La Directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, transposée en droit belge
Publié le 17/06/2007 par Paul Van den Bulck, Marie de Bellefroid
C’est avec quelques mois de retard que la Belgique a adopté, les 9 et 10 mai derniers, les lois transposant en droit belge les dispositions de la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle. Pour rappel, l’objectif principal de cette directive était de réaliser une harmonisation au niveau européen, des moyens permettant de faire respecter les droits de propriété intellectuelle.
Rappelons tout d’abord que ce nouvel instrument au service des droits de propriété intellectuelle a ceci d’original qu’il adopte, pour la première fois, une perspective horizontale et non plus verticale. En effet, contrairement aux précédents textes européens en la matière, la directive 2004/48 s’applique aux atteintes portées à tout titre de droit de propriété intellectuelle tel que protégé par les législations européenne et nationales.
C’est dire l’ampleur du travail qui attendait le législateur belge afin de transposer cette directive dans l’ordre juridique belge. La transposition, en effet, nécessitait non seulement une modification des différentes lois relatives aux droits de propriété intellectuelle (loi sur les brevets d’invention, loi sur les droits d’auteur et droits voisins, etc…), mais elle nécessitait également la modification d’une série de règles de procédure judiciaire ainsi que des changements au niveau de la loi belge sur les pratiques de commerce.
Ressortent aujourd’hui de ce travail de longue haleine, deux lois respectivement publiées au moniteur belge les 9 et 10 mai 2007: la première, relative aux aspects judiciaires de la protection des droits de propriété intellectuelle, l’autre relative aux aspects civils de la protection des droits de propriété intellectuelle. Ces deux lois introduisent une série de nouveautés dans le cadre de la protection des droits de propriété intellectuelle. Plus précisément, leur adoption devait répondre à trois objectifs principaux, à savoir :
– Transposer en droit belge les dispositions de la Directive 2004/48 ;
– Instaurer une plus grande centralisation des tribunaux compétents en matière de litiges relatifs à la propriété intellectuelle ;
– Supprimer l’interdiction de cumuler l’action en cessation en matière commerciale avec l’action relative aux atteintes en matière de propriété intellectuelle.
I. LA TRANSPOSITION EN DROIT BELGE DE LA DIRECTIVE 2004/48
La transposition de la directive 2004/48 en droit belge apporte principalement les changements suivants :
– Informations concernant l’origine et les réseaux de biens ou services contrefaisants :
Conformément à l’article 8 de la directive 2004/48, la loi relative aux aspects civils de la protection des droits de propriété intellectuelle offre la possibilité au juge saisi d’une procédure en violation d’un droit de propriété intellectuelle, d’imposer à l’auteur de la violation ou à toute personne trouvée en possession des biens contrefaisants, qu’il lui fournisse toutes les informations dont il disposerait concernant l’origine et les réseaux de distribution des biens ou services contrefaisants.
– Règles relatives aux mesures correctrices :
L’article 10 de la directive 2004/48 impose aux Etats membres de veiller à ce que les juridictions compétentes puissent ordonner des mesures relativement au matériel ayant servi à la contrefaçon, et aux marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle.
Le législateur belge a donc transposé cette disposition de la directive en instaurant dans chaque législation relative à un droit de propriété intellectuelle, la possibilité pour le juge, d’imposer, à la demande de la partie habilitée à agir en contrefaçon, les mesures suivantes :
– le rappel des circuits commerciaux des biens contrefaisants ou des matériaux ayant principalement servi à la contrefaçon ;
– leur mise à l’écart définitive des circuits commerciaux ;
– la destruction des biens contrefaisants ou des matériaux ayant principalement servi à la contrefaçon.
– Règles relatives aux dommages et intérêts et à la réparation du dommage :
La directive prévoit une série de règles relatives à l’évaluation des dommages et intérêts. Cependant, au regard du droit belge, elle n’instaure pas réellement de nouveautés. En effet, la nouvelle loi rappelle dans un premier temps le principe de la réparation intégrale du dommage. Par ailleurs, elle autorise explicitement le tribunal compétent à choisir entre l’évaluation du dommage réel ou l’allocation d’une somme forfaitaire. Cette solution était déjà largement consacrée par la jurisprudence antérieure.
