La justice donne un fameux coup de pouce aux factures électroniques
Publié le 26/06/2012 par Etienne Wery
La déduction de la TVA ne peut être refusée, en principe, pour des raisons d’irrégularités commises par l’émetteur de la facture. C’est indirectement un joli coup de pouce que la justice donne aux factures électroniques, où la sanction des irrégularités commises par l’émetteur est un sujet âprement débattu.
Selon la directive sur la TVA, les entreprises peuvent, en règle générale, déduire le montant de la TVA qu’elles ont déjà payé en amont lors de l’acquisition des biens et des services nécessaires pour leur activité. Pour pouvoir exercer ce droit à déduction, elles doivent détenir une facture dûment établie sur la livraison de ces biens et sur la prestation de ces services.
Dans deux dossiers différents, l’administration hongroise refusait le droit à déduction de la TVA au motif que la facture émise comportait des irrégularités formelles dues à l’émetteur. Or, le droit hongrois exige des assujettis – émetteurs et destinataires de la facture – de prendre toutes les précautions nécessaires pour s’assurer de la régularité des opérations génératrices de la TVA. Pour l’administration, cela justifiait de refuser la déduction. La Cour de justice ne l’entend pas de cette oreille.
La première affaire (C-80/11)
Mahagében kft, une entreprise hongroise, a voulu déduire du montant de la TVA dont elle était redevable la taxe qu’elle avait payée à son fournisseur au titre de la livraison de différentes quantités de grumes d’acacia à l’état brut. Le fournisseur a établi des factures sur la livraison de ces biens et a payé au Trésor la TVA que Mahagében lui avait acquittée. Cette dernière, à son tour, a exercé le droit à déduction.
Toutefois, lors d’un contrôle auprès du fournisseur, l’autorité fiscale hongroise a constaté, notamment, que la quantité de grumes d’acacia dont celui-ci disposait, selon les données comptables, au moment des ventes effectuées à la société Mahagében, n’était pas suffisante pour réaliser les livraisons facturées à cette dernière. Considérant que les factures présentées par la société Mahagében ne reflétaient pas les circonstances réelles de ces livraisons, l’autorité fiscale lui a refusé la déduction de la TVA. De plus, l’autorité fiscale a reproché à Mahagében de ne pas s’être assurée de la qualité de son partenaire commercial et de ne pas avoir vérifié si celui-ci avait exécuté ses obligations légales en matière de TVA.
Le Baranya Megyei Bíróság (tribunal départemental de Baranya, Hongrie), saisi de l’affaire, demande à la Cour de justice si la déduction de la TVA peut être refusée quand les factures, sur la base desquelles la déduction est demandée, sont formellement correctes mais lorsque, selon l’autorité fiscale, la société concernée ne s’est pas assurée du comportement régulier de l’émetteur des factures.
La deuxième affaire (C-142/11)
M. Dávid a réalisé, en vertu d’un contrat d’entreprise et par l’intermédiaire de sous-traitants, différents travaux de construction. Il a souhaité déduire la TVA qu’il avait déjà payée aux sous-traitants mais l’autorité fiscale hongroise lui a refusé la déduction de cette taxe en raison des irrégularités que ces sous-traitants avaient commises.
Le Jász-Nagykun-Szolnok Megyei Bíróság (tribunal départemental de Jász-Nagykun-Szolnok, Hongrie), saisi de ce litige, demande à la Cour si la déduction de la TVA peut être refusée en raison d’irrégularités commises par l’émetteur de la facture lorsqu’il n’est pas établi que le demandeur de la déduction avait connaissance de ces irrégularités.
L’arrêt rendu
Dans son arrêt, la Cour rappelle, tout d’abord, que le droit à déduction prévu par la directive, faisant partie intégrante du mécanisme de la TVA, ne peut, en principe, être limité. La question de savoir si la TVA due sur les transactions antérieures ou ultérieures portant sur les biens et les services concernés a, ou non, été versée au Trésor public est sans influence sur le droit de l’assujetti de déduire la TVA acquittée en amont.
Toutefois, les États membres peuvent refuser le bénéfice du droit à déduction s’il est établi, au vu d’éléments objectifs, que ce droit est invoqué frauduleusement ou abusivement. Tel est le cas notamment lorsque l’assujetti, auquel les biens ou les services servant de base pour fonder le droit à déduction ont été fournis, savait ou aurait dû savoir que cette opération était impliquée dans une fraude commise par le fournisseur ou un autre opérateur en amont. La Cour constate qu’il incombe à l’autorité fiscale de prouver que l’assujetti était ou aurait dû être au courant de l’existence d’une telle fraude.
Ensuite, la Cour examine les obligations de l’assujetti consistant à s’assurer du comportement régulier de son partenaire commercial. La Cour relève que, lorsqu’il existe des indices permettant de soupçonner l’existence d’irrégularités ou de fraude, un opérateur pourrait se voir obligé de prendre des renseignements sur un autre opérateur afin de s’assurer de la fiabilité de celui-ci.
Toutefois, l’autorité fiscale ne peut pas exiger de manière générale que l’assujetti souhaitant exercer son droit à déduction de la TVA vérifie l’absence d’irrégularités ou de fraude au niveau des opérateurs en amont.
