La France invente la taxe « Google images ». Pas certain qu’elle en a le droit …
Publié le 11/09/2016 par Etienne Wery , Antoine Berdeaux
Ça s’appelle redevance et c’est pour la bonne cause (le droit d’auteur), mais il n’empêche : la France vient d’inventer la taxe sur les moteurs de recherche d’images. Lassé de voir ces opérateurs (souvent étrangers) gagner de l’argent en indexant les images des autres, le législateur français a décidé d’imposer une taxe gérée via un système de gestion collective.
Un transfert de richesse
Le point de départ est un constat : « un transfert massif de valeur s’est opéré depuis quinze ans en Europe », des ayant-droits vers les moteurs de recherche d’images. Ceux-ci, en permettant l’accès à des images sans nécessiter de se rendre sur le site web de leur auteur, génèrent des revenus au détriment des artistes qui se retrouvent spoliés du trafic que leurs œuvres génèrent, et donc des recettes publicitaires. (Jean-Noël Tronc, Directeur Général de la Sacem, interview accordée à Les Echos le 21/01/2013)
Tel est le constat dressé par les autorités françaises.
Le gouvernement a souhaité modifier les choses. On le verra, il s’est fait rattraper et dépasser par le parlement.
Une nouvelle loi
La loi n° 2016-925 du 8 juillet 2016 est venue trancher ce débat récurrent sur le partage de la valeur des œuvres graphiques entre les industries culturelles et les moteurs de recherche d’images en insérant un chapitre « Dispositions applicables à la recherche et au référencement des œuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques » au sein du Code de la propriété intellectuelle (« CPI »).
La loi crée une nouvelle redevance dans le but de rééquilibrer le partage de la valeur des œuvres. Plus simplement dit : on prend aux moteurs qui gagnent trop d’argent, pour le rendre aux auteurs.
Et comme il sera difficile de mettre tout cela en place on met entre les auteurs et les moteurs de recherche, des sociétés de perception et de redistribution des droits (« SPRD »), qui seront les interlocuteurs obligatoires des uns et des autres. Une gestion collective obligatoire.
Qui est concerné par cette nouvelle loi ?
Les « services automatisés de référencement d’images » qu’on entend comme « tout service de communication au public en ligne dans le cadre duquel sont reproduites et mises à la disposition du public, à des fins d’indexation et de référencement, des œuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques collectées de manière automatisée à partir de services de communication au public en ligne » seront désormais soumis à cette loi. (L136-1 du Code de propriété intellectuelle)
Si vous n’aimez pas les textes trop longs, disons simplement que la loi vise les moteurs de recherche d’images.
Quelles sont les œuvres qui donnent lieu à redevance ?
La définition large d’« œuvres plastiques, graphiques ou photographiques » englobe de nombreux formats d’oeuvres (photos, logos ou infographies) et suscite plusieurs questions.
D’une part, bon nombre de ces œuvres sont créées et publiées par des personnes non professionnelles qui ne sont pas affiliées à une SPRD.
D’autre part, bien que cela n’ait pas encore été tranché en droit, la question de la rémunération des emoji, des mèmes, des présentations (powerpoint, …) et de toutes les œuvres propres à Internet, reste ouverte. Celles-ci pouvant potentiellement être protégées par le droit d’auteur, comment rémunérer leurs auteurs qui, dans la très grande majorité des cas, sont anonymes ou n’avaient pas au départ en tête l’idée d’être rémunérés et ne sont pas organisés en conséquence ?
Tous les moteurs de recherche ?
Bien que l’objectif, à peine dissimulé, de cette loi, soit de soutirer à Google et Bing une partie des revenus générés par leur service « Images » pour rémunérer des auteurs, on peut s’interroger sur la situation des acteurs de taille plus modeste comme Duckduckgo ou Qwant.
Sur le plan des principes, ces plus petits moteurs sont aussi soumis à la loi.
Toujours sur le plan des principes, ces plus petits moteurs indexent le même contenu que les plus gros, c’est-à-dire toutes les œuvres disponibles sur l’Internet.
Il sera intéressant de voir comment la redevance sera calculée. C’est le Conseil d’Etat qui doit, par un décret publié dans les 5 prochains mois, déterminer les conditions de cette redevance. Il faudra en particulier mesurer l’impact du calcul de la redevance sur la situation concurrentielle des petits moteurs de recherche par rapport aux géants que sont Google ou Bing. Paradoxalement, si la redevance pénalise les nouveaux entrants, la mesure pourrait aboutir à favoriser la position des moteurs actuellement en position de force. A l’inverse, si la redevance frappe trop directement le chiffre d’affaires global, on percevra trop facilement la démarche « anti-gros moteurs » de la loi.