Au surplus, le législateur belge a également profité de la réforme pour coordonner les différentes dispositions concernant la délivrance des biens contrefaisants, la cession du bénéfice réalisé à la suite de la contrefaçon ou encore la confiscation civile.
Auparavant, certaines législations spécifiques, comme la loi belge sur les brevets d’invention, prévoyaient déjà de telles mesures, en réparation de l’atteinte causée à un droit de propriété intellectuelle.
Dorénavant, ces mesures sont coordonnées pour l’ensemble des droits de propriété intellectuelle et sont donc introduites dans chacune des législations spécifiques.
– Présomption de titularité des droits :
La loi belge sur le droit d’auteur prévoyait déjà une présomption de titularité en faveur de la personne dont le nom apparaissait sur l’œuvre en cause. Désormais, la loi du 10 mai 2007 relative aux aspects civils de la protection des droits de PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE étend le bénéfice de cette présomption également aux bénéficiaires de droits voisins du droit d’auteur. (v. articles 9 à 12 de la loi du 10 mai 2007)
La loi du 10 mai 2007 contient les adaptations nécessaires pour transposer la directive 2004/48 au niveau du droit judiciaire belge. Les principaux changements apportés de ce point de vue concernent la procédure de saisie-description et la procédure en référé :
– Modification des règles applicables en matière de saisie-contrefaçon :
La loi du 10 mai 2007 relative aux aspects judiciaires de la protection des droits de propriété intellectuelle introduit dans le Code Judiciaire, un nouveau chapitre XIX bis intitulé « Procédures en matière de droits intellectuels ». S’y trouve désormais régulée, la procédure de saisie –description, qui était auparavant visée par les articles 1481 et suivants du Code Judiciaire. De cette façon, la matière est extirpée de la partie du code judiciaire régissant les saisies conservatoires, et est désormais régie au titre des « procédures particulières ».
– La procédure de saisie-description est par ailleurs modifiée sur plusieurs points :
Un premier point concerne une double extension de la procédure à toutes les personnes qui sont habilitées, en vertu de la loi organisant un droit de propriété intellectuelle, à demander en justice la cessation de ce droit.
Auparavant, en effet, seuls les titulaires de droit étaient habilités à demander une procédure de saisie-description. Désormais, toute personne habilitée à agir en contrefaçon peut mettre en route cette procédure.
Par ailleurs, auparavant également, la procédure de saisie-description n’était ouverte qu’aux titulaires de certains droits de propriété intellectuelle, dont les titulaires de droits d’auteurs ou les détenteurs de brevets (à l’exclusion, notamment, des titulaires de marques). Sur ce point, cependant, la pratique ne suivait pas la règle légale, et ce, principalement depuis que la cour d’arbitrage, dans un arrêt du 24 mars 2004 avait considéré que la règle légale était discriminatoire.
Désormais, la loi prévoit expressément que la procédure de saisie-description est ouverte à toutes les personnes qui, au terme d’une loi relative à un droit de propriété intellectuelle, sont habilitées à agir en contrefaçon.
Un deuxième point concerne les juridictions compétentes pour connaître des demandes en matière de saisie-description. Si, auparavant, cette compétence revenait au Juge des saisies, ce sont désormais les présidents des tribunaux de commerce et des tribunaux de première instance qui auront à connaître des requêtes en matière de saisie-description. Cette modification est justifiée par le fait que la saisie-description s’écarte des autres types de saisie et n’a pas réellement de rapport avec les autres matières habituellement traitées par le Juge des saisies.
Une série de modifications ont également été introduire, dans la procédure de saisie-description, afin de l’étendre aux marques, appellations d’origine, indications géographiques et les dessins et modèles.
