, elle ne devra pas subordonner les rabais qu’elle accorde aux équipementiers à leur achat de Windows conjointement avec le lecteur WMP.
Pour que la décision soit mise en œuvre de manière efficace et dans les délais prescrits, la Commission désignait alors un mandataire ayant pour mission, entre autres, de vérifier que les divulgations de Microsoft concernant les interfaces sont complètes et précises et que les deux versions de Windows sont équivalentes sous l’angle de leurs performances.
Les critères permettant de contraindre une entreprise en position dominante à accorder une licence, tels que précisés par le juge communautaire, sont-ils réunis en l’espèce ?
Pour les juges, la réponse est oui.
Selon la décision attaquée, « Microsoft a abusé de la position dominante qu’elle détient sur le marché des systèmes d’exploitation pour PC clients en refusant, premièrement, de fournir à Sun et à d’autres entreprises concurrentes les spécifications des protocoles mis en œuvre dans les systèmes d’exploitation Windows pour serveurs de groupe de travail et utilisés par les serveurs sur lesquels sont installés ces systèmes pour fournir aux réseaux de groupe de travail Windows des services de partage de fichiers et d’imprimantes, ainsi que de gestion des utilisateurs et des groupes d’utilisateurs, et, deuxièmement, de permettre à ces différentes entreprises d’utiliser lesdites spécifications afin de développer et de commercialiser des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail ».
Selon la Commission, les informations auxquelles Microsoft refuse l’accès constituent des informations relatives à l’interopérabilité au sens de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO L 122, p. 42).
Microsoft défend la position selon laquelle la notion d’interopérabilité retenue dans la présente affaire par la Commission n’est pas conforme à la notion de « pleine interopérabilité » envisagée par la directive 91/250 et ne correspond pas à la manière dont les entreprises organisent, en pratique, leurs réseaux informatiques.
Elle prétend, notamment, qu’« un concepteur de systèmes d’exploitation pour serveurs obtient une pleine interopérabilité lorsqu’il est possible d’accéder à toutes les fonctionnalités de son programme à partir d’un système d’exploitation Windows pour PC clients ».
Microsoft retient ainsi, pour reprendre les termes de la Commission, une définition « unidirectionnelle » alors que cette dernière se fonde, elle, sur une « relation bidirectionnelle ».
Comment les juges résolvent-ils cela ?
Le TPI part d’un point de départ non litigieux puisqu’il y au moins un sujet sur lequel les deux parties sont d’accord : « l’interopérabilité est une question de degré ».
Pour Microsoft, le degré d’interopérabilité exigé par la Commission en l’espèce est inapproprié en ce qu’il va au-delà du concept de « pleine interopérabilité » envisagé par la directive 91/250. Elle affirme que ce concept – qu’elle qualifie également d’« interopérabilité multivendeurs » – suppose seulement que les systèmes d’exploitation provenant de concepteurs différents soient en mesure de « fonctionner correctement » ensemble.
Pour le tribunal, la réponse est claire : « Force est de constater (…) que la notion d’interopérabilité retenue dans la décision attaquée – qui consiste à considérer l’interopérabilité entre deux produits logiciels comme étant la capacité, pour ceux-ci, d’échanger des informations et d’utiliser mutuellement ces informations, et ce afin de permettre à chacun desdits produits logiciels de fonctionner de toutes les manières prévues – est conforme à celle visée par la directive 91/250 ».
Le tribunal va plus loin, indiquant à demi-mot que Microsoft tente de noyer le poisson : « Il importe de rappeler que ce qui est en cause dans la présente affaire, c’est une décision d’application de l’article 82 CE, à savoir une disposition d’un rang supérieur à celui de la directive 91/250. La question qui se pose en l’espèce n’est pas tant de savoir si la notion d’interopérabilité retenue dans la décision attaquée est conforme à celle prévue par cette directive que de savoir si la Commission a correctement déterminé le degré d’interopérabilité qui devait pouvoir être atteint eu égard aux objectifs de l’article 82 CE ».
En d’autres termes, il y a un lien entre cette question et le problème des droits de propriété intellectuelle. Les juges ne sont pas saisis d’une interprétation de la notion d’interopérabilité (même s’ils donnent leur point de vue, et c’est tant mieux). Ils sont saisis d’un abus de position dominante et des remèdes imposés pour y mettre fin.
