La cour de Justice va-t-elle resserrer la vis de la protection des bases de données ? Les sites de paris sportifs sont dans la tempête
Publié le 12/07/2004 par Etienne Wery
La cour de Justice est actuellement saisie de plusieurs affaires similaires portant sur le droit de la protection des bases de données. En l’espèce, ce sont plus particulièrement les sites de paris en ligne qui sont sur la sellette en raison de la manière dont ils approvisionnent leur base de données. C’est, pour la plus…
La cour de Justice est actuellement saisie de plusieurs affaires similaires portant sur le droit de la protection des bases de données. En l’espèce, ce sont plus particulièrement les sites de paris en ligne qui sont sur la sellette en raison de la manière dont ils approvisionnent leur base de données. C’est, pour la plus haute juridiction européenne, l’occasion de rappeller les contours d’un corpus juridique souvent appliqué et pourtant méconnu. L’avis de l’avocat général rendu récemment ne leur est guère favorable. Pour cette dernière, « Il y a réutilisation de données par des organisateurs de paris même dans le cas où ces derniers ne se procurent pas les données directement à partir de la base de données mais auprès d’autres sources indépendantes telles que médias imprimés ou Internet ».
La directive
La protection des bases de données a été harmonisée par la directive 96/9/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données (JO L 77, p. 20).
Les bases de données sont protégées de deux manières : par le droit d’auteur d’une part, et par un droit appelé “sui generis” d’autre part. Les deux régimes sont cumulatifs mais ne s’appliquent pas aux mêmes éléments de la base de données ; en résumé, disons que le premier protège le contenant, tandis que le second protège le contenu.
Le droit sui generis est fixé par l’article 7 de la directive qui accorde aux fabricants des bases de données le « droit d’interdire l’extraction et/ou la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle, évaluée de façon qualitative ou quantitative, du contenu de celle-ci, lorsque l’obtention, la vérification ou la présentation de ce contenu attestent un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif. »
La directive définit l’acte d’extraction comme « le transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support par quelque moyen ou sous quelque forme que ce soit » .
La notion de réutilisation comprend « toute forme de mise à la disposition du public de la totalité ou d’une partie substantielle du contenu de la base par distribution de copies, par location, par transmission en ligne ou sous d’autres formes ».
Les faits soumis à la Cour
Ce n’est pas une affaire dont la Cour doit connaître, mais quatre. Toutes les quatre présentent des similarités importantes, ce qui a donné à l’avocat général l’occasion de traiter les dossiers ensemble. Au cœur du débat : les paris sportifs portant sur les matchs de football de la « Premier League » anglaise et de la « Football League » écossaise, et les courses hippiques en Angleterre.
Pour le football, la société Fixtures Marketing Ltd commercialise en dehors de Grande-Bretagne des licences permettant l’utilisation des calendriers des matchs (soit environ 2.000 rencontres par saison). Elle accorde ces licences pour le compte des organisateurs des championnats. Les tableaux des matchs à venir établis avant le début de chaque saison par les organisateurs des championnats sont stockés sous format électronique et présentés notamment dans des brochures imprimées. Aux dires de Fixtures Marketing, les coûts de préparation et de gestion des tableaux des matchs seraient d’environ 11,5 GBP par an (soit environ 17.207.840 EUR), tandis que les recettes obtenues grâce aux licences permettant d’utiliser les données relatives aux tableaux des matchs contenues dans la base de données anglaise ne représenteraient que 7 millions GBP (soit 10.474.337 EUR).
Pour les courses hippiques, c’est le British Horseracing Board (BHB), organe de gestion des courses hippiques britanniques, qui est centre du débat. La base de données du BHB contient les informations relatives aux courses ainsi que le registre officiel des purs-sangs au Royaume-Uni. Elle comporte des informations détaillées concernant les chevaux inscrits, les jockeys et les calendriers des manifestations sportives, notamment les conditions de participation aux courses, les inscriptions et les participants. Les coûts de maintenance et de mise à jour de la base de données BHB s’élèvent à environ 4 millions GBP (soit 5.985.335 EUR) par an et requièrent l’emploi de près de 80 personnes ainsi que de puissants programmes et matériels informatiques. Les informations relatives aux courses sont rendues publiques par radio, télévision et presse écrite ainsi que par diffusion au public intéressé, le matin du jour précédant la course. Les noms des participants à toutes les courses du Royaume-Uni sont rendus publics l’après-midi de la veille de la course, par presse, services Ceefax/télétexte. Les bookmakers reçoivent la veille des courses, par le biais de divers services souscripteurs, une présentation spéciale des données sans laquelle il est impossible de miser.
Dans l’un et l’autre cas, ces organismes officiels se plaignent que des organisateurs de paris sportifs en ligne puisent dans leur base de données sans autorisation et en infraction avec leur droit sui generis. Plus précisément :
- En Finlande, la société Oy Veikkaus Ab organise des lotos sportifs proposant notamment des paris sur les matchs anglais. Elle collecte les informations nécessaires sur Internet, dans des journaux ou directement auprès des clubs, et les vérifie constamment.