Enfin, et de manière générale, les mesures déjà existantes en droit belge subsistent et sont dorénavant plus élaborées. Quelques petits changements ou précisions sont à noter. Entre autres, au niveau des mesures de saisie stricto sensu, pouvant être ordonnée accessoirement aux mesures de description, le nouvel article 1369bis/1 §4 prévoit que le juge peut décider, avant de procéder à ces mesures, d’entendre la partie visée par la mesure. Il en informe bien entendu au préalable le requérant, qui pourra décider de renoncer ou de maintenir les mesures de saisie qu’il a demandées. Il est possible, à l’avance, d’entrevoir les problèmes que pourra poser cette nouveauté, relativement à « l’effet de surprise » que devrait comporter toute mesure de saisie…
II. LA CENTRALISATION DU CONTENTIEUX DES DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
La nouvelle réforme comporte une série de mesures visant à assurer une plus grande centralisation des tribunaux compétents en matière de propriété intellectuelle. Il s’agit notamment de limiter le nombre de juridictions en vue de favoriser une plus grande spécialisation des magistrats en la matière et une plus grande cohérence du système.
Cette tendance à la centralisation s’inscrit dans la lignée d’une tendance internationale qui favorise une plus grande spécialisation des juridictions compétentes pour le contentieux des droits de propriété intellectuelle.
En Belgique, cette volonté de centralisation se traduit de la façon suivante :
Désormais, seuls les tribunaux établis au siège d’une cour d’appel seront compétents pour connaître des litiges en matière de droits intellectuels, à l’exclusion des marques communautaires et des dessins et modèles communautaires, qui restent, comme auparavant, de la compétence exclusive du tribunal de commerce de Bruxelles (ou de son président). Par ailleurs, sont également exclus de cette centralisation des litiges, les dénominations commerciales et les noms commerciaux.
Il faut noter, cependant, une exception qui n’est pas négligeable, au niveau de la compétence des Juges de Paix. En effet, malgré les nouvelles règles expliquées ci-dessus, les Juges de Paix restent compétents pour tous les litiges n’excédant pas la somme de 1.860 EURO, en ce compris les litiges en matière de propriété intellectuelle. Les recours formés contre les décisions rendues par le Juge de Paix sont, eux, par contre, à nouveau centralisés, et seront déférés au tribunal de première instance (établi au siège d’une cour d’appel) ou au tribunal de commerce en fonction de leurs compétences respectives.
III. LA SUPPRESSION DE L’INTERDICTION DE CUMULER L’ACTION EN CESSATION AVEC L’ACTION RELATIVE AUX ATTEINTES PORTÉES AUX DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
L’article 96 de la loi sur les pratiques de commerce (LPCC) introduit une action en cessation portant sur les actes de concurrence déloyale. Or, jusqu’à présent, aucune action en cessation fondée sur l’article 96 de la LPCC ne pouvait être intentée en matière d’actes de contrefaçon.
La possibilité d’intenter une action en cessation n’était en réalité ouverte qu’aux seuls titulaires de droits d’auteur, de droits voisins et aux producteurs de bases de données, pour lesquels l’article 87 de la loi sur le droit d’auteur (LDA) prévoyait cette possibilité.
Bien que la jurisprudence et la doctrine aient utilisé de multiples tours de passe-passe afin de contourner cette lacune, le principe légal restait celui de l’interdiction du cumul des actions en contrefaçon et en concurrence déloyale. Entre autre, la Cour d’Arbitrage, dans un arrêt du 9 janvier 2002, s’était prononcée sur la question en matière de marques et avait considéré que l’article 96 de la LPCC créait une discrimination en ce qu’il permettait une action en cessation pour certaines atteintes à la marque, et pas pour d’autres.
La nouvelle loi du 10 mai 2007 relative aux aspects judiciaires de la protection des droits de PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE permet désormais au président du tribunal de commerce, sur base de l’article 96 de la LPCC, de constater l’existence et d’ordonner la cessation de toute atteinte à un droit de propriété intellectuelle, à l’exception du droit d’auteur, des droits voisins et du droit des producteurs de bases de données.
L’exception prévue concernant les droits d’auteur, droits voisins et droits des producteurs de bases de données, s’explique, très logiquement, par le fait qu’une action en cessation selon une procédure comme en référé, est déjà prévue pour ces types de droits, dans les lois spéciales les concernant.
A ce propos, d’ailleurs, notons que l’article 87 de la LDA a subi lui aussi une refonte, au point de vu des juridictions compétentes pour connaître de l’action en cessation spécifique qu’il prévoit. Sera en effet désormais compétent pour connaître de l’action en cessation en matière de droit d’auteur et droits voisins, soit le tribunal de première instance, soit le tribunal de commerce, selon les matières qui sont respectivement de leur compétence.