Il reste toutefois un dernier point à solutionner car les remèdes doivent malgré tout être équilibrés par rapport aux droits de propriété intellectuelle de Microsoft.
Sans surprise, Microsoft défend la thèse selon laquelle le refus de fournir les informations relatives à l’interopérabilité qui lui est reproché ne saurait constituer un abus de position dominante au sens de l’article 82 CE dès lors que, d’une part, ces informations sont protégées par des droits de propriété intellectuelle – ou constituent des secrets d’affaires – et, d’autre part, les critères jurisprudentiels permettant de contraindre une entreprise en position dominante à accorder une licence à un tiers ne sont pas satisfaits en l’espèce.
Le TPI se livre à un rappel de la jurisprudence européenne pour conclure que :
Le fait, pour une entreprise détenant une position dominante, de refuser d’octroyer à un tiers une licence pour l’utilisation d’un produit couvert par un droit de propriété intellectuelle ne saurait constituer en lui-même un abus de position dominante au sens de l’article 82 CE. Ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles que l’exercice du droit exclusif par le titulaire du droit de propriété intellectuelle peut donner lieu à un tel abus.
Doivent « notamment » (nous soulignons) être considérées comme exceptionnelles les circonstances suivantes :
En premier lieu, le refus porte sur un produit ou un service indispensable pour l’exercice d’une activité donnée sur un marché voisin ;
Application au cas d’espèce :
Les juges estiment que Microsoft n’a pas établi que la Commission avait commis une erreur manifeste en estimant qu’il était nécessaire que les systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail concurrents de Microsoft soient en mesure d’interopérer avec l’architecture de domaine Windows sur un pied d’égalité avec les systèmes d’exploitation Windows pour serveurs de groupe de travail pour pouvoir être commercialisés de manière viable sur le marché.
Il considère aussi que l’absence d’une pareille interopérabilité avec l’architecture de domaine Windows a pour effet de renforcer la position concurrentielle de Microsoft sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail, notamment en ce qu’elle conduit les consommateurs à utiliser son système d’exploitation pour serveurs de groupe de travail de préférence à ceux de ses concurrents alors même que ces derniers systèmes présentent des caractéristiques auxquelles ils attachent une grande importance.
En deuxième lieu, le refus est de nature à exclure toute concurrence effective sur ce marché voisin ;
Application au cas d’espèce :
La décision attaquée identifie trois marchés de produit distincts, regroupant, respectivement, (1) les systèmes d’exploitation pour PC clients, (2) les systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail et (3) les lecteurs multimédias permettant une réception en continu.
C’est le deuxième marché qui pose problème ; il est défini par la décision attaquée de la Commission comme étant des systèmes d’exploitation conçus et commercialisés pour fournir, de manière intégrée, les services d’« infrastructure de base » à un nombre relativement limité de PC clients connectés à un réseau de petite ou de moyenne taille.
Après une analyse à la fois technique, économique, commerciale et juridique, le TPI confirme l’existence et la portée de ce marché.
Microsoft considère que la jurisprudence relative à l’exercice d’un droit de propriété intellectuelle exige de la Commission qu’elle démontre que le refus d’octroyer une licence à un tiers est « de nature à éliminer toute concurrence » ou, en d’autres termes, qu’il existe une « grande probabilité » que ledit refus conduise à un tel résultat. Le TPI ne prend pas de gants pour balayer l’argument : « Le Tribunal considère que le grief formulé par Microsoft est d’ordre purement terminologique et est dénué de toute pertinence. Les expressions « risque d’élimination de la concurrence » et « de nature à éliminer toute concurrence » sont, en effet, indistinctement utilisées par le juge communautaire en vue de refléter la même idée, à savoir celle selon laquelle l’article 82 CE ne s’applique pas uniquement à partir du moment où il n’existe plus, ou presque plus, de concurrence sur le marché. Si la Commission devait être obligée d’attendre que les concurrents soient éliminés du marché, ou qu’une telle élimination soit suffisamment imminente, avant de pouvoir intervenir en vertu de cette disposition, cela irait manifestement à l’encontre de l’objectif de celle-ci qui est de préserver une concurrence non faussée dans le marché commun et, notamment, de protéger la concurrence encore existante sur le marché en cause ».
