La directive de notification : anguille sous roche ?
Publié le 19/02/2003 par Christoph De Preter
Le praticien peut avoir un intérêt réel à vérifier si une législation nationale particulière, ayant trait à des normes techniques ou des services de la société de l’information, a été correctement notifiée auprès des services compétents de la Commission européenne. En cas de non-notification, l’on ne pourra en effet invoquer la législation concernée devant le…
Le praticien peut avoir un intérêt réel à vérifier si une législation nationale particulière, ayant trait à des normes techniques ou des services de la société de l’information, a été correctement notifiée auprès des services compétents de la Commission européenne. En cas de non-notification, l’on ne pourra en effet invoquer la législation concernée devant le juge national.
La directive de notification
Au niveau européen, on est depuis longtemps conscient que des différences dans les réglementations techniques d’application dans les Etats membres sont susceptibles d’entraver la libre circulation des marchandises. A cet effet, une directive dite ‘de notification’ prévoit depuis 1983 qu’un Etat membre doit informer la Commission européenne et les autres Etats membres de tout projet de règle technique. Après notification par l’Etat membre concerné commence alors une période de ‘standstill’, pendant laquelle la Commission et les autres Etats membres peuvent adresser des observations à l’Etat membre qui a fait part d’un tel projet. Dans la mesure du possible, l’Etat membre concerné devra tenir compte de ces observations lors de la mise au point ultérieure de la règle technique. Pendant le ‘standstill’, l’adoption du projet doit impérativement être reportée.
Le champ d’application de cette directive d’information a été modifié à plusieurs reprises, et a été fixé pour la dernière fois en 1998 (Dir. 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques, J.O. 21 juillet 1998, L204/37, modifiée par la Dir. 98/48/CE, J.O. 5 août 1998, L217/18). Alors qu’à l’origine, la directive ne concernait que les règles techniques, elle a actuellement également trait aux règles relatives aux services de la société de l’information (c’est à dire des services prestés normalement contre rémunération, à distance par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.
L’arrêt Securitel
En répondant à une question préjudicielle du Tribunal de commerce de Liège, la Cour européenne de justice a jugé dans l’affaire Securitel (C.J.C.E. 30 avril 1996, C-194/94, Rec. 1996, I-2201) que le manque de notification d’une certaine règle auprès de la Commission a pour effet que celle-ci ne sera pas applicable. Bien que cet arrêt n’a certainement pas résolu toutes les questions juridiques entourant le problème du manque de notification, Securitel représente néanmoins la clef de voûte en ce qui concerne l’application directe de la directive (voy. Y. Montangie, « De Europese notificatierichtlijn: de recente wijziging(en) en het vraagstuk van de sanctionering », T.B.P. 1999, 247).
La situation en Belgique
L’Institut belge de Normalisation ainsi que le Ministère des Affaires Economiques font du bon travail en ce qui concerne la notification à la Commission européenne des différents projets de règles techniques et de règles relatives aux services de la société de l’information. Pourtant, certains projets, n’ayant à prime abord pas trait à de pareilles règles, restent parfois inaperçus.
Ainsi, l’arrêt Securitel concernait la Loi belge du 10 avril 1990 sur les entreprises de gardiennage (M.B. 29 mai 1990). D’après l’art. 4 de la Loi, nul ne peut exploiter une entreprise de gardiennage s’il n’est pas agréé préalablement par le Ministre des Affaires Intérieures. Un arrêté royal spécifiant les conditions d’agréation n’avait toutefois pas été notifié auprès de la Commission européenne. La réglementation ne pouvait dès lors être invoquée envers la société belge non-agréée CIA Security. Dans l’arrêt Bic, la Cour européenne a décidé que l’obligation reprise dans la réglementation belge sur les « écotaxes », consistant à apposer un marquage sur les emballages ou produits soumis à l’écotaxe (comme les illustres rasoirs Bic), constituait une règle technique et, dès lors, aurait dû être notifiée (C.J.C.E. 20 mars 1997, C-13/96, Rec. 1997, I-1753).
Récemment, la Commission européenne a mené une enquête sur la Loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale (M.B. 19 avril 2002) (voy. à cet égard notre actualité du 14 août 2002). Cette loi accordait un monopole à la Loterie Nationale concernant l’organisation de loteries, paris et jeux de hasard à l’aide d’instruments de la société de l’information (art. 7). La Commission, d’avis que la Loi concernée était une règle relative aux services de la société de l’information, a demandé des explications au gouvernement belge (Question parlementaire de M. Leterme au Ministre Daems, 15 octobre 2002, à consulter sur le site de la Chambre). Le gouvernement belge s’est ainsi vu forcé de modifier la Loi sur la Loterie Nationale par l’art. 460 de la Loi-programme du 24 décembre 2002 (M.B. 31 décembre 2002). La modification intervenue permet aux sociétés organisant des paris sportifs sur Internet de continuer leurs activités en Belgique, activité auparavant interdite par la Loi du 19 avril 2002.
Une deuxième chance pour le législateur
Quand la Commission européenne est d’avis qu’une certaine législation aurait dû lui être communiqué, elle en informera l’Etat membre concerné, et lui demandera de présenter un nouveau projet auprès de la Commission. Au cas où la Commission serait d’accord avec le contenu de la règle non-notifié, l’Etat membre pourra se contenter de reprendre littéralement le texte initial. Dans un article additionnel, l’Etat membre devra stipuler que le nouveau texte, notifié à la Commission, remplace le texte antérieur. En 2001, le gouvernement belge a remarqué qu’il avait omis de notifier un arrêté royal du 27 juin 2001 établissant un règlement technique pour la gestion du réseau de transport de l’électricité et l’accès à celui-ci (M.B. 5 juli 2001). Un nouveau projet, cette fois-ci bel et bien notifié (notification n° 390), remplaçait et abrogeait l’ancien arrêté royal. Il va de soi que l’administration donne aussi peu de publicité que possible à cet état des choses. Bien que la solution adoptée semble élégante à prime abord, on peut se demander si elle résout vraiment tous les problèmes. Qu’en est-il par exemple du passé? Est-ce que le nouveau projet notifié peut avoir un effet rétroactif, ou y aura-t-il par contre un « vide » juridique pour la période précédant le nouveau projet? Cette question n’a pas encore été tranchée en jurisprudence.
Conclusion
Il paraît que le praticien peut, dans certains dossiers, avoir un intérêt réel à vérifier si une législation nationale ayant trait à des standards techniques ou concernant des nouvelles technologies a été dûment notifiée. Le cas échéant, l’on pourra invoquer que la législation nationale n’est pas d’application, ou profiter de la notification d’un nouveau projet à la Commission afin d’insérer des amendements. L’on peut d’ailleurs très facilement contrôler si une législation particulière a été notifiée : une liste actuelle est à la disposition de l’internaute sur le site web de la Commission. De même, le site offre la possibilité d’informer la Commission d’éventuelles infractions sur la directive (site web du TRIS – Technical Regulations Information System).