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La guerre est déclarée entre les sociétés d’auteur et les FAI

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L’Europe entière va regarder ce qui se passera dans le procès qui vient de s’ouvrir à Bruxelles : la plus grande société d’auteur belge vient d’assigner les plus grands FAI du pays, en leur réclamant 25 millions d’euros car les abonnements serviraient à exploiter les ouvres protégées. Avec quelle chance de succès ?

L’envie …

Depuis plusieurs années, les sociétés de gestion collective de droits d’auteur regardent avec envie les fournisseurs d’accès qu’ils accusent de tous les maux, à commencer par le fait d’être responsables de la dégringolade de leurs revenus.

Pour les sociétés d’auteurs, la démonstration est claire : les clients des FAI téléchargent de plus en plus massivement et illégalement, parce qu’on met entre leurs mains des abonnements qui permettent de le faire ; en conséquence, les FAI s’enrichissent pendant que l’industrie musicale perd de l’argent.

Pour preuve, voici un extrait révélateur du communiqué de presse de la Sabam, principale société de gestion collective des droits d’auteur en Belgique : « durant toutes ces années, il y a eu un transfert de valeur du marché des supports physiques vers le marché des fournisseurs d’accès. Ceux-ci ont en effet commercialisé des abonnements à internet, à grand renfort de publicités vantant les possibilités de télécharger des films et de la musique de façon illimitée et à très haut débit.

Les fournisseurs d’accès à internet n’ont quant à eux, jamais payé de droits d’auteur pour cette activité. Ils se retranchent derrière leur statut d’intermédiaires, non responsables de l’information qui transite par leur réseau. Pourtant, les profits qu’ils retirent de la vente de leurs abonnements aux internautes sont constitués pour partie de l’utilisation intensive du répertoire protégé. »

L’action…

En 2011 déjà, la Sabam avait tenté le coup : sans autre base légale que ce qui existe déjà, elle avait décidé unilatéralement de facturer 1 € par mois par abonné à tous les FAI. 30.000.000 € au total. Tout ceci au terme d’un communiqué de presse laconique : « La SABAM va demander aux différents fournisseurs d’accès à internet (FAI) de souscrire à un plan tarifaire pour la mise à disposition d’œuvres protégées sur internet via leurs réseaux. Les FAI permettent en effet aux internautes de télécharger et d’échanger des œuvres protégées par le droit d’auteur. En cela, ils opèrent un acte de ‘communication au public’ de ces œuvres soumises aux droits d’auteurs. Mandatée par les auteurs pour défendre leurs droits, la SABAM s’est penchée sur cette situation. On constate aujourd’hui une explosion des contenus protégés disponibles sur internet, une hausse constante et importante des revenus des FAI et, en parallèle, un appauvrissement croissant des auteurs. Face à cette évolution, il a paru important à la SABAM de protéger, dans l’univers numérique, les droits des milliers d’auteurs qu’elle a pour mission de représenter. »

Inutile de préciser que ces factures n’ont pas été payées par les FAI.

Le débat est donc devenu judiciaire.

Le droit …

Le droit permet-il ainsi aux sociétés d’auteur de percevoir une dîme sur les abonnements des FAI ?

L’action judiciaire vient d’être lancée et nous n’avons pas copie de l’assignation. Il faut donc se garder de conclusions hâtives. Il n’empêche que certaines choses sont plus ou moins claires.

La législation sur la responsabilité des FAI est assez éloignée du sujet. On ne comprend donc pas la Sabam quand elle explique « Les fournisseurs d’accès à internet n’ont quant à eux, jamais payé de droits d’auteur pour cette activité. Ils se retranchent derrière leur statut d’intermédiaires, non responsables de l’information qui transite par leur réseau. » Il n’est pas question ici de ‘responsabilité’ car un tel débat nécessite de démontrer, dans un cas précis (œuvre précise, utilisateur précis, etc.) qu’une contrefaçon a été commise et que c’est le FAI qui en est responsable. Bonne chance vu la directive en la matière …

La question n’est donc pas la responsabilité mais le droit d’auteur d’une part, et le financement d’autre part.

Sur le plan du financement, la Sabam ou un Etat sensible à la position de la Sabam pourrait-il lever une taxe pour financier la création ?

Ce fut le cas en France où le gouvernement avait levé une taxe via la loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision. La taxe portait sur le chiffre d’affaire des opérateurs de télécommunications (SFR, Orange, Free Bouygues Télécom) au titre de leur autorisation à fournir des services de télécommunication  y compris l’internet et la téléphonie mobile) et était destinée à  compenser le manque à gagner dû à la suppression des revenus publicitaires de la télévision publique.

En septembre 2009, une enquête était entamée par la Commission, afin de s’assurer que ce système de financement des organismes publics nationaux de radiodiffusion France télévision était compatible avec les règles européennes en matière d’aide d’Etat.

