La Cour Suprême prend la défense de la pédophilie « virtuelle » : une crise politique en vue ?
Publié le 16/04/2002 par Etienne Wery
Alors que le monde entier se mobilise contre l’exploitation sexuelle des enfants, y compris dans la pornographie en ligne, la Cour Suprême américaine a rendu ce 16 avril 2002 un arrêt qui casse deux dispositions centrales de la loi américaine sur la répression de la pédophilie (Child Pornography Prevention Act of 1996 (CPPA)). La loi…
Alors que le monde entier se mobilise contre l’exploitation sexuelle des enfants, y compris dans la pornographie en ligne, la Cour Suprême américaine a rendu ce 16 avril 2002 un arrêt qui casse deux dispositions centrales de la loi américaine sur la répression de la pédophilie (Child Pornography Prevention Act of 1996 (CPPA)).
La loi attaquée et les arguments en présence
Cette loi crée plusieurs incriminations :
- La pédophilie « en chair et en os », c’est-à-dire l’utilisation d’enfants dans la production pornographique (18 U.S.C. 2256(8)(A) : federal prohibition on child pornography to include pornographic images made using actual children);
- La pédohilie « virtuelle », c’est-à-dire le fait de créer l’impression que les acteurs sont des enfants alors que ce n’est pas le cas, par exemple de jeunes adultes, des adultes maquillés, ou des images créées par ordinateur (18 U.S.C. 2256(8)(B) : any visual depiction, including any photograph, film, video, picture, or computer or computer-generated image or picture that is, or appears to be, of a minor engaging in sexually explicit conduct. La Cour explique que la ratio legis de cette incrimination vise à « bans a range of sexually explicit images, sometimes called virtual child pornography, that appear to depict minors but were produced by means other than using real children, such as through the use of youthful-looking adults or computer-imaging technology »;
Pour reprendre un vieux slogan publicitaire, c’est une pornographie qui a le goût des enfants, l’aspect des enfants, mais qui n’utilise pas des enfants.
- La diffusion ou la promotion de cette pédohilie « virtuelle » (18 U.S.C. 2256(8)(D) : any sexually explicit image that is advertised, promoted, presented, described, or distributed in such a manner that conveys the impression it depicts a minor engaging in sexually explicit conduct);
C’est essentiellement la pédophilie virtuelle qui était au centre des débats. Selon les plaignants (l’industrie pornographique et une association de défense des libertés civiques), les deux dernières incriminations (1) violent le premier amendement de la Constitution américaine garantissant la liberté d’expression, (2) sont rédigées en termes vagues, et (3) sont disproportionnées par rapport aux intérêts qu’elles lèsent.
L’arrêt de la Cour Suprême
La District Court, saisie en 1996, avait donné son feu vert au gouvernement. Le juge d’appel avait renversé la vapeur. La Cour Suprême vient d’abonder dans ce sens.
En droit américain, la pornographie est licite : elle ne peut être interdite que si elle « obscène » (Miller v. California, 413 U.S. 15).
La pédophilie est par contre interdite, sans même devoir se demander si elle est obscène ou non, car l’intérêt supérieur de l’enfant prime (New York v. Ferber, 458 U.S. 747, 758). Ceux qui font la promotion de la pédophilie sont aussi susceptibles de poursuites (id., 761).
Mais il reste à s’entendre sur ce qu’on appelle la pédophilie.
Jusqu’ici, l’interdiction frappait l’utilisation de mineurs.
C’est là que la loi de 1996 a innové en créant la pédophilie dite virtuelle.
Pour la Cour Suprême, cette disposition enfreint de manière disproportionnée le premier amendement : l’attirance pour des adultes mis en scène de manière à les rajeunir n’est pas illicite, tout comme les images de synthèse, fussent-elles à caractère pédophile. Ayant annulé la loi, la Cour ne se prononce pas sur le grief de formulation trop vague.
Et en Europe ?
S’inspirant directement du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies, la Convention du Conseil de l’Europe sur la cybercriminalité contient un article consacré aux infractions se rapportant à la pornographie enfantine. La Convention demande aux États d’interdire les comportements suivants :
— offrir ou rendre disponible de la pornographie enfantine par le biais d’un système informatique ;
— diffuser ou transmettre de la pornographie enfantine par le biais d’un système informatique ;
— produire de la pornographie enfantine en vue de la diffuser par le biais d’un système informatique ;
— posséder de la pornographie enfantine dans un système informatique ou sur un support de stockage informatique.
Par pornographie enfantine, la Convention vise « toute matière pornographique représentant de manière visuelle : un mineur se livrant à un comportement sexuellement explicite ; une personne qui apparaît comme un mineur se livrant à un comportement sexuellement explicite ; des images réalistes représentant un mineur se livrant à un comportement sexuellement explicite ».
La situation européenne est aussi caractérisée par le fait que la simple détention de pédohilie est aussi incriminée.
On le voit, le fossé se creuse chaque jour un peu plus entre l’Europe et les Etats-Unis lorsqu’il s’agit d’appréhender la liberté d’expression.
Il faut dire que l’arrêt s’inscrit dans une polémique actuelle très virulente liée au phénomène des « lolitas ». Cette pornographie new look met en scène, dans des situations sexuellement explicites, de jeunes adultes rajeunis qui paraissent ainsi être de grands adolescents, mais où la frontière entre les deux est parfois ténue.
Après avoir vu les Etats-Unis s’associer de très près aux travaux du Conseil de l’Europe, les défenseurs des intérêts des enfants crient au scandale. Pour eux, l’importance du sujet et la mauvaise volonté des Etats-Unis valent bien une crise politique. D’ici là, l’arrêt de la Cour Suprême marque une étape importante ; le gouvernement américian n’a pas encore réagit.
Plus d’infos
En consultant l’arrêt de la Cour Suprême, en ligne sur notre site.