La cour suprême américaine signe l’arrêt de mort de deux réseaux peer-to-peer
Publié le 28/06/2005 par Etienne Wery
Ce lundi 27 juin, la cour suprême américaine a rendu sa décision dans l’affaire dite « Grokster & Morpheus », du nom des deux réseaux peer-to-peer poursuivis par la célèbre MGM (Metro-Goldwyn-Meyer) pour infraction au droit d’auteur. Fait assez marquant : la décision US a été rendue à l’unanimité des juges. Désavouant les juges du…
Ce lundi 27 juin, la cour suprême américaine a rendu sa décision dans l’affaire dite « Grokster & Morpheus », du nom des deux réseaux peer-to-peer poursuivis par la célèbre MGM (Metro-Goldwyn-Meyer) pour infraction au droit d’auteur. Fait assez marquant : la décision US a été rendue à l’unanimité des juges.
Désavouant les juges du fond qui avaient largement donné raison aux réseaux p2p, la Cour crucifie Grokster & Morpheus … et probablement la plupart des réseaux p2p :
We hold that one who distributes a device with the object of promoting its use to infringe copyright, as shown by clear expression or other affirmative steps taken to foster infringement, is liable for the resulting acts of infringement by third parties.
Déduire de cet arrêt que tous les résaux p2p sont condamnés serait aller vite en besogne. Tout comme il serait hâtif d’en déduire que les intermédiaires sont dans le même sac. En effet, même si baucoup de réseaux p2p actuels suivent la même logique que Grokster et Morpheus, la Cour prend néanmoins soin de baser sa décision sur les faits de l’espèce, montrant ainsi qu’un cas n’est pas l’autre.
Les faits soumis à la cour
La question soumise à la cour peut se résumer en une seule phrase : quand est-ce que le distributeur d’un produit mixte (un produit qui permet d’accomplir des actes licites mais aussi des actes illicites) est-il responsable des actes illicites commis par un tiers avec ledit produit ?
Le débat n’est pas neuf. Il a par exemple donné lieu à un célèbrissime arrêt Sony dans les années ’80, plusieurs titulaires de droit reprochant à Sony d’avoir conçu le « bon vieux » vidéo avec lequel les personnes peuvent enregistrer ou copier des films.
Le problème est de trouver un équilibre entre la protection des droits d’une part, et la liberté d’innover d’autre part. La cour suprême résume le litige comme suit :
The question is under what circumstances the distributor of a product capable of both lawful and unlawful use is liable for acts of copyright infringement by third parties using the product.
(…)
The tension between the competing values of supporting creativity through copyright protection and promoting technological innovation by limiting infringement liability is the subject of this case.
L’arrêt de la cour suprême
Pour la cour, les deux réseaux en cause savaient pertinement bien que leur logiciel était d’abord utilisé pour pirater des œuvres, et ils ont même encouragé cette pratique.
Cette affirmation contient en elle-même une première limite à la portée de l’arrêt, puisque tous les réseaux p2p ne sont pas visés. Il appartient logiquement aux plaignants de démontrer la connaissance de l’infraction et son encourament (voire la passivité coupable) :
Respondents are not merely passive recipients of information about infringement. The record is replete with evidence that when they began to distribute their free software, each of them clearly voiced the objective that recipients use the software to download copyrighted works and took active steps to encourage infringement.
(…)
There is no evidence that either respondent made an effort to filter copyrighted material from users. downloads or otherwise to impede the haring of copyrighted files.