Quelques mois plus tard, le 28 janvier 2010, la Commission ouvrait une procédure d’infraction contre la France à l’encontre de cette taxe en estimant qu’elle constituait en réalité « une charge administrative incompatible avec le droit européen ». Selon les règles européennes (en particulier l’article 12 de la directive relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques 2002/20/CE), « les taxes imposées aux opérateurs de télécommunications ne peuvent couvrir que certains coûts administratifs et réglementaires (essentiellement liés aux régimes d’autorisation et aux travaux de réglementation) et doivent être objectives, transparentes et proportionnées. En outre, les parties intéressées doivent aussi être consultées de manière appropriée avant toute modification des taxes imposées aux opérateurs de télécommunication ».

Des aménagements sont certes possible mais on le voit, le dossier est suivi de près par Bruxelles et il est miné et hautement politique comme le démontre l’intervention à l’époque de la Commissaire Reding : « non seulement cette nouvelle taxation ne semble pas compatible avec les règles européennes, mais elle vient frapper un secteur qui est aujourd’hui l’un des principaux moteurs de la croissance économique. De plus, le risque est grand que la taxe soit répercutée vers les clients, alors que nous cherchons précisément à faire baisser la facture des consommateurs, à travers la réduction des prix de terminaison d’appel ou la diminution des coûts des appels téléphoniques mobiles, des transferts de données ou des envoi de textos en itinérance. »

A supposer qu’une telle taxe puisse voir le jour, encore faudra-t-il aussi qu’elle ne frappe que les utilisations d’œuvres protégées comme l’a montré le débat sur l’assise de la redevance pour la copie privée.

Pas simple donc, sauf si l’ensemble de l’UE change son fusil d’épaule et agit de concert mais cela n’est pas à l’agenda semble-t-il  …

Sur le plan du droit d’auteur, la Sabam peut-il revendiquer un paiement ?

Il faut pour cela démontrer qu’une œuvre protégée a fait l’objet d’un acte réservé à l’auteur. En l’espèce, c’est la « communication au public » qui semble être avancée, d’où la question suivante : les FAI font-ils une « communication au public » ?

Cette notion a été au centre de plusieurs débats judiciaires d’envergure en Europe.

La Sabam (oui oui, la même qui assigne les FAI) a remporté dans l’affaire Airfield une victoire devant la justice européenne sur cette notion de « communication au public par satellite ». Certes, le dossier est quelque peu différent car on parlait dans cette affaire de communication au public par satellite, mais forte de sa victoire, la Sabam se dit probablement que c’est maintenant ou jamais et que vu l’enlisement du dossier, elle n’a somme toute pas grand-chose à perdre.

Puis, il y a eu l’affaire CatchTV. Une fois encore, la CJUE a précisé ce qu’est la communication au public. (https://www.droit-technologie.org/actuality-1581/rediffuser-sur-l-internet-une-emission-de-tv-peut-entrainer-une-violat.html) : « elle couvre une retransmission des œuvres incluses dans une radiodiffusion télévisuelle terrestre, effectuée par un organisme autre que le radiodiffuseur original, au moyen d’un flux Internet mis à la disposition de ses abonnés qui peuvent recevoir cette retransmission en se connectant au serveur de celui-ci, bien que ces abonnés se trouvent dans la zone de réception de ladite radiodiffusion télévisuelle terrestre et puissent recevoir légalement celle-ci sur un récepteur de télévision. »

Actuellement, la CJUE est saisie d’une affaire dans laquelle il lui est demandé si un lien HTML peut être une communication au public.

Mais malgré cela, dans le dossier actuel des FAI, il y a quelques énormes différences, à commencer par le fait qu’il n’y a pas de valeur ajoutée pour le FAI selon qu’une oeuvre protégée est téléchargée ou non par l’abonné. Il y a une dissociation entre le service que le FAI propose (l’accès) et l’exploitation éventuelle d’une oeuvre par son client. Toute différente est la situation de celui qui capte puis rediffuse par setallite un faisceau TV, ou qui met des TV à disposition de ses clients dans les chambres de son hôtel.

Si la communication au public devait aller jusqu’à viser l’opération par laquelle un service étranger à l’oeuvre est considéré malgré tout comme une communication au public de cette oeuvre, parce que l’abonnement peut aussi permettre à l’abonné de télécharger une oeuvre, ce serait une réécriture d’un pan entier de la propriété intellectuelle.

Toute proportion gardée, c’est comme si l’on mettait sur le même pied quelqu’un qui créerait un service de navette pour amener des gens à un concert, et un  loueur de voiture dont le but est de louer un véhicule sans savoir si celui-ci servira à aller à un concert ou ailleurs. Pour l’exploitant de la navette, le concert est une valeur ajoutée tandis que pour le loueur, l’opération est dissociée. A cela, la Sabam rétorque que le loueur fait de la publicité affirmant qu’on peut aller plus confortablement au concert en louant une voiture chez lui. Certes cela peut arriver (des FAI font des publicités qui vantent la vitesse de téléchargement), mais il n’est pas certain que cela suffise.

Ce qui est certain, c’est que  vu l’harmonisation du cadre juridique européen, le procès bruxellois sera observé de près partout en Europe (de là à dire qu’il finira à la CJUE …) car ce que dira le juge belge sera valable, mutatis mutandis, partout en Europe…

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