- En Suède, la société AB Svenska Spel exploite des jeux de loto et de paris sur les matchs des ligues anglaises et écossaises. Les matchs figurent sur les formulaires de jeux ou dans une brochure de programme spéciale. Les informations proviennent, selon Svenska Spel, de journaux britanniques et suédois, de télétextes, des ligues de football concernées, d’un service d’informations et de la publication « Football Annual ».
- En Grèce, Fixtures Marketing a introduit plusieurs actions en justice contre la société Organismos Prognostikon Agonon Podosfairou AE (OPAP) et lui reproche d’avoir illégalement et sans autorisation reproduit les tableaux des matchs des ligues anglaises et écossaises et d’avoir extrait un grand nombre de données concernant les rencontres, pour les mettre sur les diverses pages Internet qu’elle publie, et de les avoir mises à la disposition du public grec.
- En Angleterre, la société William Hill Organisation Ltd est spécialisée dans les paris sur les courses de cheveaux via des bureaux de pari sous licences, par téléphone et sur le web. Les informations publiées sur son site Internet proviennent de journaux et d’un service d’informations souscripteur, qui tient lui-même ses informations de la base de données BHB. Ni les journaux ni le service d’informations ne sont autorisés à accorder à William Hill une sous-licence pour l’utilisation sur son site Internet d’informations, quelle qu’elles soient, provenant de la base de données BHB. Faits marquant : les données diffusées sur le site de William Hill ne représentent qu’une partie minime de l’ensemble de la base de données BHB et sont présentées différemment. Par ailleurs, pour évaluer en connaissance de cause ses chances de succès, le client doit rechercher d’autres informations qu’il peut se procurer par exemple dans les journaux.
Les points de droit soumis à la Cour
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La première question soumise à la Cour consiste à savoir si un « calanderier ou tableaux » des événements sportifs est une base de données au sens de la directive.
Point de long discours sur ce point : la réponse de l’avocat général est affirmative : La directive définie d’une manière large une base de données comme « un recueil d’oeuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d’une autre manière ».
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Deuxièmement, nous avons vu que le droit sui generis est accordé au fabricant lorsque l’obtention, la vérification ou la présentation de ce contenu attestent un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif. Les deux plaignants ont-ils effectué un investissement substantiel ?
L’avocat général souligne que le caractère protégeable des bases de données de Fixtures Marketing et de British Horseracing Board ne dépend pas du but en vue duquel elles étaient créées. Le fait que les bases de données aient été créées dans le seul but de permettre l’organisation des compétitions et que les bases de données, en tant que telles, ne constituent éventuellement qu’un produit dérivé par rapport à l’investissement ne joue aucun rôle. L’appréciation du caractère substantiel ou non des investissements relève de la compétence des juridictions nationales. À cette occasion, elles doivent prendre en considération également les divers facteurs dont il faut tenir compte pour établir les tableaux des championnats.
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Puis l’avocat général se penche sur l’objet concret de l’investissement. En effet, seuls peuvent bénéficier de la protection prévue par la directive les investissements réalisés en vue de l’obtention, la vérification et la présentation du contenu de la base de données. La notion d’obtention n’inclut pas, selon l’avocat général, la pure saisie des données. Mais la protection de la directive joue lorsque la saisie coïncide avec le rassemblement et le tri de données existantes et ne peut pas en être dissociée. La notion de vérification comprend également la vérification de l’actualité de la base de données.
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Enfin, dernière question et non des moindres, l’avocat général se penche sur les actes que les fabricants de la base de données peuvent faire interdire.
Pour l’avocat général, il y a certainement extraction et/ou réutilisation d’une partie substantielle de la base de données (ce qui est interdit sans avoir égard à la fréquence et au caractère systématique ou non) dès lors que cela touche la moitié des matchs contenus dans la base.
Quant à l’extraction et/ou la réutlisation de parties non substantielles, elles ne sont interdites que si elles se reproduisent de manière répétée et systématique ; l’avocat général voit la preuve de ce systématisme lorsque ces actes réguliers empêchent le titulaire du droit d’exploiter économiquement sa base de données, y compris sur des marchés dérivés, ou portent atteinte à ses intérêts économiques légitimes dans une mesure excédant un certain seuil.
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L’avocat général ne s’arrête pas là. Elle précise en effet que si l’extraction ne peut être prise en compte que lorsque les informations sont reprises dans la base de données elle-même, il n’en va pas de même pour la réutilisation. L’interdiction de réutilisation s’applique aussi dans le cas où les informations ont été extraites d’une source indépendante, tel qu’un média imprimé ou l’internet.
(affaires C-46/02 – C-203/02, C-338/02 et C-444/02)