En effet, c’est aux autorités fiscales qu’il incombe d’effectuer les contrôles nécessaires auprès des assujettis pour détecter les irrégularités et les fraudes à la TVA, et de sanctionner l’assujetti qui les a commises. Par conséquent, ces autorités ne peuvent pas transférer leurs propres tâches de contrôle sur les assujettis et leur refuser l’exercice du droit à déduction pour manquement d’exécution de ces tâches.
Enfin, dans les présentes affaires, la Cour constate que, selon les informations émanant des juridictions nationales, les opérations invoquées pour fonder le droit à déduction ont été effectivement réalisées et que les factures correspondantes comportent toutes les informations exigées par la directive, de sorte que les conditions matérielles et formelles requises pour la naissance et l’exercice du droit à déduction sont réunies. En outre, la Cour relève que les décisions de renvoi ne font pas état de ce que les destinataires des factures se seraient livrés eux-mêmes à des manipulations telles que la présentation de fausses déclarations ou l’établissement de factures irrégulières.
Dans ces circonstances, la Cour répond que la directive s’oppose à la pratique de l’autorité fiscale hongroise qui consiste à refuser à un assujetti la déduction de la TVA acquittée pour les irrégularités commises par l’émetteur de la facture sur la base de laquelle la déduction est demandée, et sans preuve que l’assujetti avait ou aurait dû avoir connaissance d’une fraude commise en amont dans la chaîne de prestations. De même, la directive s’oppose à une pratique nationale en vertu de laquelle l’autorité fiscale refuse le droit à déduction au motif que l’assujetti, ne disposant pas d’indices permettant de soupçonner l’existence d’irrégularités ou de fraude, ne s’est pas assuré que son partenaire commercial respectait ses obligations légales, notamment, en matière de TVA, ou au motif que l’assujetti ne dispose pas, outre la facture, d’autres documents de nature à démontrer la régularité du comportement de son partenaire commercial.
Un fameux coup de pouce à la facture électronique
Bien que rendu dans une affaire étrangère à la facture électronique, cet arrêt donne un fameux coup de pouce à la dématérialisation fiscale.
De toutes les fonctions remplies par la facture, seule les fonctions comptable et fiscale posent problème lorsqu’on parle de dématérialisation. Cette difficulté résulte essentiellement des deux éléments suivants :
- chaque contribuable établit lui-même les éléments qui servent ensuite à calculer son impôt. Le contrôle, s’il a lieu, intervient a posterori. Le droit fiscal est, d’une certaine manière, un système fondé sur la confiance. Or, comme le rappelait un chanteur célèbre désormais résident Suisse, « personne n’aime payer l’État », de sorte qu’il est tentant de maquiller la réalité. La réticence de l’administration face à l’électronique provient de la croyance selon laquelle ces maquillages sont facilités dans le monde électronique, ou lors du basculement du mode papier en mode électronique ;
- chaque assujetti exerce deux métiers : le sien, et … celui de percepteur décentralisé pour le compte de l’administration de la TVA. Lorsqu’une facture de vente est émise et de la TVA ajoutée puis perçue, l’entreprise devient un rouage de la collecte de l’impôt indirect. Ici aussi, l’État est obligé de faire confiance aux assujettis mais craint de perdre le contrôle si le papier est abandonné au profit de l’électronique.
La dématérialisation fiscale était donc mal vue par certains Etats, au point que deux directives ont été nécessaires pour l’autoriser de façon générale dans l’UE (et une troisième est en cours de transposition).
Cette harmonisation a notamment permis de :
- Harmoniser le contenu de la facture : seules les mentions prévues dans la directive doivent y figurer obligatoirement ; les Etats ne peuvent pas imposer d’autres mentions ;
- Poser pour principe que les factures peuvent être transmises sur un support papier ou par voie électronique
Il y a trois conditions imposées à la facture électronique : (1) sous réserve de l’acceptation du destinataire, (2) à condition de garantir l’authenticité de leur origine et (3) à condition de garantir l’intégrité de leur contenu.
Tout l’enjeu consiste à savoir quand on satisfait aux deux conditions de garantie de l’authenticité de leur origine, et d’intégrité du contenu.
Les deux premières directives donnent bien quelques pistes, qui sont du reste largement bouleversées par la troisième en cours de transposition, mais on est loin d’un régime clair, net et précis. Et le système est d’autant plus nébuleux quand la facturation implique des assujettis de pays différents, car ce que l’un accepte n’est pas nécessairement toléré par l’autre …
C’est donc l’émetteur de la facture qui se retrouve confronté à une situation délicate, avec un objectif à atteindre mais peu d’informations fiables pour y arriver.
On se doute bien que le destinataire de la facture, lui, ne donnera son consentement que s’il est certain que tout est parfaitement en ordre. Or, ce consentement est une condition sine qua non.
Bref, sables mouvants …
Une situation d’autant plus inconfortable que l’enjeu est important : la plupart des administrations TVA considèrent que si la facture électronique n’est pas, à leurs yeux, impeccable, c’est ni plus ni moins le droit à déduction de la TVA qui est refusé.
C’est là tout l’intérêt de cette décision européenne, qui met un coup d’arrêt à cette pratique de sanctions. Dorénavant, même s’il y a un problème formel, le destinataire de la facture pourra rappeler que « La déduction de la TVA ne peut être refusée, en principe, pour des raisons d’irrégularités commises par l’émetteur de la facture. Toutefois, cette déduction doit être refusée si l’assujetti savait ou aurait dû savoir que l’opération invoquée pour fonder le droit à déduction était impliquée dans une fraude. »