Ensuite, la cour fait un rappel très détaillé de la jurisprudence Sony, et souligne deux éléments fondamentaux :
- dans l’affaire Sony, la Cour s’était posé la question de l’utilisation principale d’un vidéo, et avait conclu qu’il s’agissait en l’occurrence de permettre le « time-shifting », c’est-à-dire l’enregistrement afin de visionner ultérieurement à un moment choisi ;
- l’arrêt Sony ne signifie pas que dès qu’un objet est mixte dans son utilisation ( il permet d’accomplir des actes licites mais aussi des actes illicites), le distributeur est exonéré ; il « permet » de l’exonérer en fonction de chaque cas d’espèce, ce qui ets bien différent :
Nothing in Sony requires courts to ignore evidence of intent to promote infringement if such evidence exists. It was never meant to foreclose rules of fault-based liability derived from the common law (464 U. S., at 439). Where evidence goes beyond a product.s characteristics or the knowledge that it may be put to infringing uses, and shows statements or actions directed to promoting infringement, Sony’s staple-article rule will not preclude liability. At common law a copyright or patent defendant who “not only expected but invoked [infringing use] by advertisement” was liable for infringement.
(…)
Evidence of active steps taken to encourage direct infringement, such as advertising an infringing use or instructing how to engage in an infringing use, shows an affirmative intent that the product be used to infringe, and overcomes the law’s reluctance to find liability when a defendant merely sells a commercial product
suitable for some lawful use.
Enfin, la Cour fait le tour des deux réseaux opérés par Morpheus et Grokster, pour conclure que l’intention de stimuler la puirateir est évidente. Elle se base sur trois éléments déterminants :
- En se présentant comme une alternative de feu-Napster, les deux réseaux ont clairement affiché leur volonté d’exploiter le marché du téléchargement illicte
(each of the respondents showed itself to be aiming to satisfy a known source of demand for copyright infringement, the market comprising former Napster users. Respondents. efforts to supply services to former Napster users indicate a principal, if not exclusive, intent to bring about infringement.)
- L’absence totale d’effort pour limiter les possibilités d’usage illicite confirme le premier point.
(neither respondent attempted to develop filtering tools or other mechanisms to diminish the infringing activity using their software. While the Ninth Circuit treated that failure as irrelevant because respondents
lacked an independent duty to monitor their users’ activity, this evidence underscores their intentional facilitation of their users’ infringement.) - Enfin, la cour est convaincue que les deux points précédents constituent le business model des deux réseaux, ce qui ici aussi démontre leur intention frauduleuse.
(respondents make money by selling advertising space, then by directing ads to the screens of computers employing their software. The more their software is used, the more ads are sent out and the greater the advertising revenue. Since the extent of the software’s use determines the gain to the distributors, the commercial sense of their enterprise turns on high-volume use, which the record shows is infringing. This evidence alone would not justify an inference of unlawful intent, but its import is clear in the entire re-
cord’s context.)
Les réseaux p2p sont-ils des boucs émissaires ?
Un autre argument souvent invoqué par les défenseurs des réseaux p2p a été balayé par la Cour. Il consiste à reprocher aux titulaires de droit de s’attaquer à l’opérateur d’un réseau au lieu de s’opposer aux millions de clients qui utilisent le réseau pour des choses illicites. C’est l’argument dit « du bouc émissaire ».
La cour n’y va pas par quatre chemins pour évacuer ce reproche. Elle le fait au terme d’un raisonnement de bon sens : il n’y a pas moyen de faire autrement.
Petit bémol toutefois : alors que les clients sont directement responsable, les opérateurs de réseaux p2p ne sont qu’indirectement responsables, ce qui entraîne des conditions différentes quant à l’incrimination et quant à la peine éventuelle.
Pour la Cour :
Despite offsetting considerations, the argument for imposing indirect liability here is powerful, given the number of infringing downloads that occur daily using respondents’ software.
When a widely shared product is used to commit infringement, it may be impossible to enforce rights in the protected work effectively against all direct infringers, so that the only practical alternative is to go against the devices distributor for secondary liability on a theory of contributory or vicarious infringement.
One infringes contributorily by intentionally inducing or encouraging direct infringement, and infringes vicariously by profiting from direct infringement while declining to exercise the right to stop or limit it. Although the Copyright Act does not expressly render anyone liable for [another’s] infringement, (Sony, 464 U. S., at 434), these secondary liability doctrines emerged from common law principles and are well established in the law (e.g., id., at 486).
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