La France va taxer la copie privée numérique
Publié le 04/01/2001 par Etienne Wery
On le sait, le droit d’auteur interdit la reproduction d’une oeuvre sans le consentement de l’auteur. Elle contient néanmoins une exception de taille lorsque la reproduction a lieu à titre privée. En fait, l’autorisation de copie privée n’en est pas vraiment une : en effet, une taxe grève les supports qui servent à la copie,…
On le sait, le droit d’auteur interdit la reproduction d’une oeuvre sans le consentement de l’auteur. Elle contient néanmoins une exception de taille lorsque la reproduction a lieu à titre privée. En fait, l’autorisation de copie privée n’en est pas vraiment une : en effet, une taxe grève les supports qui servent à la copie, et cette taxe rémunère les auteurs.
L’exception de copie privée
Pour ce qui concerne les droit d’auteurs, l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle pose que :
Lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire :
Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ;
- Les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, à l’exception des copies des oeuvres d’art destinées à être utilisées pour des fins identiques à celles pour lesquelles l’oeuvre originale a été créée et des copies d’un logiciel autres que la copie de sauvegarde établie dans les conditions prévues au II de l’article L. 122-6-1 ainsi que des copies ou des reproductions d’une base de données électronique.
Pour ce qui concerne les droit voisins, l’article L. 211-3 du Code de la propriété intellectuelle pose que :
Les bénéficiaires des droits ouverts au présent titre ne peuvent interdire :
Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ;
- Les reproductions strictement réservées à l’usage privé de la personne qui les réalise et non destinées à une utilisation collective.
La rémunération de la copie privée
Conformément à l’article L 311-1 du Code de la propriété intellectuelle, Les auteurs et les artistes-interprètes des oeuvres fixées sur phonogrammes ou vidéogrammes, ainsi que les producteurs de ces phonogrammes ou vidéogrammes, ont droit à une rémunération au titre de la reproduction desdites oeuvres, réalisées dans les conditions mentionnées au 2° de l’article 122-5 et au 2° de l’article L. 211-3.
La répartition est fixée par l’article L. 311-7, qui énonce que La rémunération pour copie privée des phonogrammes bénéficie, pour moitié, aux auteurs au sens du code, pour un quart, aux artistes-interprètes et, pour un quart, aux producteurs. La rémunération pour copie privée des vidéogrammes bénéficie à parts égales aux auteurs au sens du présent code, aux artistes-interprètes et aux producteurs.
Enfin, l’article L 311-5 organise la procédure de fixation de la rémunération :
Les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de celle-ci sont déterminés par une commission présidée par un représentant de l’Etat et composée, en outre, pour moitié, de personnes désignées par les organisations représentant les bénéficiaires du droit à rémunération, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les fabricants ou importateurs des supports mentionnés au premier alinéa du précédent article et, pour un quart, de personnes désignées par les organisations représentant les consommateurs.
Les organisations appelées à désigner les membres de la commission ainsi que le nombre de personnes que chacune est appelée à désigner sont déterminées par arrêté du ministre chargé de la culture.
La commission se détermine à la majorité de ses membres présents. En cas de partage des voix, le président a voix prépondérante.
Les délibérations de la commission sont exécutoires si, dans un délai d’un mois, son président n’a pas demandé une seconde délibération.
Les décisions de la commission sont publiées au Journal officiel de la République française.
La mise en oeuvre pratique de la copie privée
Jusqu’ici, tout à l’air simple (quoique …).
Là où le problème se complique vraiment, c’est que dans l’univers numérique, le support qui sert à la copie privée ne sert pas toujours (pas souvent disent certains) qu’à ça.
S’il est clair qu’un magnétoscope sert majoritairement à « jouer » des cassettes qui sont le plus souvent des oeuvres protégées, il est moins évident d’affirmer qu’un CD enregistrable ne sert qu’à copier des oeuvres protégées. Il sert aussi à stocker des données, faire des backup, etc. Le même problème s’applique pour tous les supports numériques : un disque dur peut contenir des centaines de fichiers MP3 protégés, mais aussi le travail personnel de son propriétaire et des millions de documents non protégés.
Faut-il alors taxer le support numérique en sachant que seuls certains d’entre eux serviront en réalité comme support pour une copie privée ? Si oui, comment organiser la taxe pour préserver les drotis des auteurs d’une part, et ceux de l’utilisateur d’autre part ? Telles sont les questions auxquelles devait répondre la Commission Brun-Buisson, du nom du magistrat à la Cour des comptes qui la préside, créée conformément à l’article L. 311-5 prérappelé.
La Commission, qui s’est réunie tous les 15 jours depuis le mois d’avril 2000, a rendu ce 21 décembre son avis définitif, qui a été transmis à la ministre de la Culture pour décision finale.
Pour la Commission, les CD, mini-discs et DVD vierges doivent être taxés : 3,40 francs seraient prélevés sur un CD audio ou un mini-disc vierge de 74 minutes et 16,50 francs pour un DVD de deux heures.
Les adversaires de cette décision crient au scandale : soit on veut vraiment rémunérer la copie privée et il faut alors une taxe d’un montant nettement supérieur mais en étant sûr qu’elle ne frappe que les supports utilisés à cette fin, soit on ne sait pas faire la différence et on ne peut prendre le risque de grever de manière aussi importante (jusqu’à 50% du prix de vente dans certains cas) des supports qui ne servent aucunement à effectuer une copie privée.
La ministre doit décider dans les prochains jours et la taxe devrait en vigueur dès lemois de février 2001.
Et en Belgique ?
Comme souvent, tout y est plus compliqué. Les actes autorisés dans la sphère privée varient selon le type d’oeuvre : une oeuvre littéraire et artistique n’est pas soumise à la même exception qu’une oeuvre audiovisuelle, ou une oeuvre plastique …
En Belgique aussi la copie privée est rémunérée par le biais d’une taxe prélevée lors de la vente du support. Là aussi les supports numériques posent problème mais aucune décision n’a été prise.
Les vendeurs belges se frottent les mains : suite à la taxe, les CD vierges vont devenir nettement plus chers en France qu’en Belgique, et les acheteurs vont se tourner vers ce marché tout proche géographiquement. Nous n’étonnerons personne en regrettant une fois de plus un manque d’harmonistation européenne. La prochaine directive sur le droit d’auteur dans la société de l’information pouvait régler le problème … pour des motifs politiques elle ne l’a pas fait. Dommage pour la cohérence européenne.