Au terme d’une longue analyse technique et économique, les juges concluent que le refus de Microsoft a pour conséquence de confiner les produits des concurrents de Microsoft dans des positions marginales, voire de les rendre non rentables. Par ailleurs, « L’existence éventuelle d’une concurrence marginale entre des opérateurs sur le marché ne saurait donc infirmer la thèse de la Commission concernant le risque d’élimination de toute concurrence effective sur ce marché ».
En troisième lieu, le refus fait obstacle à l’apparition d’un produit nouveau pour lequel il existe une demande potentielle des consommateurs.
Application au cas d’espèce :
Premier rappel des juges : Il convient de souligner que la circonstance selon laquelle le comportement reproché empêche l’apparition d’un produit nouveau sur le marché est à prendre en considération dans le contexte de l’article 82, second alinéa, sous b), CE, lequel interdit les pratiques abusives consistant à « limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs ».
Pour être plus clairs encore, les juges en remettent une couche : Il y a lieu de relever que la circonstance relative à l’apparition d’un produit nouveau (NDR : arrêts Magill et IMS Health), ne saurait constituer l’unique paramètre permettant de déterminer si un refus de donner en licence un droit de propriété intellectuelle est susceptible de porter préjudice aux consommateurs au sens de l’article 82, second alinéa, sous b), CE. Ainsi qu’il ressort du libellé de cette disposition, un tel préjudice peut survenir en présence d’une limitation non seulement de la production ou des débouchés, mais aussi du développement technique.
Et les juges de conclure que sur le plan du développement technique, l’analyse de la Commission est correcte, d’autant « qu’il est de jurisprudence constante que l’article 82 CE vise non seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice direct aux consommateurs, mais également celles qui leur causent un préjudice indirect en portant atteinte à une structure de concurrence effective (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 125, et arrêt Irish Sugar/Commission, point 229 supra, point 232). Or, en l’occurrence, Microsoft a porté atteinte à la structure de concurrence effective sur le marché des systèmes d’exploitation pour serveurs de groupe de travail en y acquérant une part de marché importante ».
Il reste que même en répondant « oui » à ces trois questions, il reste un dernier écueil à franchir : la justification objective.
Microsoft prétend en effet que le refus qui lui est reproché était objectivement justifié par les droits de propriété intellectuelle qu’elle détient sur la « technologie » concernée. Elle relève qu’elle a réalisé des investissements significatifs pour concevoir ses protocoles de communication et que le succès commercial rencontré par ses produits en est la récompense légitime. Elle fait également valoir qu’il est généralement admis que le refus d’une entreprise de communiquer à ses concurrents une technologie donnée peut être justifié par le fait qu’elle ne souhaite pas que ceux-ci utilisent ladite technologie pour lui faire concurrence.
Comme point de départ, le Tribunal considère que le seul fait – à le supposer avéré – que les protocoles de communication visés par la décision attaquée, ou leurs spécifications, soient couverts par des droits de propriété intellectuelle ne saurait constituer une justification objective au sens des arrêts Magill et IMS Health. En effet, la thèse ainsi défendue par Microsoft est incompatible avec la raison d’être de l’exception que cette jurisprudence reconnaît en la matière en faveur de la libre concurrence, en ce sens que si la simple détention de droits de propriété intellectuelle pouvait constituer en elle-même une justification objective du refus d’octroyer une licence, l’exception établie par la jurisprudence ne pourrait jamais trouver à s’appliquer. En d’autres termes, un refus de donner en licence un droit de propriété intellectuelle ne pourrait jamais être considéré comme constituant une violation de l’article 82 CE alors même que, dans les arrêts Magill et IMS Health, point 107 supra, la Cour a précisément déclaré le contraire.
Mais inversement, le simple refus, même émanant d’une entreprise en position dominante, d’octroyer une licence à un tiers ne saurait constituer en lui-même un abus de position dominante au sens de l’article 82 CE. Ce n’est que lorsqu’il est entouré de circonstances exceptionnelles telles que celles envisagées jusqu’à présent dans la jurisprudence qu’un tel refus peut être qualifié d’abusif et que, partant, il est permis, dans l’intérêt public du maintien d’une concurrence effective sur le marché, d’empiéter sur le droit exclusif du titulaire du droit de propriété intellectuelle en l’obligeant à octroyer des licences aux tiers qui cherchent à entrer sur ce marché ou à s’y maintenir.
Or, pour les juges, « Il convient de rappeler, à cet égard, qu’il a été établi ci-dessus que de telles circonstances exceptionnelles étaient présentes en l’espèce ».