La mise en gestion collective des images publiées sur Internet
Le nouvel article L.136-2 du CPI édicte que « la publication d’une œuvre d’art plastique, graphique ou photographique à partir d’un service de communication au public en ligne » emporte le « droit [pour les SPRD] de reproduire et de représenter cette œuvre dans le cadre de services automatisés de référencement d’images ».
Ces SPRD seront alors en charge « d’autoriser la reproduction et la représentation des œuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques dans le cadre de ces services automatisés de référencement » et sont seules habilitées pour « conclure toute convention avec les exploitants de ces services automatisés de référencement d’images […] et de percevoir les rémunérations correspondantes ». (L136-2 II du Code de la propriété intellectuelle)
En retour, les moteurs de recherche sont désormais protégés contre toute poursuite judiciaire initiée par les ayant-droits pour avoir diffusé leurs œuvres sans leur consentement s’ils payent leur redevance à une SPRD.
Il en découle mécaniquement une perte de contrôle de l’auteur individuel, puisque c’est un système collectif qui est mis en place.
La gestion collective imposée
Les SPRD (sociétés de perception et de redistribution des droits) deviennent les interlocuteurs uniques des moteurs de recherche.
Ce choix est discutable pour plusieurs raisons.
Beaucoup des œuvres visées par cette loi sont anonymes.
De plus, des œuvres sous licence libre, notamment sous la licence « Creative Common NC », ne peuvent faire l’objet d’un usage commercial. Les SPRD vont pourtant toucher une rémunération pour l’usage qui sera fait de ces œuvres alors même que cela va à l’encontre de la volonté de l’auteur, constituant une violation de son droit moral sur son œuvre.
Enfin, il faut que l’auteur soit affilié à la SPRD qui a perçu la redevance de la part du moteur de recherche s’il veut récupérer l’argent qui lui revient de droit. Or, beaucoup d’auteur ne souhaitent tout simplement pas adhérer à un système collectiviste.
Selon certains, la loi accorde des avantages disproportionnés aux SPRD et aux photographes et graphistes professionnels affiliés, qui se partageront la majorité, si pas l’intégralité, de la somme pourtant calculée sur l’ensemble des œuvres présentes sur Internet.
Enfin, il y a la question des auteurs étrangers et de façon générale, de l’impact de la production étrangère dans le calcul de la redevance. On imagine bien que la France ne peut pas, toute seule dans son coin, créer une redevance frappant les œuvres étrangères. Car à ce petit jeu-là, les autres pays pourraient faire la même chose et les moteurs de recherche se retrouveraient à devoir payer plusieurs fois la même chose. Il faut donc une coordination. Coordination pas simple puisque très souvent l’origine du contenu et/ou de l’auteur n’est pas claire.
Un recours ?
Pour l’anecdote, c’est le parlement qui a décidé, relativement tard dans le processus législatif, d’ajouter la couche « gestion collective ». Le gouvernement a en quelque sort été dépassé par ses propres troupes.
Cette initiative législative pourrait valoir à la France une poursuite.
Il y a d’une part l’aspect politique. La France ne s’en cache pas réellement : elle est allergique à la jurisprudence de la cour de justice au sujet de la communication au public des œuvres, notamment les arrêts rendus au sujet des liens hypertextes. Pour contourner l’obstacle, la loi française insiste sur le « format vignette » des photos, « hors de tout contexte des sites d’origine ». C’est donc le fait de pouvoir disposer de la photo complète et de pouvoir l’utiliser sans avoir à se rendre sur le site de l’auteur qui semble justifier la nouvelle redevance. (Rapport n°588 de M. J.P LELEUX et Mme F. FERAT, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, déposé le 11 mai 2016).
Il y a d’autre part l’aspect juridique. L’article 3 de la directive « droit d’auteur dans la société de l’information » encadre assez précisément ce que les Etats peuvent faire ou non dans le cadre du droit de communication au public. Il n’est pas du tout certain que l’initiative française, en particulier la gestion collective, passe la rampe.
Alors, mesure utile ou nouvelle usine à gaz ? À chacun de juger. À moins que ce soit la cour de justice qui tranche sur recours intenté par la Commission.